Après La Fille au bracelet et Borgo, Stéphane Demoustier réunit un casting international, de Claes Bang à Xavier Dolan, pour dépeindre l’histoire méconnue de la Grande Arche de la Défense, entre ambitions artistiques et tensions politiques…
Lumière sur une énigme d’architecture occultée des grands récits
1982. François Mitterrand lance un concours d’architecture anonyme sans précédent pour la construction d’un édifice emblématique dans l’axe du Louvre et de l’Arc de Triomphe. À la surprise générale, c’est un architecte danois de 53 ans, inconnu en France, qui l’emporte.
Lui qui n’avait construit que sa propre maison et quatre églises, Johan Otto von Spreckelsen est du jour au lendemain propulsé à la tête du plus grand chantier de l’époque. Et s’il entend bâtir sa Grande Arche telle qu’il l’a imaginée, ses idées vont très vite se heurter à la complexité du réel et aux aléas de la politique…
Après La fille au bracelet (2019), récompensé par le César de la meilleure adaptation, et Borgo en 2023, qui a valu à Hafsia Herzi le César de la meilleure actrice, le brillant Stéphane Demoustier dévoile ici un 5e long métrage ambitieux et librement inspiré de faits réels survenus entre 1983 et 1987…

L’idée lui est venue après la lecture de “La Grande Arche” (2016) de l’écrivaine Laurence Cossé : “[le livre] couvrait toute l’histoire de la Défense, des années 70 à aujourd’hui, mais ce qui m’intéressait c’était cet architecte, qui était presque un point aveugle du livre tant on sait peu de choses de lui. Je voulais approcher son mystère et lui rendre hommage.”
Porté par la justesse de jeu de ses interprètes, de Claes Bang à Xavier Dolan, en passant par plusieurs visages phares du cinéma français, L’Inconnu de la Grande Arche s’offre un casting cinq étoiles pour dresser un fascinant tableau où se mêlent art, pouvoir et idéalisme…
Claes Bang est Otto von Spreckelsen
Grand, imposant, charismatique, surdoué, passionné : l’architecte Otto von Spreckelsen incarne une véritable force de la nature. Déterminé à ériger “l’œuvre de sa vie” telle qu’il l’a imaginée, il refuse, une fois son chantier lancé, de se plier aux manigances et aux tentatives de corruption qui gangrènent les hautes sphères de la politique française en 1987.
“Ce qui m’intéresse chez Spreckelsen, c’est qu’il se bat pour ses idées, confie le réalisateur. J’admire à quel point il défend ce qu’il estime être essentiel. Pour autant, il ne parvient pas à composer avec le réel. Jusqu’où peut-on faire des compromis ? A partir de quand s’agit-il de compromissions ? C’est cette tension-là qui m’intéressait, elle est au cœur de tout processus de création.” En effet, la conception de ce cube unique devient peu à peu obsessionnelle, maladive pour son auteur rongé par une volonté créative existentielle.
L’acteur danois Claes Bang était donc taillé pour ce rôle. Révélé au grand public grâce à The Square (2017) de Ruben Östlund , Palme d’Or à Cannes, il apparaît ensuite dans Millénium ; Ce qui ne me tue pas (2018), Dracula (2020) – série Netflix où il interprète le célèbre vampire – ainsi que dans The Northman (2022) de Robert Eggers. Acteur charismatique au jeu subtil, Claes Bang confirme ici son talent pour incarner des personnages complexes et fascinants.
Sidse Babett Knudsen est Live von Spreckelsen
Véritable passerelle entre le cinéma scandinave et français, Sidse Babett Knudsen apporte à L’Inconnu de la Grande Arche sa justesse et sa sensibilité habituelles.
Révélée au grand public dans Borgen, série politique où elle incarne une femme de conviction devenue Première ministre du Danemark, la comédienne obtient une nomination aux Emmy Awards et une reconnaissance internationale. Elle s’impose ensuite dans le cinéma français, notamment dans L’Hermine (2015) de Christian Vincent, où sa justesse et sa douceur lui valent le César de la Meilleure actrice, puis dans La Fille de Brest (2016) d’Emmanuelle Bercot.
Aux côtés de Claes Bang, elle interprète Liv von Spreckelsen, précieuse alliée et unique soutien de l’architecte. Silencieuse mais essentielle, Liv est à la fois le soutien, le miroir et peut-être la conscience de son mari. Point d’ancrage émotionnel dans un univers technique, politique et masculin, elle ne se laisse pourtant jamais reléguer à l’arrière-plan, négociant elle-même le salaire de son époux et assistant à toutes les réunions de travail. Épouse d’un “inconnu” propulsé au cœur des institutions françaises, Liv incarne aussi le décalage culturel d’une étrangère confrontée aux réalités d’un pays et d’un système qui lui échappent. Avec son charisme discret et sa présence magnétique, Sidse Babett Knudsen confère à ce personnage fictif une profondeur et une crédibilité saisissantes.
Xavier Dolan est Jean-Louis Subilon
Après avoir annoncé une pause dans sa carrière de réalisateur, Xavier Dolan surprend en endossant le rôle de Jean-Louis Subilon, un haut fonctionnaire nerveux, soumis aux injonctions du pouvoir et obsédé par les chiffres, le rendement et la valorisation des industries françaises. Ce personnage, plus sobre et institutionnel que ses rôles précédents, marque un véritable tournant pour l’artiste québécois : Dolan acteur se met ici au service d’un univers qui n’est pas le sien.
En effet, le génie du cinéaste québécois s’est illustré dès l’âge de vingt ans avec son premier film J’ai tué ma mère (2009), qu’il écrit, réalise et interprète lui-même, avant de poursuivre avec des œuvres marquantes comme Les Amours imaginaires (2010), Laurence Anyways (2012) ou Mommy (2014), qui lui vaut une consécration à Cannes. Devant la caméra et hors de ses propres réalisations, Dolan a brillé dans Boy Erased (2018), Ça : Chapitre 2 (2019) et surtout Illusions perdues (2021) de Xavier Giannoli, où son rôle de journaliste cynique confirme sa maturité d’acteur.
À travers le personnage de Subilon, Stéphane Demoustier dresse le portrait d’un système bureaucratique parfois absurde, où la vitesse prime sur la qualité et où le culte du pouvoir s’exerce à tous les échelons. Le cinéaste évoque d’ailleurs “un système de cour consubstantiel à la Ve République, elle-même héritière de la monarchie et du culte du Grand Homme.” Le regard étranger du héros danois face à cette mécanique bien française offre un contrepoint parfois ironique à ce ballet politique…
Michel Fau est François Mitterrand
L’élection de François Mitterrand suscite un fol espoir et une vague d’optimisme : pour la première fois sous la Ve République, un président socialiste s’installe à l’Élysée, convaincu du pouvoir des idées et de la culture. Dans la lignée de ses prédécesseurs, il relance le projet d’un monument emblématique destiné à incarner la France moderne : un carrefour de la communication, symbole d’ouverture et de paix. En juillet 1982, il confie à l’EPAD (Établissement public d’aménagement de La Défense) le soin d’organiser un concours international d’architecture. Le futur édifice devra être un arc de triomphe pour les droits de l’homme, inauguré lors du bicentenaire de la Révolution française.
Homme de culture, Mitterrand accorde une confiance totale à l’architecte danois Otto von Spreckelsen, approuvant sans réserve ses choix esthétiques, parfois jugés démesurés. Mais la dissolution de l’Assemblée et le changement de gouvernement viennent bouleverser ses ambitions : l’idéal politique et artistique devra désormais composer avec les réalités du pouvoir…
Après le thriller carcéral Borgo, L’Inconnu de la Grande Arche est l’occasion pour Michel Fau de retrouver Stéphane Demoustier. Acteur, metteur en scène et comédien de théâtre, Michel Fau s’impose par son jeu singulier, mêlant excentricité et profondeur. Il s’est illustré aussi bien sur scène que sur grand écran, notamment dans La Dame aux camélias (2012) et Marguerite (2015) de Xavier Giannoli, où il campe un professeur de chant haut en couleur.
L’acteur, par sa facilité à incarner des personnages flamboyants et atypiques, nous convainc aisément en François Mitterrand ambitieux et secret qui a fasciné autant ses partisans que ses adversaires et a été, avec le général de Gaulle, l’une des figures majeures de la Ve République.
Swann Arlaud est Paul Andreu
Autre personnage fidèle à la réalité : Paul Andreu, figure majeure de l’architecture contemporaine et déjà mondialement reconnu dans les années 1980. Visionnaire précoce, il signe à seulement 29 ans l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle avant de concevoir plus de vingt aéroports à travers le monde.
Dans le projet de la Grande Arche, il est nommé “maître d’œuvre de réalisation” du projet imaginé par Otto. Homme respecté, adepte des technologies numériques et du progrès, il incarne une approche plus fonctionnelle et politique de l’architecture : pour lui, les bâtiments doivent avant tout répondre à un besoin concret, plutôt qu’à une quête artistique.
Révélé au grand public grâce à Petit Paysan (2017) d’Hubert Charuel, où son interprétation poignante d’un éleveur en crise lui vaut le César du Meilleur acteur, Swann Arlaud confirme son talent avec Grâce à Dieu (2019) de François Ozon — César du Meilleur second rôle masculin — en incarnant avec sobriété un homme marqué par les abus de l’Église. Anatomie d’une chute (Palme d’or 2023) le consacre dans le rôle de l’avocat Vincent Renzi, figure de raison face au drame. L’acteur confirme ici sa place centrale dans le cinéma français d’auteur, conjuguant justesse émotionnelle et interprétation fine et discrète.
Personnage ambivalent, Andreu fascine autant qu’il irrite Otto. Entre les deux hommes s’installe une tension féconde : celle qui oppose la rigueur technique à l’élan créateur, la logique institutionnelle à la foi dans le geste artistique… Le réalisateur s’attache ainsi à montrer que l’art et la politique doivent avancer ensemble pour trouver les compromis nécessaires à la finalisation d’une œuvre.
Entre biopic, manifeste artistique et film politique, l’histoire surprenante de L’Inconnu de la Grande Arche et sa distribution étoilée vous donnent rendez-vous le 5 novembre au cinéma.