Au fil de la déambulation, d’étranges dispositifs questionnent notre rapport à l’espace, à la ville et à nos semblables. Les deux architectes à l’origine de ce projet aussi futuriste qu’absurde nous présentent six des trente-deux fictions imaginées. Explications.

À travers ses expositions, pilotées par des architectes et des urbanistes, le Pavillon de l’Arsenal apporte des pistes pour penser la ville de demain. Cet hiver, il dévoile une exposition étonnante imaginée par Poumtchak Studio. Fondé par deux architectes, ce studio de scénographie et de recherche a imaginé 32 fictions pour répondre aux enjeux architecturaux et sociétaux contemporains. Chacune, présentée sous la forme d’une image très colorée, propose une solution à une problématique de la ville. Si les sujets abordés sont sérieux (« Comment rafraîchir ou apaiser la ville ? », « Comment s’y protéger des virus ? »), les réponses étonnent : sombrero pluvial pour récolter l’eau de pluie, cale-tête antibruit installé près des axes routiers, masque FFP4 constitué d’une ventouse en caoutchouc… « Nous avons choisi de nous servir de l’absurdité et de l’humour pour véhiculer notre message », expliquent Charly Dufour et Elsa Lebrun.
Partie de rigolade en perspective ? Pas vraiment. Drôles de prime abord, ces idées laissent finalement entrevoir une ville de plus en plus polluée et bruyante, dont les dysfonctionnements encouragent les comportements individualistes et les réponses à court terme. « Avec ces dispositifs, nous ne prétendons pas donner des solutions mais bien au contraire alerter. A-t-on vraiment envie d’en arriver là ? Il faut se souvenir que des propositions absurdes existent déjà dans l’espace public, comme le mobilier anti-SDF. » Aperçu de l’exposition ci-dessous, avec un décryptage de 6 des 32 scénarios présentés.
Comment réduire le stress dans les transports en commun ?
Nous sommes partis du constat qu’il y a trop de monde dans le métro et avons cherché un dispositif qui permettrait aux usagers de se relaxer. Cela a abouti à une combinaison « anti-ville stressante » en texture pilou pilou, dans laquelle sont incrustées des balles antistress. Le dispositif a une limite : d’autres personnes peuvent en effet vouloir les manipuler… Il était important que chaque scénario présente une limite, pour accentuer son côté absurde.

Comment profiter d’une ville polluée ?
Beaucoup de gens continuent à porter des masques anti-Covid dans la rue, non plus par crainte d’attraper un virus mais pour se protéger des particules fines. On a donc imaginé ces filtreurs d’air mobiles, qui empruntent autant aux masques respiratoires des hôpitaux qu’aux appareils Dyson avec leur couleur orange. Plus tard, on a découvert que Dyson avait sorti un casque d’écoute doté d’une sorte de visière qui permet à son utilisateur de respirer un air purifié ! Le réel rattrape la fiction… Ce dispositif est le reflet d’une société individualiste, où chacun répond aux problèmes – ici, la pollution en ville – à son échelle seulement.

Comment cohabiter avec les nuisibles ?
Inspirés par le joueur de flûte de Hamelin [légende allemande transcrite par les frères Grimm, ndlr] qui, pour combattre la peste, attirait les rats avec une mélodie, nous avons eu l’idée d’une flûte reliée à un tuyau en verre trempé, dans laquelle l’utilisateur mettrait ses déchets pour attirer les nuisibles. Ce dispositif a plusieurs limites. D’abord, on finit par porter sur soi les rats, punaises, cafards… D’autre part, il rend le déplacement compliqué et amplifie les nuisances sonores dans la ville. On voulait aussi questionner le statut de « nuisible ». On sait par exemple que les rats ont un rôle à jouer en ville, parce qu’ils mangent nos déchets.

Comment revendiquer la présence des femmes dans l’espace public ?
À partir du bruit des talons sur le sol, nous avons imaginé ces « claquettes de présence féminine ». Il s’agit d’une structure en aluminium noir dotée d’un résonateur concave en acier qui intensifie l’impact sonore des pas des femmes. Ce qui nous amusait, encore une fois, c’était d’interroger : a-t-on vraiment envie d’en arriver là ? Ou ne s’agit-il pas d’une solution ultra rapide à un problème qui permet de ne pas réfléchir à ses fondements ? Autre absurdité : la claquette n’est compatible qu’avec des chaussures plates.

Comment réduire les nuisances sonores dans les restaurants ?
Qui ne s’est jamais retrouvé au restaurant sans réussir à entendre la personne en face ? Pour y remédier, nous avons élaboré un isolateur à discussion privée, composé de sphères transparentes et de tubes. Les sons émis sont directement transmis aux oreilles de votre interlocuteur. Les limites sont nombreuses : votre propre voix est amplifiée, on peut entendre les bruits de mastication de l’autre, il est difficile de manger… Enfin, a-t-on envie de devoir s’enfermer dans une bulle dans un lieu de sociabilité ? Ce dispositif a été fabriqué pour l’exposition : nous invitons les visiteurs à venir le tester.

Comment rendre plus aimables les habitantes et habitants d’une ville ?
Ce masque constitué de lèvres de velours, de dents en céramique et d’une tétine nous a été inspiré par la moretta, un masque vénitien traditionnel porté par les femmes à la Renaissance. Celui-ci couvrait la totalité du visage et se tenait par une petite tétine en bois. Lorsqu’elles étaient courtisées, les femmes pouvaient choisir de se dévoiler ou non. Paris peut être une ville agressive et violente, et on trouvait amusant de faire porter une tétine aux citadins désagréables et de les obliger à sourire.

L’exposition « Un possible futur » est présentée jusqu’au 21 janvier, au Pavillon de l’Arsenal, 21, boulevard Morland, Paris 4e.
Source: Télérama