Mon film, ma bataille – L’édito d’Eric Libiot

Bonne nouvelle : George Clooney va jouer dans l’adaptation cinéma de la série Dix pour cent. On ne sait pas encore quel rôle il va interpréter – un agent, une guest-star, une dosette ? – mais nul doute que son nom sur l’affiche donnera au film un bel air de paillettes en grains. Vu l’univers de Dix pour cent – les coulisses derrière le petit et le grand écran tricolores – il y a de grandes chances que le film se tourne bien en France (comme l’a confirmé Clooney lui-même). C’est en tout cas ce qu’il faut espérer. Car l’annonce de l’adoption, en commission des finances, le 21 octobre, d’un amendement qui prévoit de réduire le crédit d’impôt cinéma, qui passerait de 30% à 20 ou 25% selon les cas, a mis le feu aux poudres dans les bureaux des organisations professionnelles. C’est la mauvaise nouvelle.

Dix pour cent film

Un tel amendement, s’il était voté, entraînerait, selon le communiqué commun du BLIC, du BLOC et de l’ARP, “une délocalisation des tournages avec une baisse de l’emploi, des recettes fiscales et de la rentabilité des investissements publics dans les studios, en contradiction avec le plan France 2030” ; plan de 4 Md€ lancé par Emmanuel Macron en octobre 2023. Politiquement et économiquement, le gouvernement, qui ne semble pas soutenir cet amendement, se tirerait donc une balle dans le pied. Mais puisque personne ne sait jusqu’à quand Sébastien Lecornu va pouvoir marcher, on ne peut qu’observer l’évolution de la situation politique. Quant à Simon Arnal, le patron du SPI, il souligne dans nos colonnes que “ce serait également une erreur économique, car ce crédit d’impôt représente un investissement qui rapporte de l’argent à l’État.”

Il ne s’agit pas ici de revenir sur toutes les conséquences d’un tel vote mais de dire la fatigue qui nous saisit au moment de se rendre compte qu’il va encore falloir asséner des évidences face à des femmes et des hommes politiques qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez législatif et budgétaire. Et qu’on ne dise pas qu’il s’agit de corporatisme ou alors c’est un corporatisme de taille grand large puisqu’à côté des emplois liés stricto sensu au cinéma, il faut inclure ceux de la restauration, de l’hôtellerie, des transports et de tous les métiers qui bénéficient, pendant plusieurs semaines, de la venue d’un tournage dans leur région.

Donc fatigué. Agacé (euphémisme). Si ce n’est spécifiquement par cet amendement, que les organisations combattront évidemment mieux que nous, en tout cas par un discours politique qui renvoie systématiquement la culture dans la cave quand elle devrait s’exposer au balcon pour haranguer une foule trop heureuse de se tenir les coudes et d’avancer ensemble. Coupes des budgets culturels dans les régions, fragilisation du dispositif “École au cinéma”, baisse potentielle de la dotation accordée à France télévisions… Ça commence à faire beaucoup. Encore une fois, il ne s’agit pas de simples lignes dans un bilan comptable. Ni même d’idéologie ou de couleur politique. Le monde du cinéma et de l’audiovisuel est suffisamment divers pour ne pas se coller à un seul bulletin de vote. Il y en a même peu qui soit aussi artistiquement uni et politiquement hétéroclite. Non : il est question de tissage de liens entre les générations, de 7 à 77 ans, de divertissements et de réflexions, de faire le tri dans les arguments pour appréhender le monde, du développement de l’esprit critique, de nourrir la curiosité… Ce ne sont là que dix pour cent des arguments à faire (encore) valoir.

Source : Ecran Total

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