Le film impossible sur Gaza devenu un chef-d’œuvre, par Christophe Donner
Chronique. Cette semaine, notre chroniqueur, l’écrivain Christophe Donner, évoque le dernier film de Sepideh Farsi, « Put Your Soul on Your Hand and Walk », dont la sortie est prévue le 24 septembre.

Si vous allez voir Put Your Soul on Your Hand and Walk en espérant apprendre des choses nouvelles sur Gaza, comprendre ce qui se passe ou simplement découvrir la réalité de la situation, vous allez être déçus. Le film de Sepideh Farsi n’est pas un « super documentaire sur Gaza ». D’ailleurs, ce n’est pas un documentaire, ou alors complètement raté, et ça n’est pas non plus un mélo-péplum à la Steven Spielberg qui, à travers une histoire d’amour bouleversante dont Hollywood a le secret, et plein de personnages hauts en couleurs, nous transporte comme si on y était dans l’enfer du plus grand génocide jamais perpétré par un peuple sémite contre un autre peuple sémite.
Je n’ai rien contre ce genre de films, je vais tous les voir, avec mon mouchoir et mon Magnum chocolat, j’adore ça, j’en sors gonflé à bloc contre la méchanceté des plus forts et désespéré par la débilité des plus faibles. Mais je serais bien incapable de faire un film sur Gaza, car je crois la chose impossible, et le film de Sepideh Farsi me le confirme. J’ai maintes fois essayé d’écrire un livre sur mon grand-père mort en déportation ; chaque fois je me suis arrêté aux portes du pénitencier. Sans savoir si c’est par décence ou par lâcheté, ça devient toujours le livre du type qui essaie d’écrire un livre sur son grand-père mort en déportation. Certains ont fini par s’en lasser, d’autres ont trouvé ça marrant et m’en redemandent.
Je ne pense pas Sepideh Farsi se lance une nouvelle fois dans l’aventure d’un film sur elle en train d’essayer de faire un film sur Gaza, car d’un point de vue purement cinématographique, son Put Your Soul on Your Hand and Walk est proche de zéro. C’est ça qui est intéressant : que cette tentative ne soit pas un divertissement. Ni docu ni fiction, la tentative a une histoire, il en faut toujours une, et des personnages, elles sont deux. Sepideh Farsi, née en 1965 en Iran, arrêtée et incarcérée, à l’âge de 16 ans et pendant huit mois, pour avoir hébergé un dissident politique ; elle trouve refuge en France en 1984. Durant les quarante années suivantes, Farsi réalise un certain nombre de films, documentaires et docu-fictions, assez confidentiels, dont un filmé clandestinement à Téhéran, avec un portable.
En avril 2024, elle se rend en Egypte dans l’espoir d’entrer à Gaza pour faire un film. Arrivée au Caire, elle rencontre Ahmad qui lui parle de Fatma Hassona, une photographe gazaouie de 25 ans avec laquelle la réalisatrice entre aussitôt en contact, par Skype. Le film commence. Le dispositif, si on peut appeler ça un dispositif, est des plus primitif, minimaliste, et péniblement soutenable. Pendant près d’un an (une heure et demie de projection), Farsi va filmer ses conversations en visio avec la jeune photographe bloquée à Gaza. Quand ça n’est pas le son qui déraille, c’est l’image qui se scratche. Les sous-titres en français reconstituent avantageusement les conversations qui commencent toujours par « – Ça va ? – Oui et toi ? – Ça va… » Elles ne savent pas trop quoi dire de plus. Il y a un certain suspense chaque fois que Farsi appelle, parce qu’on n’est pas sûr que Hassona est encore en vie. Elle est chaque fois très heureuse de retrouver son amie iranienne sur Skype, mais leur anglais est presqu’aussi pauvre que le dispositif. Surtout, on n’a pas l’impression qu’elles désirent aller très profond dans la conversation. A un moment, Farsi lance son interlocutrice sur la question du voile que porte Hassona, toujours bien serré autour de son visage : « – Depuis quand ?, demande Farsi. – 13 ans. – Pourquoi tôt ? – Parce qu’à l’époque, je faisais plus que mon âge, alors ma mère m’a dit que ça me protégerait. » De qui, de quoi, l’Iranienne dissidente ne lui pose pas la question.
Un jour, Fatma Hassona ne répond plus au coup de téléphone de Sepideh Farsi. Elle et neuf membres de sa famille ont été assassinés par un missile israélien. Le film impossible devient alors un chef-d’œuvre primé au festival de Cannes.
Source: L’Express