« Je voulais être au plus près de la réalité et de mes émotions » : Isabelle Carré dévoile Les Rêveurs, un film fort sur la santé mentale

Isabelle Carré, réalisatrice ! Avec « Les Rêveurs », elle signe un film sensible et touchant sur la santé mentale. Nous l’avons rencontrée.

De quoi ça parle ?

« Élisabeth, comédienne, anime des ateliers d’écriture à l’hôpital Necker avec des adolescents en grande détresse psychologique. À leur contact, elle replonge dans sa propre histoire : son internement à 14 ans. Peu à peu, les souvenirs refont surface. Et avec eux, la découverte du théâtre, qui un jour l’a sauvée. »

Isabelle Carré

La comédienne Isabelle Carré passe derrière la caméra pour la première fois. Avec « Les rêveurs », elle adapte son premier roman du même nom, qui avait trouvé un large écho. Ce film devrait aussi toucher en plein coeur le public, avec son sujet très fort, celui de la santé mentale des adolescents, avec une part très autobiographique de la part d’Isabelle Carré qui a plongé dans ses propres souvenirs.

Comme le film le souligne (restez bien pendant le générique de fin), il s’agit d’un sujet plus actuel que jamais. La primo-cinéaste l’aborde avec une grande justesse et beaucoup de sincérité. Nous avons rencontré la cinéaste pour parler de cette première expérience de réalisation, de sa genèse à sa sortie imminente.

« AlloCiné : Les Rêveurs est un film qui vous est très personnel, inspiré de votre adolescence. La particularité de la genèse de ce projet : vous vous êtes basée sur des carnets que vous aviez écrits quand vous étiez adolescente… »

« Isabelle Carré : Oui, je les ai retrouvé au moment de l’écriture du livre. Je n’avais pas ouvert ce placard-là. J’ai retrouvé les journaux intimes de cette époque, et notamment celui sur lequel j’écrivais, quand j’étais dans ce service de pédopsychiatrie à Necker. Évidemment, il y a plein d’images, plein de moments qui sont restés. Mais de les voir écrits… Puis, il y a d’autres choses qui me sont réapparues en relisant. Donc je me suis basée dessus pour l’écriture du livre, mais encore plus pour l’écriture du film. (…) Je voulais être au plus près de la réalité, au plus près de mes émotions, même si je voulais aussi de la douceur. C’est-à-dire ne pas montrer les enfants contentionnés, ne pas montrer les enfants qu’on pique, ou les enfants qu’on met à l’isolement, qui se font du mal. Parce que le film, pour moi, c’est vraiment une adresse aux adolescents. C’est vraiment à eux que je m’adresse en premier lieu. Tout le but du film est de montrer qu’il y a des solutions. »

J’aimerais justement qu’on parle de cette adresse aux adolescents. On a vraiment l’impression que vous avez fait le film que vous auriez voulu voir vous-même en étant jeune. Est-ce que vous pouvez me parler de ça, de ce que vous aviez en tête au moment de faire ce film ?

Oui, c’est exactement ça. J’aurais bien aimé avoir cet outil-là. Et c’est vraiment comme ça que je le pense. (…) On a vraiment mis tout notre cœur pour que ça soit un vrai film de cinéma, pour tous les jeunes. Et c’est vrai que, oui, merci de le dire, j’aurais bien aimé avoir cette ressource-là, ce refuge-là, ce miroir-là, quand je suis sortie de l’hôpital, tout simplement parce que c’était très compliqué. Le fait d’être pas représentée, le fait qu’on n’en parle pas, que ça soit si tabou. C’est très compliqué d’aller à l’école et de dire aux camarades ce que j’ai vécu. Vous avez ça dans votre tête, mais les autres n’ont aucune image, aucune référence. (…) Je crois vraiment qu’un film peut vous sauver une soirée, mais peut aussi vous sauver la vie. Cela a été mon cas avec le film Une femme à sa fenêtre.

On parle de plus en plus de santé mentale aujourd’hui. Mais toujours est-il que c’est important de rappeler des chiffres, des données. Et c’est ce que fait votre film, à la fin…

246, c’est un pourcentage de l’augmentation des hospitalisations des jeunes filles de 10 à 14 ans ces dix dernières années. C’est petit, 10 à 14 ans. Et effectivement, ces chiffres m’avaient déjà percuté au moment du confinement. C’est pour ça que j’ai eu envie de faire cette adaptation. Et ils n’ont pas décru. Ils continuent d’augmenter.

Même si j’ai voulu m’adresser en premier lieu aux jeunes et leur donner des pistes de solutions, c’est à la société aussi, plus globalement, que je m’adresse. Comment se fait-il qu’on atteigne ces chiffres-là ? Est-ce qu’on n’a pas quand même une prise de conscience générale, globale, à avoir ? Et aussi, le gouvernement, au moment des coupes budgétaires, j’espère que le film aura un impact et dira que non, ne surtout pas couper dans ces budgets-là.

Quand on sait qu’un enfant sur deux aujourd’hui n’a pas les moyens d’être soigné par faute de personnel formé et d’endroits, de centres… Il y a une inégalité territoriale incroyable. Il y a des endroits entiers en France où il n’y a rien. S’il y a de l’argent à mettre aujourd’hui, au niveau du ministère de la Santé, c’est vraiment dans la création de ces lieux-là.

Pouvez-vous nous rappeler la ligne téléphonique qui existe ?

Quand on a des pensées qui tournent dans la tête, des pensées sombres, des pensées suicidaires, c’est le 3114. Et surtout, il faut en parler autour de soi. C’est vrai que je suis très émue au moment de la sortie, quand on montre le film à des classes,à des lycéens, de voir à quel point ils ont besoin d’en parler. Je pensais qu’ils auraient du mal à poser des questions, que ce serait compliqué d’avoir des débats avec eux et surtout avec les camarades à côté et le jugement des autres. Et c’est tout le contraire. C’est vraiment un outil pour communiquer. Je l’avais imaginé comme ça, mais je ne pensais pas que ça marcherait, et ça marche.

Je vous avais rencontrée il y a à peu près un an pour la sortie d’un film d’Agnès de Sacy, qui d’ailleurs vous a aidée, pour l’écriture de ce film. Un an après, maintenant que vous avez terminé et accompagné le film et qu’il sort, je voulais vous demander ce qui vous a le plus surpris dans toute cette aventure, de devenir réalisatrice, de ne plus être simple actrice.

Tout m’a surpris. Absolument tout. Moi qui pensais être quelqu’un de suffisamment empathique et d’avoir quand même tourné avec beaucoup de metteurs en scène très différents, je pensais que je connaissais, de mon point de vue, le métier de réalisateur. Non, je ne connaissais pas. C’est un monde qui s’est ouvert à moi, vraiment. (…) Aussi dans la réception et dans la façon dont les spectateurs viennent s’adresser à moi après. J’en ai fait des rencontres, des tournées en région pour présenter le film et des débats. Mais là, c’est vraiment très différent.

Je pensais que c’était parce qu’un livre vous parlait à l’oreille, et que du coup, les gens venaient se confier, parce que c’est un rapport très intime avec le lecteur. Mais en fait, le film provoque ça puissance mille. Les gens ont vraiment envie de me confier beaucoup de choses. Pour être sincère, dès le début du travail sur ce sujet-là, j’ai halluciné sur le fait que ça concerne tant de gens.

On le voit avec les chiffres, mais quand c’est tous les jours des gens qui viennent vous parler et vous dire « Moi, c’est ma fille. Moi, c’est ma belle-fille. Moi, c’est une amie. Moi, c’est… » Ca touche énormément de gens.

Est-ce que toute cette expérience vous donne envie de faire un autre long-métrage ?

Je crois qu’il faut vraiment être dingue pour recommencer, mais j’ai très envie de recommencer. En ayant cette fois, – puisque je ne serai plus novice -, la conscience de ce que ça représente, et surtout par rapport à la difficulté du montage financier. Est-ce que ça sera possible de faire un 2e film ? Je ne sais pas. Mais je l’espère.

Propos recueillis le mercredi 5 novembre 2025

Source: AlloCiné

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