Par Olivier Pallaruelo – Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo. Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d’actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.
Tout le monde a un film favori, et les stars hollywoodiennes adorent s’épancher dessus. Comme le réalisateur Terry Gilliam, qui couvre d’éloges un étonnant western, unique réalisation de Marlon Brando.
Parmi les questions auxquelles les stars répondent volontiers figure celle de leurs films favoris. Et on ne parle pas ici de leurs films favoris au sein de leurs propres filmographies respectives. Un ou des films coups de coeur pour des raisons évidemment très diverses : des oeuvres qui ont été des révélations pour elles; parce qu’elles ont marqué leur enfance, parce qu’elles ont eu une influence importante dans leurs carrières, ou tout simplement parce que ces oeuvres ont nourri leurs imaginaires.
« Je veux que le monde redécouvre La Vengeance aux deux visages »
Cinéaste à l’imaginaire débordant, dont la carrière artistique a hélas plus d’une fois été gravement heurtée par des productions très compliquées et des bras de fer homériques avec les têtes pensantes des studios, Terry Gilliam a toujours nourri un amour inconditionnel pour son art, en plus d’être un grand cinéphile.
En 2007, il avait ainsi confié à la journaliste américaine Cindy Pearlman dans son ouvrage You Gotta See This « être un amoureux transi d’un western étonnant, qui plus est unique réalisation d’une légende du cinéma : La Vengeance aux deux visages de Marlon Brando.
« Quand ce film est sorti, je me trouvais sur la 42e rue à New York, à une époque où on avait encore le doubles programmes. J’avais environ 23 ans, et je me suis assis dans ce vieux cinéma, et j’ai balancé un « Cool ! Envoyez Brando ! » Mais avant ça, j’ai dû traverser ce film horrible qu’ils avaient mis avant La Vengeance aux deux visages. C’était une torture !
J’aime ce film et je l’aime toujours. C’est l’une des meilleures performances de Brando. […] J’ai vu ce film plus de fois que n’importe quel autre, et maintenant je veux que le monde redécouvre La Vengeance aux deux visages ».
Sorti en 1961, c’est un western effectivement très singulier, sur lequel Marlon Brando avait la double casquette d’acteur et réalisateur. L’histoire ? Elle se déroule à Sonora, un village mexicain, en 1880. Rio et Dad Longworth pillent la banque locale et fuient, poursuivis par les Rurales. Le cheval de Rio est atteint par une balle, et Dad poursuit sa route après avoir promis à Rio de revenir avec une autre monture. Mais il ne tient pas sa parole.
Dad s’enfuit en réalité avec le butin, et Rio est capturé. Des années plus tard, il s’évade de prison et retrouve son complice désormais marié avec une mexicaine, en plus d’être devenu le shérif d’une petite ville côtière. Pour se venger, il décide de séduire sa belle fille…
« Je ne savais absolument pas quoi faire… »
Unique réalisation de Marlon Brando alors au sommet de sa gloire, La Vengeance aux deux visages devait à l’origine être réalisé par Stanley Kubrick, finalement débarqué du projet. Très peu à l’aise derrière la caméra, le tournage fut pas loin d’être un supplice pour Brando. Il le dira d’ailleurs dans son autobiographie parue en 1994 : « je ne savais absolument pas quoi faire… » Il utilisa une quantité astronomique de pellicule (gâchée donc), attendait des heures pour faire ses plans…
« En cinq jours de tournages, il accusait déjà 15 jours de retard sur le planning du tournage. Petite anecdote savoureuse : en bon adepte de la méthode Actors Studio, il insista pour être authentiquement ivre pour une scène où son personnage devait l’être… Sauf qu’il fut tellement ivre qu’il fut incapable de réaliser. Ce qui ne l’empêcha pas de répéter le même processus dans les jours qui suivirent… »
Lorsque Paramount découvrit le résultat final, long de 4h42, le studio fut horrifié. Non content d’avoir explosé le budget de départ, passé de 1,8 millions de dollars à 6 millions de dollars, le film était tout bonnement inexploitable avec une telle durée. Paramount pris les choses en main en salle de montage, et ramena la durée du film à 2h21, en plus de changer la fin.
« Le film obtint malgré tout un gros succès, mais Brando se déclara amer : « C’est un bon film pour eux [Paramount], mais ce n’est pas le film que j’ai fait… Les personnages sont désormais en noir et blanc, alors que je les voulais gris et humains » ».
Restauré il y a quelques années avec le soutien de Martin Scorsese (et Steven Spielberg !), La Vengeance aux deux visages a été présenté dans le cadre de Cannes Classic, et édité depuis chez Carlotta en DVD et Blu-ray.
Source: AlloCiné