Né à Cahors, il a produit des chefs-d’œuvre du cinéma français

Né à Cahors, il a produit des chefs-d’œuvre du cinéma français

Ses succès populaires ont permis à René Pignères (1905-1973) de financer les films de Jean-Luc Godard.

René Pignères
René Pignères

Nul n’est prophète en son pays, dit l’adage. Mais il n’est pas interdit d’espérer qu’un jour sa ville natale organise une rétrospective de tous les films, désormais des classiques pour la plupart, qu’il a produits, ou pourquoi pas, qu’un hommage lui soit rendu aux Rencontres de Gindou. Parce que René Pignères, mine de rien, a bel et bien marqué de son empreinte plusieurs décennies du cinéma hexagonal.

Maria Chapdelaine, La Bandera, D’où viens-tu Johnny, Pierrot le Fou, ou encore l’incroyable série du Gendarme de Saint-Tropez (liste loin d’être exhaustive), tout cela a été monté grâce à lui…

René Pignères nait rue du Château du Roy à Cahors le 19 mars 1905 où son père Abel est imprimeur. Ce n’est pas un détail : sans doute en ces lieux l’enfant apprend-il à lire, à feuilleter, à voyager par l’imagination. Et l’adolescent est de fait ensuite un bon élève. Tant et si bien que sa famille lui permet de poursuivre sa scolarité dans un grand établissement parisien, le lycée Henri IV. Bonne pioche : le 12 juillet 1922, à la Sorbonne où sont réunis tous les lauréats du Concours général, René Pignères se voit remettre un premier accessit en composition française. Il prépare ensuite Normale Supérieure.

Un début de carrière dans le journalisme

Pourtant, le jeune homme cultivé rêve d’ailleurs (rimbaldiens ou pas), donc de voyages, et il a une plume : c’est le viatique idéal, à l’époque, pour devenir journaliste. Le voici en 1927 reporter au « Journal », à « L’Auto » puis à « Candide ». On a retrouvé un petit exemple truculent de ce que pouvait signer le jeune Lotois. Envoyé spécial à Alger en 1930 pour le centenaire de « l’Algérie française », il moque avec cruauté les parlementaires venus de métropole découvrant les charmes interlopes de la Casbah « by night » et conclut ainsi :

« La grande manifestation du Centenaire a été le bal du Palais. Dans un espace où huit cents personnes pourraient prendre aisément leurs ébats, près de neuf mille s’écrasèrent les orteils. Mais le principal était d’être vu. De délicieux coins de jardins tranquilles, propices au flirt ou au rêve, restèrent vide toute la nuit parce qu’ils étaient dans l’ombre. La bagarre des buffets de l’Elysée est une plaisanterie à côté des batailles rangées de Mustapha. Des goums, sabre au clair, montaient la garde de part et d’autre des quinze files d’affamés qui, sur cinquante mètres attendaient leur tour d’approcher la table. De l’office à la salle à manger, les gâteaux et les bouteilles n’en finissaient pas de monter et de disparaître. Au fond, je comprends un peu ces braves gens. Depuis le temps qu’ils voient de leur propres yeux tous les Parisiens se régaler et se promener à leurs frais, ils se le disent, en croquant les petits fours du Gouverneur : « C’est un peu de notre argent qu’on rattrape… »

A la même époque, toutefois, René Pignères ne cache plus son penchant pour un autre univers. Le voilà qui tient la rubrique cinéma dans plusieurs journaux… Puis, le critique cinéphile franchit encore un pas. En 1933, il organise au Diamant, à Paris, des projections de films d’amateurs (sic). Des courts ou moyens métrages qu’on n’appelle pas encore des films d’auteurs mais qui lui permettent de repérer des talents. Entretemps, en 1932, une brève dans Comœdia indique que le confrère René Pignères a adapté une pièce, Monsieur Gaspard, de Léon Ruth, que Maurice de Canonge va tourner à Marseille.

La naissance de la SNC

Et puis enfin vient le grand jour. L’annonce légale paraît le 27 juillet 1934 dans Les Echos, en rubrique « Nouvelles sociétés » :

« Société Nouvelle de Cinématographie. Sté à resp. lim., toutes opérations concernant la cinématographie. Siège à Paris, 5, rue Lincoln. Capital : 500.000 fr. Gérants : MM. Léon Beytout, 3, rue Jules-Cousin, à Paris, et René Pignères, 7, rue de l’Abbé-de-l’Epée, à Paris. »

La SNC : trois lettres auxquelles il faut désormais s’habituer. Et les débuts sont tout simplement des coups de maître. Avec Maria Chapdelaine, d’abord. Voici ce qu’en dit Cinaedia en janvier 1935 :

« En parlant avec René Pignères et Léon Beytout. Les deux jeunes animateurs de la Société Nouvelle de Cinématographie me parlent du grand film qui vient d’être terminé : Maria Chapdelaine. – Souvenez-vous de nos débuts. On avait réuni quelques journalistes, rien que des amis, et l’on disait nos espoirs, notre confiance. Quand on prononça le nom de Maria Chapdelaine, la plupart des assistants nous dirent : « Mon-Dieu, mais c’est un projet irréalisable. Vous courez à la catastrophe… » – Eh bien, continue Beytout, remplaçant son associé Pignères, nous avons tout réalisé. Nous avons tenu nos promesses. Nous en sommes ravis. Nous venons d’assister à une projection du premier montage. Ce qu’a réalisé Duvivier au Canada dépasse tous nos espoirs. C’est très grand, très puissant. Madeleine Renaud est incomparable de simplicité, de douce émotion, de ferveur, et tous ses partenaires ont été à son niveau, c’est-à-dire admirables. Il faudrait les citer tous, intervient Beytout : Jean Gabin, Bourdelle, Jean-Pierre Aumont… »

Quand le film arrive à Cahors, le Journal du Lot dit sa joie (édition du 17 mars 1935).

« AU PALAIS DES FÊTES – Maria Chapdelaine – Le grand prix du cinéma français 1935 – Ce film, tourné au Canada par Julien Duvivier, fait revivre à l’écran, d’une façon inoubliable, les héros du chef-d’œuvre de Louis Hémon. (…) Toute la nature grandiose du nouveau monde sert de décor au sujet dramatique dont l’expression littéraire a trouvé son équivalent plastique au cinéma. (…)

Une musique de Jean Wiener accompagne les scènes principales de cette production inspirée d’un des plus beaux livres qui ait enrichi notre littérature depuis le début du siècle. Il est aussi indispensable qu’un surcroît d’honneur apporte à deux jeunes la plus légitime des satisfactions : MM. Beytout et Pignères. M. Reytout, financier et artiste ; M. Pignères, sympathique Cadurcien. M. Pignères est un lettré, un audacieux. Contre toutes les objections, contre tous les découragements, contre toutes les difficultés, il a réuni autour de lui les forces d’enthousiasme et de foi qui sont souvent un capital plus essentiel que l’argent. Nous sommes heureux qu’un Cadurcien ait contribué au succès de ce film ! »

Un temps d’arrêt pendant la guerre

Suit un autre succès, La Bandera, toujours réalisé par Duvivier, toujours avec Gabin. En quelques mois, la SNC est devenue un acteur majeur de la production française. Et dans la foulée, René Pignères ouvre un bureau à Alger. Cependant, des nuages s’annoncent. Qui n’ont rien d’un grand spectacle sur pellicule. Rappelé, le producteur lotois combat de janvier à juin 1940. Il regagne ensuite l’Afrique du Nord et s’engagera, en 1944, dans l’Armée de la France Libre.

Et après la guerre, la SNC remet ça. Avec toujours beaucoup de succès à la clé. Et des bons coups, aussi. Car la société acquiert également ses lettres de noblesse (et une part de ses profits) en devenant un opérateur majeur de la distribution. C’est ainsi que René Pignères pourra jouer un rôle clé dans l’essor de la Nouvelle Vague. On lui doit le premier coup de maître de Jean-Luc Godard en 1960 :

« La personne qui financièrement est responsable de l’existence d’À bout de souffle n’est pas Georges de Beauregard, mais René Pignères. René Pignères était un important distributeur de l’époque. Avant-guerre son grand succès avait été La Bandera, et après-guerre c’est lui qui distribuait les « Sissi » avec Romy Schneider. Pignères était un type totalement frustre mais certainement très compétent pour distribuer des films sur la France entière. Il a voulu se payer un film de la Nouvelle Vague pour être dans le coup après les succès des Quatre Cents Coups de Truffaut et des Cousins de Chabrol. Je ne sais pas comment s’est effectuée la connexion avec Godard mais Pignères a donc mis l’argent dans le projet et confié la production à Beauregard, qui avait déjà fait pour lui trois films de Pierre Schoendoerffer, Pêcheur d’Islande et Ramuntcho d’après Pierre Loti, et La Passe du diable, documentaire co-réalisé avec Jacques Dupont »

expliquera en 2014 dans un entretien à Arte Pierre Rissient, premier assistant de Godard. Précisant encore :

« Au départ le chef opérateur d’À bout de souffle ne devait pas être Raoul Coutard mais Michel Latouche, un type très sympathique qui avait fait la photographie des courts métrages de Godard. Mais le CNC a coincé. Ils n’ont pas voulu faire une seconde exception avec lui, qui n’avait pas encore signé la photo d’un long métrage. C’est là que Pignères, très peu de temps avant le début du tournage, a amené Raoul Coutard. Cela s’est passé extrêmement vite entre Godard et Coutard, qui se sont bien entendus dès qu’ils ont commencé à travailler ensemble. Coutard était parfaitement adapté à un film comme À bout de souffle car il avait travaillé comme reporter de guerre en Indochine : il pouvait tourner avec très peu de lumière, il était adroit avec la caméra portée à l’épaule, prêt à se dissimuler dans une boîte pour les prises de vues dans la rue. »

De la Nouvelle Vague à Louis de Funès

« Frustre », peut-être, mais sacrément avisé, perspicace. On le vérifie dans un tout autre registre quelques années plus tard. Quand le scénariste et le réalisateur Jean Girault sollicitent le producteur Raymond Danon pour le Gendarme de Saint-Tropez, celui-ci répond préférer Darry Cowl à Louis de Funès, pour le premier rôle et un film en noir et blanc. Or, non seulement Darry Cowl refuse, mais les auteurs tiennent à la couleur, à même de retranscrire la lumière et l’ambiance tropéziennes, bien qu’elle représente un surcoût. Sollicités, René Pignères et Gérard Beytout acceptent. Et Louis de Funès, et la couleur, rapporte Bernard Dicale, auteur de plusieurs ouvrages sur l’acteur. « Pour Le Gendarme de Saint-Tropez, on ne m’a pas donné des moyens américains, mais je dois reconnaître que les producteurs ont fait un gros effort. Malgré cela, il m’a fallu tourner très vite, sans possibilité de refaire des plans après la projection des rushes. C’est le grand désavantage que nous avons en France » admettra pour sa part Jean Girault dans un entretien Cahiers du Cinéma.

Suivront encore des films de Claude Chabrol, Godard (encore), Jacques Rivette, Pierre Granier-Deferre, Robert Enrico, ou encore Jacques Deray avec le si troublant La Piscine. De nos jours, la société et _ surtout _ son catalogue appartiennent au groupe M6. René Pignères, pour sa part, est décédé en novembre 1973. En 1966, il avait été fait chevalier de la Légion d’honneur. Dans le mémoire de proposition rédigé pour le compte du ministère des Affaires culturelles, on lit :

« A la tête de Sociétés de production et de distribution de films à Paris, Alger et Casablanca, a produit, co-produit et distribué un très grand nombre de films dont certains ont connu un grand succès. Il a produit dernièrement des œuvres très appréciées, qui font honneur au cinéma français. C’est en tant qu’industriel cinématographique que sa candidature est proposée. A cet égard, sa réputation et sa rectitude sont unanimement reconnues. »

Ph.M.

Sources : Archives nationales, Archives départementales du Lot, site Gallica-BNF, site Arte-TV.

Source de l’article original : Medialot

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