Saïd Ben Saïd, producteur résolument cinéphile

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SAID BEN SAID
SAID BEN SAID
 

Depuis qu’il a créé SBS Productions, en 2010, il a produit David Cronenberg, Paul Verhoeven, Philippe Garrel ou encore le prochain Bacri-Jaoui. Qui est cet homme secret à l’étonnant palmarès ? Nous l’avons suivi à Belfort, où sa passion pour le cinéma d’auteur lui a valu les honneurs du Festival Entrevues qui s’achève le 3 décembre.

Il attire la lumière autant qu’il la fuit. Invité d’honneur du Festival Entrevues de Belfort, qui s’achève dimanche 3 décembre, le producteur Saïd Ben Saïd y a promené avec la discrétion de l’homme invisible sa grande silhouette de quinqua juvénile, enveloppée dans un pardessus hivernal. Devant le micro, s’adressant au public et aux élus locaux le soir de l’ouverture, il s’est dit lui-même intimidé. Mais si sa voix n’a pas porté, elle a, à coup sûr, marqué : basse, lente et douce, toute en mesure, au bord du silence, cette voix est celle d’un intellectuel. C’est sans doute là la clé du phénomène d’attractivité qu’est devenu Saïd Ben Saïd : dans un monde du cinéma qui semble ne plus parler qu’en chiffres, soumis à la loi du marché, ce producteur fait spontanément résonner d’autres valeurs. Attentif et réfléchi, il donne l’image d’un entrepreneur méditatif. Son film étendard, Elle, était à la fois un magnifique coup et une hypothèse de cinéma très bien pensée, reliant la risque-tout Isabelle Huppert et l’intrépide Paul Verhoeven pour créer une constellation inédite dans le ciel trop tranquille du cinéma français.

A Belfort, Saïd Ben Saïd a mis en avant ses passions de spectateur à travers une carte blanche qui faisait se croiser Raoul Walsh, Hong Sang-Soo, Jean Grémillon et d’autres grands en un circuit inattendu, très stimulant. Accompagné du critique et historien Jean Douchet, le producteur cinéphile a fait revivre l’esprit enthousiaste des ciné-clubs, le goût de l’échange et du questionnement. Bien mieux qu’un grand discours, cette manière de revenir au plaisir de voir les films et d’en discuter montrait comment Saïd Ben Said aborde son métier. Sans dogmatisme, sans idées toutes faites, en passeur inventant de nouveaux moyens de transmettre l’amour du cinéma. Il nous parle de son parcours et de ses choix.

La reconnaissance dont vous bénéficiez est-elle le signe que vous représentez un élan nouveau pour le cinéma d’auteur ?

C’est conjoncturel, il se trouve que j’ai produit, en 2016, Elle et Aquarius, qui ont été montrés à Cannes puis dans d’autres festivals : ce sont plutôt les auteurs de ces films, Paul Verhoeven et Kléber Mendonca Filho, qui ont créé un élan. Si j’avais à me définir, je dirais que je suis un producteur français dont la géographie est celle du cinéma indépendant international. D’autres producteurs ont affirmé, avant moi, une ambition semblable, et certains m’ont particulièrement inspiré. C’est le cas de Jeremy Thomas, qui a su créer des liens entre le cinéma d’auteur américain et le cinéma d’auteur européen en produisant Nagisa Oshima, Bernardo Bertolucci, David Cronenbert, Nicolas Roeg, Jim Jarmusch et bien d’autres réalisateurs encore. Ce qui me distingue peut-être un peu des autres producteurs, c’est que je viens de la cinéphilie. C’est une voie qui mène à la critique ou à l’écriture de scénarios et à la réalisation, mais rarement, en France, au métier de producteur.

Comment votre cinéphilie s’est-elle construite et comment se définit-elle ?

Je suis né et j’ai grandi en Tunisie. Pendant mon adolescence, j’ai découvert beaucoup de grands films grâce à un ami de mes parents qui était attaché militaire en Belgique : très gentiment, ce diplomate marocain enregistrait pour moi les films programmés au Cinéma de minuit (sur FR3) et aussi les classiques que montrait la RTBF. Chaque mois, je recevais un énorme carton de cassettes VHS qui arrivait par la valise diplomatique, plein de films ! C’est comme ça que j’ai pu découvrir Comanche Station de Budd Boetticher (1960), Wichita (1955) de Jacques Tourneur, des films de Howard Hawks et de John Ford ou même House by the River (1950) de Fritz Lang. C’était ma première période cinéphile, je retenais alors les noms des acteurs, Dana Andrews, James Stewart, Aldo Ray, Glenn Ford, Henry Fonda, que j’aimais beaucoup. Progressivement, j’ai su les noms des réalisateurs.

Quand je suis arrivé en France, en 1984, à l’âge de 18 ans, je me suis mis à lire les Cahiers du cinéma, je suis allé écouter Jean Douchet, j’ai fréquenté la Cinémathèque française. C’est  la cinéphilie des Cahiers qui m’a formé. En France, j’ai découvert des cinéastes qui étaient inconnus pour moi, Kenji Mizoguchi, Ingmar Bergman, Carl Theodor Dreyer, Satyajit Ray, puis Jean Grémillon, dont Serge Daney parlait beaucoup. Aujourd’hui, je reste un spectateur cinéphile passionné. Dans le programme que le Festival de Belfort m’a proposé d’imaginer, j’ai fait place à un cinéaste américain qui me tient particulièrement à cœur, Bennett Miller, l’auteur de Foxcatcher (2014). Je vais montrer Le Stratège (2011), son film qui parle du rapport obsessionnel à l’échec. Un thème qui me touche forcément beaucoup en tant que producteur !

Avez-vous abordé le métier de producteur en vous appuyant sur vos passions de cinéphile ?

Produire des films a été pour moi une façon de continuer à en voir et, donc, un prolongement de ma cinéphilie. J’ai voulu travailler avec des cinéastes dont le travail comptait pour moi. A Belfort, j’ai aussi choisi de montrer Le Lieu du crime (1986), un film d’André Téchiné qui m’a beaucoup marqué. Il est le premier cinéaste que j’ai produit quand j’ai commencé à UGC : Loin (2001) a marqué le début de notre collaboration. J’ai aussi produit, à UGC Inju : La Bête dans l’ombre (2008) de Barbet Schroeder, un cinéaste que j’admire. Et puis, un jour, j’ai décidé de devenir mon propre patron. J’ai alors produit aussi bien Roman Polanski (Carnage, 2011) que Brian De Palma (Passion, 2012), David Cronenberg (Maps to the stars, 2014) ou Philippe Garrel (La JalousieL’Ombre des femmes) et, aujourd’hui, les prochains films de Ira Sachs et de Naday Lapid.

Est-il toujours possible, aujourd’hui, d’affirmer une ambition cinéphile en tant que producteur ?

Oui, mais il faut trouver une logique de production adaptée et rentable pour chaque film. Chaque nouveau projet est une nouvelle équation pour le producteur, c’est ce qu’il y a de stimulant et d’excitant dans mon métier. Avec Philippe Garrel, nous avons appliqué la même recette aux trois films que nous avons fait ensemble et qui forment d’ailleurs un triptyque : La Jalousie (2013), L’Ombre des Femmes (2015) et L’Amant d’un jour (2017) : un tournage à Paris en vingt jours, avec une équipe très réduite, en noir et blanc et des répétitions pendant les six mois qui précèdent le tournage. Aucun de ces films n’a été déficitaire.

Le cinéma français d’auteur français est-il en difficulté ? Les résultats en salles ne sont plus les mêmes, un succès public semble plus de plus en plus difficile à atteindre…

Le marché a beaucoup changé. Les très gros succès sont devenus encore plus performants. Mais les films d’auteur qui atteignaient régulièrement les 300 000 entrées font plutôt autour des 150 000 maintenant. Il y a toutes sortes de façons d’expliquer cette situation, mais il est sûr qu’Internet et le piratage ont joué un rôle important. Il se passe, en gros, pour le cinéma ce qui s’est passé pour la musique avec la chute des ventes d’albums, causée par le piratage. On dit qu’il ne touche pas les films d’auteur, c’est faux. Bien sûr, les productions comme Avengers sont mille fois plus impactées, mais les films d’auteur le sont aussi. J’espère que l’offre d’Internet va devenir de moins en moins illégale mais on ne prend pas vraiment ce chemin en France ou, en tout cas, lentement. Je vais toutefois arrêter de me plaindre car l’industrie cinématographique française est quand même très bien protégée quand on la compare à toutes les autres.

Comment voyez-vous le cinéma français aujourd’hui ?

Il est riche, tonique et vivant tout en étant très insulaire. C’est parfois pour moi une sphère très asphyxiante et je parle aussi bien de l’industrie que des films que je vois. Il y a malgré tout de jeunes cinéastes très étonnants. L’année dernière, c’était Léa Fehner avec Les Ogres, et cette année Hubert Charuel avec Petit Paysan. La partie la plus inventive du cinéma français est décidément celle qui vient du journal intime, du carnet de bord et qui, pour dire les choses un peu vite, va des Quatre Cents Coups (1959) et Pickpocket (1959) à L’Heure d’été (2008) et Eastern boys (2013).

En allant chercher Verhoeven pour réaliser Elle, faisiez-vous le constat d’un renouvellement nécessaire dans le cinéma français ?

Pas du tout. Verhoeven fait tout simplement partie de ma mythologie cinéphilique. Starship Troopers (1997), c’est vraiment l’épicentre de ma cinéphilie. J’avais donc forcément envie de travailler avec lui et il m’a semblé que le projet de Elle était réellement fait pour lui. C’est l’adaptation d’un roman de Philippe Djian mais la sensibilité de Verhoeven s’y retrouve directement. Par ailleurs, j’aime produire des films en France et hors de France et lorsqu’un cinéaste étranger comme Verhoeven vient filmer la société française, cela me plaît car ce mélange conduit forcément à un film différent. Le nouveau film de Nadav Lapid, qui est tourné en ce moment à Paris, sera aussi un film français assez singulier.

Source : Télérama – Frédéric Strauss

 

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