De l’audace, encore de l’audace… Voilà ce qu’il manque aux séries françaises

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Le 6 juin dernier s’est tenue la troisième soirée de remise des prix de l’ACS (l’Association française des Critiques de Séries) dont l’auteure de ces lignes fait partie. Au cours de cette soirée, Le Bureau des légendes a remporté le prix de la meilleure série après Dix Pour Cent et P’tit Quinquin respectivement en 2016 et 2015. Une récompense largement méritée tant la troisième saison de ce thriller romantique d’espionnage, chapeauté par Éric Rochant, est réussie en tous points.

Cette jeune association, qui s’est créée il y a à peine plus de deux ans, est née de la volonté de mettre en exergue ce qu’il se fait de mieux dans l’Hexagone. Les Revenants avec leur mélancolie teintée de métaphysique, 3 x Manon, Ainsi soient-ils, Pigalle la nuit, Fais pas ci, Fais pas ça et quelques autres laissaient naître l’espoir de voir émerger une fiction française à part entière, qui trouverait enfin ses lettres de noblesse. Bref, c’était la fête.

EN QUÊTE D’IDENTITÉ

Si on ne regarde que les chiffres, notre création se porte plutôt bien. Depuis qu’il n’y a plus de séries américaines comme Dr House, Les Experts, Mentalist ou Urgences pour lui mettre la tête sous l’eau, la fiction hexagonale respire à nouveau. D’ailleurs en 2016, les meilleures audiences de séries ont été réalisées par des productions maison, toutes sur TF1 et avec dans le top 3 : Le Secret d’Élise à 8,4 millions de téléspectateurs, Sam à 8,3 et Section de recherches à 7,9. Des chiffres plus qu’honorables pour des séries… déprimantes. Force est de constater qu’une « french touch sérielle » peine à émerger.

Il serait absurde de vouloir comparer notre fiction à la concurrence US. Forgées à l’efficacité du fordisme, les séries américaines s’épanouissent dans un système de financement et de production trop bien huilé pour nous, petits artisans. Nos créations cependant – même si elles peinent encore à tenir le rythme désormais imposé d’une saison par an – bénéficient de budgets de plus en plus conséquents. On tourne autour d’un million d’euros par épisode par exemple pour un drame de 52 minutes sur Canal+. Mais même si c’est le nerf de la guerre, nos concurrents européens prouvent que tout ne se joue pas uniquement autour du montant de la cagnotte.

Pas de sous mais des idées, dans le Nord de l’Europe un savoir-faire est né. Sans disposer de moyens mirifiques, les pays scandinaves ont su imposer leur marque ces dernières années en créant leur propre genre, le fameux « Nordic Noir ». Il tire son essence d’une littérature locale à succès mondial (Millenium qui était une série avant de sortir sous forme de trois longs métrages en France) tout en perpétuant l’héritage du genre noir (Bron, The Killing…). Avec ce savant mélange, le Nordic Noir s’inscrit pleinement dans la culture et les paysages scandinaves, dont la superbe côtoie la brume. En gros, ça a de la gueule. Ce ne sont pas de simples séries qui s’exécutent « à la manière de… ». Le Nordic Noir a su créer son propre mythe : un meurtre dingue, une enquête nébuleuse et des héros dysfonctionnels et torturés qui s’enferrent dans une affaire qui vire à l’obsession. Poisseux et tordu comme il faut.

ZÉRO CONCEPT

Et chez nous, où sont les concepts forts ? Où est l’ambition ? Difficile d’imaginer que dans l’Hexagone, qui s’enorgueillit de son exception culturelle, on ne puisse pas livrer ne serait-ce qu’une œuvre qui fasse séisme. Saura-t-on un jour méduser toute une génération comme Twin Peaks en son temps ? Et sans faire un énième ersatz dénaturé du chef d’œuvre de David Lynch et Mark Frost (les coupables se reconnaîtront). La télé câblée américaine a su se réinventer avec ses anti-héros comme Don Draper, Walter White, Tony Soprano… Elle a ouvert la voie à de jeunes auteurs pétris de talent comme Lena Dunham (Girls) et Donald Glover (Atlanta), tous deux récompensés par les Golden Globes. Les Anglais restent on ne peut plus anglais. Preuve en créativité à l’appui. Malgré des budgets modestes, ils ne cessent de nous épater avec des concepts fous, variés et culottés comme Utopia, Black Mirror, Misfits, Chewing Gum et Fleabag ou juste en recyclant des classiques de la littérature comme Sherlock mais avec panache. Ici, a-t-on un seul objet de culte qui traverse les âges comme Doctor Who ?

Depuis Les Revenants et leur créateur/réalisateur Fabrice Gobert, quelles séries françaises nous ont laissés bouche bée et mis plein la vue ? Quelles sont celles qui à l’image de Legion, Utopia, American Gods proposent une réalisation d’auteur stylée, où l’image tient un rôle prépondérant dans la narration de l’histoire ? Ne peut-on pas imaginer quelque chose d’original, une fois ? Hervé Hadmar (Les Témoins) est le seul réalisateur de séries en France qui met un point d’honneur à donner une réelle identité à son image. Sa patte est reconnaissable entre mille. Ambiance atmosphérique, immensité du territoire, visages serrés au plus près, cadrages anxiogènes qui créent une sensation d’étouffement… Il a sa propre signature. Pas étonnant d’ailleurs de le voir récompensé cette année par le prix ACS de la meilleure réalisation pour Au-delà des murs. Dans cette mini-série fantastique co-écrite pour Arte avec Marc Herpoux, Hadmar met en scène un conte qui oscille entre le merveilleux et l’horrifique. Il a réalisé un véritable bijou d’angoisse en filmant les méandres d’une vieille maison abandonnée. Une bâtisse vivante qui regorge de pièces et de vestibules s’enchaînant à l’infini, sans fenêtre ni aucune échappatoire et peuplée de créatures aussi mystérieuses que terrifiantes. So… yes, we can.

PLUS DE DIVERSITÉ

À quelques très rares exceptions près, on ne peut que constater à quel point les séries françaises font pâle figure. Seule Cherif sur France 2, série policière dramatico-romantico-méta, sympathique mais pas décapante, a le mérite de présenter un héros arabe campé par Abdelhafid Metalsi. Plus belle la vie aussi s’attache à représenter la population française dans toute sa diversité mais le soap quotidien de France 3 – on le sait bien – ne rentrera jamais au panthéon des séries. De son côté, Canal+ a tenté une aventure un peu hors normes avec Guyane, mais on est encore avec des héros blancs qui viennent se frotter à la vie sauvage (et ceux qui la composent…) pour la fièvre de l’or. Quant à la co-production franco-britannique Meurtres au paradis, diffusée sur France 2, on ne pourrait la qualifier autrement que de doudouiste tant elle accumule les clichés et ne livre qu’une version folklorique des Antilles. À l’image du reste de la télé française, notre fiction ne voit pas la vie en couleurs. Et pourtant… Scandal, Luther, How To Get Away with Murder, Fresh Off the Boat, Jane The Virgin… Toutes ces séries portées par des actrices et acteurs de toutes origines n’ont plus rien à prouver en termes de réussite et de qualité. Qu’est-ce qui nous retient d’en faire autant ?

Puisqu’on évoque la diversité, se pose aussi la question de la diversité des genres. Il faudrait demander un moratoire pour suspendre la surproduction de fictions policières. Caïn, Section de recherches, Profilage, Candice Renoir, Glacé, Capitaine Marleau… À croire que l’uniforme serait le fantasme ultime de la fameuse ménagère de moins de 50 ans. Quand les chaînes vont-elles oser poser un orteil dans des territoires inconnus ? OCS vient enfin de s’essayer à une série de pure science-fiction avec Missions. Et malgré un budget plus que restreint (1,5 million d’euros pour dix épisodes de 26 minutes), le résultat tient la route et prouve que ce n’est bel et bien qu’une question de bonne volonté. Si Missions n’est pas le Star Trek ou le BSG français, la série pose des bases suffisamment solides pour donner envie de voir plus loin.

DE L’AUDACE !

Pour que ce petit miracle s’accomplisse – l’apparition de séries que le reste du monde nous convoiterait – il faudrait des directrices et directeurs de la fiction qui osent miser sur l’intelligence du spectateur. Et des directions qui acceptent de les soutenir quand certains projets peinent à trouver leur public, en leur laissant du temps, sans les bazarder (parfois) à coup de trois épisodes en une soirée. Encore faudrait-il que les chaînes ne cherchent pas à tout prix à satisfaire le petit confort pantouflard des téléspectateurs en appliquant toujours les mêmes recettes qui marchent. À son arrivée à la tête de France Télévisions en septembre 2015, Delphine Ernotte avait clairement exprimé sa volonté de voir la France rattraper son retard en matière de séries. « Est-ce que vous trouvez normal qu’on n’ait pas en France une série comme House of Cards, Homeland, Game of Thrones, qui soit mondialement connue ? Ce n’est pas normal, on a tous les talents », avait-elle alors déclaré au micro d’Europe 1. Le ton était donné. Mais aujourd’hui encore, on attend la réalisation de ces belles promesses.

On a besoin en France de dirigeants qui osent. À l’image d’un Chris Albrecht qui a su imposer la marque HBO. On lui doit en grande partie d’avoir fait rentrer les séries américaines dans un nouvel âge d’or en mettant à l’antenne Les Soprano, Sex and The City, Six Feet Under, The Wire… Aujourd’hui à la tête de Starz, il a su faire passer les ambitions de la chaîne à un niveau supérieur avec des drames tels que Boss, The Girlfriend Experience et dernièrement American Gods. On peut aussi s’appuyer sur l’exemple de Stephen McPherson qui a su faire rebondir la grille d’ABC avec Lost ou Desperate Housewives, s’il faut regarder du côté d’une chaîne grand public. Bref, il nous faut des directeurs de fiction ambitieux et visionnaires. On le voit bien par à-coups, les talents ne manquent pas en France. Mais la volonté ?

Source : Emilie SEMIRAMOTH / Vanity Fair

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