Teresa Cremisi : « Nous aidons les cinéastes à aller au bout de leurs rêves »

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Teresa Cremisi
Teresa Cremisi
 

Ces films n’auraient pas vu le jour sans votre appui ?

Peut-être que si, mais ils n’auraient à coup sûr pas été pareils. Avec notre enveloppe de 30 millions d’euros par an, nous avons les moyens de soutenir les films de manière décisive. De nombreuses oeuvres actuellement ou prochainement à l’affiche ont obtenu l’avance sur recettes : « Bang Gang “, le premier long-métrage d’Eva Husson, « Je vous souhaite d’être follement aimée » d’Ounie Lecomte, « Les Premiers, les Derniers » de Bouli Lanners, « Tempête » de Samuel Collardey, ou « Forbach For Ever » de Marie Dumora. Ces deux dernières années, 112 projets ont reçu l’avance sur recettes avant réalisation sur 1.200 qui l’ont sollicitée. C’est bien sûr une aide très sélective, mais elle permet aux élus d’aller jusqu’au bout de leur rêve. 90 % des projets soutenus se réalisent. En moyenne, un projet reçoit 480.000 euros, bien que les sommes varient considérablement, de 100.000 à 700.000 euros. Ce qui est essentiel, c’est que nous sommes souvent le premier « guichet ” que le réalisateur, accompagné du producteur, sollicite en tout début de projet. Décrocher l’avance sur recettes avant réalisation peut débloquer d’autres financements, comme celui des régions, devenu primordial dans le cinéma français.

S’agit-il surtout d’aider de nouveaux talents ou de pérenniser des créateurs plus confirmés ?

Les deux. Sur les 55 longs-métrages aidés en moyenne chaque année, vingt sont des premiers films. 7 % des projets de premier film qui nous sont présentés décrochent l’avance sur recettes, contre 11 % des autres. Pour les nouveaux talents, savoir qu’ils sont soutenus par une communauté intellectuelle attentive à la création est un propulseur déterminant. L’avance est, pour eux, le rayon de soleil qui permet à la fleur d’éclore. Ce qui est remarquable dans ce système, que nous envient les Italiens et bien d’autres, c’est que des petits films à 400.000 euros portés par de jeunes artistes habités par une histoire à raconter obtiennent la même attention que des gens très expérimentés. Durant mes deux premiers mois à la présidence, j’ai vu défiler des réalisateurs novices, au même titre que Michael Haneke, Alain Cavalier ou André Téchiné. Chacun a 15 minutes, pas plus, mais pas moins, pour parler de son projet. Inconnus ou célébrités, tous peuvent prétendre à notre soutien dès lors qu’ils ont un ou des producteurs. Ils se défendent avec les mêmes armes, ont le même temps de parole. Ce sont les mêmes oreilles des 48 membres qui les écoutent ! C’est un très beau symbole. Et même les recalés n’ont pas tout perdu : non seulement ils peuvent se représenter, mais ils profitent également de nos conseils. Aux auteurs de projets pas tout à fait aboutis, nous disons : revenez après avoir développé tel personnage, levé telle confusion, etc. Comme pour un manuscrit dans une maison d’édition…

Certains films déjà réalisés peuvent aussi être aidés. En quoi consiste ce soutien ?

Alors que l’aide avant réalisation relève du premier collège pour les premiers films et du deuxième pour les autres, le troisième, que je préside avec la vice-présidente Sylvie Pialat, la productrice de « Timbuktu », se charge de l’avance après réalisation. Elle permet aux films presque terminés d’obtenir un coup de pouce final, afin de financer les derniers détails. Cela leur évite souvent de finir dans le rouge. On se réunit chaque mardi pour visionner deux ou trois de ces oeuvres presque abouties. Sur une centaine de films projetés durant la présidence précédente de Serge Toubiana en 2014 et 2015, 43 en ont bénéficié. Le montant moyen attribué est naturellement inférieur à celui des oeuvres pas encore réalisées : autour de 100.000 euros.

On vous reproche souvent de vous concentrer sur l’aspect purement artistique des projets et de ne pas considérer leur financement ou leur rentabilité ?

Je ne sais pas ce que faisaient mes prédécesseurs, mais, moi, je pose systématiquement la question du financement à la fin des 15 minutes d’audition. Sans doute parce que je suis encore assez ignorante de ces aspects techniques, alors que les équipes confirmées du CNC savent décrypter les notes d’intention, décortiquer les devis fournis. Je sais à quel point un film est coûteux par rapport à un livre, qu’on peut réaliser avec 3.000 euros ou même moins. En France, un film coûte en moyenne pas loin de 4 millions d’euros. J’ai toujours une pensée émue pour les producteurs qui jouent le plus dans l’affaire. Ils passent leur temps à jongler entre les financements. C’est, entre autres, ce qui donne un côté très romanesque à ce métier. Non seulement le puzzle est difficile à assembler entre les fonds à avancer, la disponibilité des artistes désirés au moment du tournage, et, mais il est aussi extrêmement risqué et coûteux en argent, en énergie et en réputation.

Vous ne venez pas du cinéma et vous succédez, à la présidence de l’avance, à de nombreux éditeurs (Christian Bourgeois, Paul Otchakovsky-Laurens, etc.). Est-ce la réponse du CNC aux critiques qui dénoncent le milieu très consanguin de l’avance sur recettes ?

C’est un ami très cher, l’éditeur Paul Otchakovsky, qui m’a convaincue d’accepter le poste. Il m’a dit qu’on travaillait énormément, mais que j’allais bien m’amuser à confronter mon point de vue avec celui des personnalités très diverses qui peuplent les trois collèges. Leurs membres ne sont pas tous des cinéastes, des producteurs, des monteurs et des gens qui baignent dans le cinéma; ils viennent aussi de l’édition, de la littérature, de la bande dessinée, du théâtre, du spectacle vivant. Et, pour la première fois, 55 % de la commission est composée de femmes. Depuis ma prise de fonctions, je l’ai déjà constaté durant les longues séances plénières, les comités de lecture, les auditions : nous portons tous des expériences différentes et nos éclats d’expériences se coalisent autour de films que quelques-uns défendent avec passion, parfois contre l’avis général. Il y aurait moins de désir s’il ne s’agissait que de copinage. C’est vrai que je reçois parfois sur mon répondeur des messages me demandant d’aider tel projet de connaissances, mais ça m’est égal. Comme je ne suis pas consanguine, j’ai ici une liberté totale de décision. En me nommant, la présidente du CNC, Frédérique Bredin, m’a demandé d’être libre. Je le suis, non par vertu, mais parce que je n’ai jamais su faire autrement !

On reproche souvent à l’avance sur recettes de privilégier les films d’auteur pointus, au détriment des comédies qui peuvent plus facilement compter sur d’autres types de financement, ou encore de l’animation. Tous les genres ont-ils leurs chances ?

Bien sûr. De temps en temps, j’entends dire qu’il ne faudrait pas aider tel film parce qu’il peut se débrouiller sans nous. Je ne veux pas l’entendre ! Que les projets soient souriants ou tristes, ils méritent tous d’être aidés à condition d’avoir prouvé leur force créative et d’avoir su convaincre un ou des producteurs. C’est certain que nous avons moins vocation à soutenir des grands films d’aventure à gros budget à la « Indiana Jones », mais je ne nous interdis rien. Mon expérience d’éditeur m’a appris que l’on ne sait jamais ce qui va plaire. Et si, historiquement, les films d’animation ont reçu moins d’aides, alors qu’ils sont l’un des points forts de la France, c’est simplement parce qu’il y a relativement moins de projets présentés.

270 films sortent en France par an. N’est-ce pas trop ?

Cela nous donne du travail, puisque beaucoup nous demandent des aides, mais je suis habituée, il est courant qu’un éditeur reçoive des milliers de manuscrits par an. Non, on ne produit pas trop. Dans le lot, il n’y a pas que des chefs-d’oeuvre, mais le système permet à la France de conserver un cinéma bien vivant, qui lui ressemble, contrairement à d’autres pays européens. La loi Lang a permis de sauver le livre. L’avance sur recettes du CNC, créée par Malraux en 1960 et, plus globalement, le système de financement hexagonal font la même chose pour le cinéma. Ils assurent la diversité de la création contemporaine. Et soutiennent une industrie très importante pour l’économie nationale.

Entre la prise de pouvoir de Bolloré chez Canalet les critiques adressées à la télévision publique, qui préférerait aider les séries que les films, beaucoup d’inquiétudes s’expriment sur l’avenir des financements en France. Partagez-vous ce pessimisme ?

C’est une réalité. Si le cinéma français n’a pas été, jusque-là, mal loti, il est tout à fait possible que les sources de financements soient moins généreuses ces prochaines années, qu’elles viennent des grosses machines privées ou publiques qui traversent une période chamboulée. C’est la crise, il faut en tenir compte, on fera avec.

En 2015, la palme de la rentabilité n’est pas revenue aux comédies populaires, mais à des films d’auteurs à petit budget comme « La Loi du marché “, « Mustang » ou le documentaire « Demain “. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Cela me fait très plaisir. Dans toute industrie culturelle, il y a des années où de petites découvertes, qui n’ont pas demandé de lourds investissements, font un tabac par rapport aux valeurs établies et coûteuses. Mais cela ne veut pas dire que cela sera encore le cas l’an prochain. Ainsi va la vie dans nos métiers. Ces toboggans en font la beauté, même s’ils donnent parfois le vertige !

Source : Les Echos – Isabelle Lesniak

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