Roschdy Zem : « Etre acteur, ce n’était pas pour les enfants d’immigrés »

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Je ne serais pas arrivé là si…

Roschdy Zem à Cannes en mai 2010. | JEAN-PAUL PELISSIER/REUTERS

… ma mère n’avait pas eu la bonne idée de quitter le Maroc avec mes deux frères et ma sœur, pour rejoindre mon père en France. Il était ouvrier sur les chantiers depuis cinq ans, il vivait dans un bidonville à Nanterre et ne se voyait pas y accueillir sa famille. Ma mère, lasse de l’attendre, a fait le forcing. Je suis le premier des cinq enfants nés en France. Cela a complètement changé ma destinée. La vie d’un jeune dans la campagne marocaine, c’était la vacuité de l’ambition. Ma mère était une femme extrêmement courageuse et ouverte d’esprit, qui a voulu apprendre à lire et écrire, qui a élevé ma sœur à la française, pour qui notre réussite scolaire était déterminante. De mes 18 mois à mes 5-6 ans, pour me sortir du bidonville, j’ai été placé dans une famille belge catholique. Le flamand a été ma première langue ! Cela m’a marqué, pas traumatisé. Mais je crois que pour ma mère, il en est resté une culpabilité, même si elle n’y était pour rien. J’étais le chouchou. Si j’avais voulu devenir astronaute, elle m’aurait encouragé.

Vous aviez donc l’obligation de réussir à l’école ?

J’avais des résultats corrects, mais je n’ai pas fait d’études. L’école m’a arrêté. J’étais admis en première G3, techniques commerciales. Mais après la seconde, mon lycée de Drancy (la ville de Seine-Saint-Denis où j’ai grandi) n’avait « pas de place » pour moi. Pourtant j’avais 12 ou 13 de moyenne, je n’étais pas perturbateur, je n’ai jamais mis les pieds de ma vie dans un commissariat, sauf pour les tournages. Je n’ai pas trouvé de lycée. C’était la violence de l’époque. Dès la quatrième, les enseignants poussaient les enfants d’immigrés à partir apprendre un métier. Ma mère s’est battue pour que je puisse intégrer une première. En vain. Ma première réaction, ça a été de m’engager dans l’armée. Je m’étais senti rejeté, humilié, mais je n’en voulais pas à la France. Ma mère était invalide, soignée gratuitement, je sais que dans son pays d’origine, sans cette dialyse quasi quotidienne, elle n’aurait pas survécu. La France, c’est le pays qui m’a permis de vivre avec ma mère pendant trente ans.

Quels souvenirs gardez-vous de votre enfance et jeunesse en cité, à Drancy ?

Dès 15 ans, j’avais une voix au fond de moi qui me disait : il faut que tu te sauves d’ici. Il y avait quelque chose d’assez joyeux. Une vie de village, plein de copains, le foot, les journées dans les escaliers à fumer des cigarettes et parler musique, les concerts rock dans le coin, les vacances municipales en Hongrie, pour 500 francs – à 12 ans, j’étais communiste ! Mais à l’aube de l’adolescence, l’ambiance est devenue glauque : l’héroïne est arrivée. Elle a fait beaucoup de dégâts. Les overdoses, le sida, j’ai perdu des amis. Je craignais trop mon père et surtout mes deux grands frères, pour faire un pas de travers. Cette mainmise sur moi, et l’amour de ma mère, ça a été salvateur. Un équilibre. Aujourd’hui, on en rigole avec mon frère qui est le type le plus doux du monde.

Vous avez donc commencé à travailler très jeune ?

À 17 ans. Je ne voulais pas être un poids pour mes parents. Mon père faisait un travail épuisant, toute la journée sur un échafaudage, avec un courage extraordinaire. J’en sais quelque chose, j’ai travaillé avec lui. Je rentrais, je me couchais directement. Lui, c’était une force de la nature. Le premier médecin qu’il a vu, c’était deux heures avant sa mort. Ma mère invalide faisait des ménages chez les voisins… J’ai trouvé un job de vendeur de chaussures aux puces de Clignancourt. Au final, j’y suis resté dix ans. J’y ai trouvé une liberté – je travaillais du vendredi au lundi, j’étais libre le reste de la semaine. Une convivialité, aussi. Mon école de théâtre, ça a été les puces. On apprend à « scanner » la personne le plus rapidement possible et à adapter le discours. À la fin, j’étais capable de vendre du 43 à quelqu’un qui chaussait du 41, et même à celui qui me demandait simplement où était telle rue. Je l’embrouillais, c’était jouissif !

Comment arrivez-vous dans l’univers, qui semble si éloigné, du cinéma ?

Un jour, j’accompagne une copine à un cours, au théâtre Mogador. Sur la porte, il y a marqué « Actor studio ». Ca ne me dit rien, mais j’aime bien les deux mots. Je m’inscris. Et là je découvre une faune qui me fascine. Un monde de jolies femmes qui se prennent incroyablement au sérieux en travaillant un personnage et qui parlent de Shakespeare. Qui me disent que je devrais jouer Othello, le Maure de Venise, et moi j’entends le mort, je pense que c’est une blague. Je vais répéter chez l’une d’elle, la bonne nous apporte le thé. Je suis en plein Macadam cow-boy, je me sens complexé, imposteur, mais ça ne m’empêche pas d’avancer. Sans ambition réelle. Le ciné, ce n’est pas un truc pour nous, les enfants d’immigrés. Dans ma génération, celle des Jamel, des Sami Bouajila, nous avons pour seules références les Delon, Belmondo, Depardieu. Le seul acteur qui nous ressemble, c’est l’ouvrier algérien d’Elise ou la vraie vie (de Michel Drach), avec Marie-Josée Nat, mais on ne le revoit jamais après ce film. Nous avons été les premiers à devenir acteurs professionnels. Les Tahar Rahim, les Reda Kateb, après nous, savaient que c’était possible, ils étaient mieux armés. Mais à l’époque, dans ma cité, tout le monde se marre en m’appelant « l’acteur ». La seule personne qui y croit, c’est ma mère. Roschdy était le prénom de son acteur préféré, Rushdy Abaza, dans les années 1950. Le James Dean égyptien, pas tout à fait avec le même physique.

Comment décrochez-vous votre premier rôle ?

Je commence à faire des castings pour de la figuration. Je ne décroche jamais rien, même quand ils prennent des centaines de personnes. Jusqu’à ce qu’un assistant d’André Téchiné, dont le nom ne me dit rien, me fasse passer un bout d’essai. Face à Téchiné, je dis n’importe quoi, que j’ai déjà fait du théâtre, du ciné, joué dans Le Marginal d’Henri Verneuil, en me trompant de réalisateur (c’est Jacques Deray), que si on ne me voit pas à l’écran, c’est parce que la scène a été coupée au montage. Téchiné cherche quelqu’un de vierge dans le métier, et moi j’en fais des tonnes ! Il ne me croit pas et m’engage. Sur le tournage de J’embrasse pas, je suis en apesanteur, je découvre le ciné dans son aspect le plus éblouissant, avec Noiret et Béart sur le plateau, une ambiance chaleureuse. Évidemment, j’aime ça. Mais ensuite, plus rien pendant deux ans. La cassette VHS est dans le salon, maman est très fière, je retourne aux puces. Je passe au cuir. Mon ambition, c’est un jour d’acheter une boutique en dur pour ne plus subir l’hiver.

Jusqu’à votre rencontre avec le réalisateur Xavier Beauvois, en 1994…

C’est avec lui que je mets les deux pieds dans le métier. N’oublie pas que tu vas mourir, c’est un mois de tournage, toute la profession voit le film, il est sélectionné à Cannes. Dans sa façon de diriger, Beauvois laisse une place à l’improvisation. Je commence à m’épanouir. À me dire que j’aimerais continuer. Mais j’ai peur d’être déçu. Le soir de la montée des marches, je repars assez tôt pour pouvoir monter mon stand le lendemain aux puces… Heureusement, la demande des jeunes réalisateurs afflue, pour des rôles plus importants, je fais deux trois films par an, les puces s’éloignent. Je me bats contre moi-même pour refuser les rôles attendus, parfois très bien payés, pour ne pas m’enfermer à ne jouer que les fils d’immigrés. J’ai la lucidité de penser que sinon, je m’ennuierai, et j’ennuierai les spectateurs avant moi.

Depuis 2006, et le film Mauvaise foi, vous êtes également réalisateur. Qu’est-ce qui vous y a poussé ?

La vie d’acteur est remplie de vides. Des mois s’écoulent entre deux films. Il me fallait une occupation. J’ai écrit une comédie sur un couple, les producteurs l’ont trouvée convenable. Ils m’ont proposé de la réaliser. J’ai dit oui tout de suite, même si je ne savais absolument pas comment faire, parce que je me disais que si j’attendais, ils changeraient d’avis… Je n’y connais rien en lumières, en travellings, mais j’aime diriger les acteurs, faire en sorte qu’ils arrivent à l’émotion. J’ai cette générosité, cette patience, qui permettent de les aimer tels qu’ils sont, chacun requérant une attention particulière.

Vous étiez au Stade de France le 13 novembre au soir…

Oui, avec mon fils de 15 ans. J’ai eu peur. On a vite senti qu’il se passait des choses très graves. On ne pouvait pas quitter le stade. À un moment, il y a eu un mouvement de foule, tout le monde s’est mis à courir. Je me suis dit qu’heureusement, mon fils avait 15 ans et courait vite… Sur le chemin du retour, en scooter, il régnait une atmosphère assez effrayante, délétère. Je suis rentré vidé. Aujourd’hui, je pense constamment à mon père qui, quand il priait, fermait la porte. Je ne l’ai jamais vu. Il pratiquait en toute discrétion, comme la majeure partie des musulmans. A Drancy on était « les arabes », puis on a arrondi les angles en nous appelant « les beurs ». Maintenant, on est « les musulmans ». Il faut s’extirper de ça, c’est un piège ! Il faut que les médias cessent de nous demander de nous définir par rapport à nos convictions religieuses. Cessent aussi de se focaliser sur ceux qui sont dans l’outrance, l’ostentatoire. On crée une forme de phobie. Je vois l’impact que ça commence à avoir sur mon travail. Alors vous imaginez pour les gens ordinaires…

Qu’attendez-vous du gouvernement ?

Arrêter d’agir en réaction. Passer à l’action. S’inspirer des pays scandinaves pour l’éducation. On met toujours plus d’argent dans l’armée, la police. Et quoi pour l’enseignement ? Si en Seine-Saint-Denis, on avait des classes de 20 élèves au lieu de 40, si on leur donnait les meilleurs professeurs, pour éviter qu’ils craquent au bout de trois mois et ne soient pas remplacés, peut être qu’on éviterait qu’une population se perde, et s’accroche à ceux qui ont fait de la religion musulmane une secte ? L’avenir de la France passera par là. Et par la main que doivent tendre les entreprises aux jeunes. Quand je vois les chiffres des discriminations à l’embauche, je suis terrifié. Je me dis que notre pays se tire une balle dans le pied.

Source : Le Monde / Propos recueillis par Pascale Krémer

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