LA VÉRITABLE HISTOIRE DE « DIX POUR CENT »

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DIX POUR CENT SERIE
DIX POUR CENT SERIE
 

Dans la série « 10% », qui sera diffusée sur France 2 à partir de mercredi prochain, son personnage imagine un coup bas dans le but de « voler » Cécile de France à son collègue et d’éviter qu’elle ne passe à une agence concurrente. De même, dans la vraie vie, Bertrand de Labbey ne recule devant aucune astuce pour préserver Artmedia, la marque sur laquelle il règne en maître absolu depuis un quart de siècle. Bien qu’il ait fêté ses 77 ans il y a quelques jours, ce grand séducteur au sourire à la Robert Hossein ne compte pas céder de sitôt les rênes de la première agence de talents artistiques d’Europe. Une boutique encore très belle, qui représente des centaines de stars, de Gérard Depardieu à Jamel Debbouze en passant par Vincent Lindon, François Cluzet, Daniel Auteuil, Isabelle Adjani ou Alain Chabat. Elle occupe toujours une position dominante dans l’industrie du cinéma, mais il lui est de plus en plus difficile de la défendre. Elle doit compter avec la concurrence de nouvelles agences plus branchées. Et doit repenser le métier, l’élargir, l’adapter aux nouveaux modes de consommation de l’image. Pas facile quand des pointures maison font sécession, comme la numéro 2 Elisabeth Tanner au début du mois, et partent avec leurs acteurs les plus proches…

Bien sûr, les chiffres sont encore rassurants. « Si on regroupe Artmedia et sa sœur VMA (Voyez Mon Agent), on parle d’un ensemble qui réalise entre 8 et 9 millions d’euros de chiffre d’affaires, emploie une bonne dizaine d’agents et s’occupe de 900 talents. Nous ne nous débrouillons pas si mal ! » lance le doyen du métier, dont la profession admire l’éloquence et redoute les coups inattendus. « Il a inventé le billard à douze bandes », ironise un proche. Costume sombre porté avec tant d’élégance qu’il se passe de cravate, lunettes carrées classiques, Bertrand de Labbey reçoit en châtelain policé et affable dans le somptueux immeuble qu’occupe Artmedia dans le viie arrondissement de Paris. Fauteuils en cuir passe-partout, murs lambrissés, couloir interminable aux lumières tamisées : l’atmosphère tient plus de la société d’assurances que de la loge d’artiste.

Ce cadre vieille France est merveilleusement restitué dans « 10% » – une référence au pourcentage maximal que peuvent légalement toucher les agents sur les cachets des stars (cinéma, télévision, théâtre et publicité) –, la série la plus attendue de la rentrée. Le casting de cette fiction coréalisée par Cédric Klapisch fait déjà jaser. Cécile de France, Line Renaud, Françoise Fabian, Julie Gayet, Nathalie Baye, Laura Smet, Joey Starr, François Berléand ont accepté d’y tenir leur propre rôle, par amitié envers l’ancien agent d’Artmedia, Dominique Besnehard. C’est lui qui a eu l’idée de la série et l’a produite. Les privilégiés qui ont découvert le résultat début septembre au festival de La Rochelle ont été conquis par le piquant et la justesse des situations. « C’est criant de vérité ! » s’enthousiasme Laurent Grégoire, l’agent que s’arrache désormais le Tout-Paris. Patron d’Adéquat, il représente à 50 ans la jeune génération « bankable » : Omar Sy, Romain Duris, Marion Cotillard, Léa Seydoux, Gad Elmaleh… Il est, avec ses 4,4 millions de chiffre d’affaires, le concurrent le plus sérieux d’Artmedia, dans un milieu où on ne se fait pas de cadeau. Et depuis une tribune accusatrice en décembre 2012 dans Le Monde signée Vincent Maraval, les agents sont plus que jamais soupçonnés de faire flamber les salaires des acteurs, dont ils récupèrent une partie du cachet.

AVEC SON AGENT, ON NE PREND PAS DE GANTS

La série « 10% » dévoile avec humour les dessous peu glorieux de ce métier méconnu, source d’autant de fantasmes que de polémiques. Les collègues se cachent entre eux la rémunération de Guillaume Canet, soufflent dans les bronches de Françoise Fabian quand elle « bardotte » (comprenez, quand elle fait des caprices de diva), exploitent sans vergogne la jalousie entre stars. « Je me suis largement inspiré de l’atmosphère que j’ai connue durant mes vingt années chez Artmedia », avoue, entre poêlée de cèpes et entrecôte, un Dominique Besnehard visiblement ravi de l’intérêt des médias pour cette production qui lui ressemble tant. Il l’écrivait déjà dans son excellent ouvrage Casino d’hiver : « Face à un directeur de casting, les acteurs sont en permanence dans la séduction. Face à leur agent, ils prennent moins de gants. Leurs relations sont plus directes, plus entières, d’autant que ce sont eux qui les payent. »
Plus fusionnelles également. « Même si cette fidélité se perd, agents et talents font d’habitude un long bout de chemin ensemble », explique Christopher Robba, agent chez VMA. Nathalie Baye a même « transmis » Dominique Besnehard à sa fille Laura Smet. Tout comme Marlène Jobert à sa progéniture gothique Eva Green. Car les agents ne se contentent pas de négocier les contrats de leurs vedettes. Ils sont à la fois leurs principaux pourvoyeurs de rôles, leurs impresarios, leurs conseils juridiques et fiscaux, leurs assistants personnels, souvent leurs confidents, d’aucuns diraient leur psy.

Les multiples casquettes du salarié d’Artmedia sont joliment relatées dans Casino d’hiver. Un jour sur le tournage de Regarde les hommes tomber de Jacques Audiard, pour assister le pudique Jean-Louis Trintignant dans une scène délicate avec des prostituées. Un autre, à accompagner à Los Angeles Nathalie Baye, retenue par Steven Spielberg pour interpréter la mère de Leonardo DiCaprio dans Catch Me if You Can. Un troisième, à prendre l’avion pour Tel Aviv afin de sauver Pour Sacha, menacé par la brouille entre Sophie Marceau et Richard Berry. « Si on leur prend 10% de leurs cachets, les talents occupent bien plus que 10% de notre temps et de notre esprit », conclut Dominique Besnehard.

Le lien personnel à l’agent l’emporte donc, inévitablement, sur la fidélité à l’agence. D’où le tremblement de terre quand un manager quitte la boutique avec ses clients. Artmedia vit actuellement un tel psychodrame. Après « vingt-huit ans de bons et loyaux services », la numéro 2 Elisabeth Tanner a démissionné le 1er octobre pour créer Time Art. A presque 58 ans, son entourage la dit lassée d’attendre en vain une succession que Bertrand de Labbey n’est, en dépit de son discours, pas prêt à envisager. Exaspérée par les divisions qu’il se plaisait à entretenir entre elle et ses deux autres dauphines associées au capital – Claire Blondel et Isabelle de la Patellière. « Bertrand est un très mon manager pour les talents mais un DRH maladroit, il a tendance à passer à côté de ses collaborateurs », assène Dominique Besnehard, qui lui reproche son « manque de tissu humain ». Le départ d’Elisabeth Tanner est potentiellement ravageur : elle représentait 240 talents chez Artmedia. « Un certain nombre me suivent », se borne-t-elle à commenter, en conflit ouvert avec son ex-employeur.

UNE AGENCE BOUDÉE PAR LES QUADRAS

La profession parie avec délectation sur les défections de Sophie Marceau, Cécile de France, Nathalie Baye, Patrick Bruel, peut-être d’André Dussollier et Richard Anconina. Si Bertrand de Labbey s’efforce de relativiser – « des départs, on en a connus d’autres » –, il garde un souvenir cuisant du précédent de 2007. Faute de pouvoir évoluer en interne, Cécile Felsenberg et Céline Kamina étaient alors parties fonder Ubba, emmenant Gilles Lellouche, Guillaume Gallienne, Laurent Lafitte et Marina Foïs. « C’est de là que date notre faiblesse en comédiens quadragénaires », reconnaît le patron d’Artmedia.

L’événement avait notamment renforcé le désamour des jeunes actrices pour une société vieillissante. Comme Léa Seydoux et Marion Cotillard, dont les carrières américaines font rêver, la plupart des comédiennes en vogue préfèrent signer chez le numéro 2 du secteur, Adéquat. Son patron Laurent Grégoire a encore marqué des points en recrutant Natalie Portman, venue s’installer à Paris pour suivre son mari, le chorégraphe Benjamin Millepied. « Si elle conserve son agent principal pour ses activités américaines, elle m’a demandé de la représenter pour trois ans sur ses rôles en France », se réjouit Laurent Grégoire, qui a négocié son contrat pour le prochain film de Rebecca Zlotowski, Platenarium.

Au-delà de ce nouveau départ, Artmedia doit gérer un véritable bouleversement de son modèle économique. « Entre la crise des financements que traverse le cinéma français, une certaine désaffection du public en partie liée à l’addiction aux séries et le plafonnement du salaire des acteurs par le CNC, le métier est à réinventer, reconnaît Bertrand de Labbey. On peut le déplorer, ou même en pleurer. Moi, je préfère m’adapter. » Il a donc confié un audit à l’ancienne productrice Françoise Billet pour mesurer l’étendue des dégâts. Une politique de « rééquilibrage » est engagée sans en attendre le résultat. Elle passe par le recrutement d’agents mandatés pour recoller avec la nouvelle génération. En plus de Pauline Rostoker et de Mallory Vabre qui doivent découvrir les comédiens de demain, Daphné Thavaud occupe, depuis le 1er septembre, un nouveau poste dédié aux talents du Web (Natoo, Jhon Rachid, Julien Josselin). Elle connaît ce milieu mieux que personne : elle est la sœur de Norman, la superstar des ados, dont la fulgurante carrière est désormais gérée par Artmedia.

BON EN INGÉNIERIE FINANCIÈRE

En ces temps de cachets restreints, les contrats doivent également évoluer. Les cinq juristes de la maison, encadrés par une ancienne de la Warner, Anne Turquet, négocient souvent des intéressements. « Pour l’ingénierie financière, on n’est pas maladroits », clame Bertrand de Labbey. En 2002 déjà, il faisait profiter Jamel Debbouze de sa créativité sur Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre. « Le producteur, Claude Berri, lui avait fait une proposition si basse qu’il ne voulait plus faire le film. Pour sortir du blocage, j’ai proposé, en plus d’un fixe de l’ordre de 200 000 euros, un intéressement de 15 centimes par ticket vendu au-delà de 8 millions d’entrées. Le film en ayant réalisé 14 millions, Jamel a touché le jackpot ! » L’humoriste rendra hommage à son agent quatre ans plus tard en recevant le Prix d’interprétation à Cannes pour Indigènes : « Grâce à Bertrand de Labbey, je suis passé du RMI à l’ISF. »

Pour compenser la baisse des rémunérations, Artmedia propose aussi à sa clientèle de nouvelles « formes d’accompagnement à géométrie variable ». L’agence est intervenue pour trouver un distributeur en France au Tout Nouveau Testament de son client, le réalisateur belge Jaco Van Dormael. Bertand de Labbey est mandaté pour vendre les sociétés d’Alain Chabat et de Gérard Depardieu. Il assiste Jamel Debbouze dans ses activités de coproducteur. Cette réorientation correspond à un vrai besoin du marché. Contrairement aux Etats-Unis, où les cachets des célébrités leur permettent de s’offrir les services d’un agent, d’un manager, d’un lawyer et d’un publicist (attaché de presse), les vedettes françaises se contentent généralement de leur seul agent. Omar Sy est l’un des rares à pouvoir cumuler agent, avocat et attachée de presse personnelle. Et y laisse bien plus que 10% de ses cachets…

CEUX QUI ONT FAIT ARTMEDIA

Claude Berri

Au début des années 60, Claude Langmann, alias Claude Berri, donne à ses amis du Cours Simon (dont Gérard Lebovici) l’idée d’ouvrir une agence au service des talents. Artmedia est née.

Gérard Lebovici

« Lebo » fonde Artmedia en 1970 et en fait l’une des plus grandes agences d’acteurs d’Europe (Belmondo, Depardieu, Deneuve…). Il est le premier à les inciter à coproduire leurs films pour toucher des droits sur les passages télé. Il est assassiné en mars 1984.

Jean-Louis Livi

C’est l’actrice Françoise Arnoul qui présente à Lebovici le neveu et l’agent d’Yves Montand. Entré à Artmedia en 1968 comme expert-comptable, il la dirigerade 1984 à 1990. Il est aujourd’hui directeur des théâtres des Mathurins, Edouard VII, et producteur.

Serge Rousseau

Ancien acteur, le mari de Marie Dubois est recruté par Artmedia pour représenter de jeunes acteurs. Il découvre Gérard Depardieu, Dominique Villeret, Miou Miou, Jacques Weber. En conflit avec Bertand de Labbey, il quitte Artmedia en 1992, pour créer Cinéart.

Bertrand de Labbey

En 1975, l’ex-agent de Gilbert Bécaud et de Julien Clerc crée VMA, la filiale musique d’Artmedia. En 1990, après la démission de Jean-Louis Livi, il rachète Artmedia, dont il reste l’actionnaire majoritaire et le patron. A 77 ans, il n’a pas de successeur déclaré.

Dominique Besnehard

Encouragé par son amie Marlène Jobert, l’ancien directeur de casting devient agent. Entré chez Artmedia fin 1985, ce grand amoureux des actrices y reste vingt ans avant de monter Mon Voisin Productions en 2006. Et a fondé à Angoulême le festival du film francophone.

Elisabeth Tanner

Elle a débuté chez Olga Horstig, qui a importé la profession d’agent en France. Embauchée chez Artmedia comme assistante en 1987, elle y a fait une carrière fulgurante au point de devenir numéro 2. Elle vient de démissionner pour créer Time Art.

Source : Les Echos / Isabelle Lesniak / Chef de service Les Echos Week-End

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