Chaque année, c’est le même cirque. Avec plus ou moins d’étoiles sur la piste. Avec plus ou moins de panache dans le spectacle. Pendant une journée du mois de mai, télés, radios et quotidiens du monde entier ne jurent que par un seul film, celui présenté en ouverture du Festival de Cannes – et qui sort simultanément en salles.
En ce 14 mai 2014, le bouillonnement médiatique est à son paroxysme puisque le film en question est Grace de Monaco, d’Olivier Dahan, avec Nicole Kidman, grosse production française au coeur de plusieurs polémiques depuis quelques mois. Règlements de comptes par voie de presse entre le réalisateur et le distributeur américain Harvey Weinstein, communiqués énervés de la principauté de Monaco dont l’avocat n’exclut pas des poursuites en justice… Et, au milieu de cette effervescence, Gaumont, le distributeur français, doit, comme le protocole du Festival l’exige, organiser la soirée qui, dixit un de ses responsables, donnera “le ton de la quinzaine”. Ambiance.
A l’origine, Grace de Monaco est un scénario d’Arash Amel, concentré sur la seule année 1962, lorsque l’épouse du prince Rainier doit choisir entre un retour à Hollywood, sous la houlette d’Alfred Hitchcock (pour Pas de printemps pour Marnie), et ses obligations princières. Le producteur Pierre-Ange Le Pogam, ex-associé de Luc Besson, y voit le projet idéal, comprendre d’envergure internationale, pour crédibiliser sa jeune société, Stone Angels. Et en confie la réalisation à Olivier Dahan, qui a mené Marion Cotillard à l’oscar avec La Môme.
Dès lors, les stars se bousculent au portillon. Jessica Chastain, Gwyneth Paltrow, Charlize Theron et une douzaine d’autres se présentent devant Le Pogam et Dahan, qui leur préfèrent Nicole Kidman. Le choix est arrêté en novembre 2011. Le tournage doit démarrer en septembre 2012. Ne reste plus qu’à se procurer les 25 millions d’euros de budget.
“Nous ne cautionnons d’aucune manière ce film”
Pierre-Ange Le Pogam trouve, en la personne d’Uday Chopra, jeune nabab indien, un associé de poids. Le scénario, lui, est envoyé à la famille Grimaldi. “On a discuté avec leurs représentants, qui ont été très accueillants, assure le producteur. On a tenu compte de certaines de leurs remarques, et on a eu les autorisations pour tourner à Monaco”. Jusqu’ici, tout va bien. Mais au début de janvier 2013, alors que le tournage touche à sa fin, un premier communiqué de la principauté met de l’eau dans le gaz. “Nous ne cautionnons d’aucune manière ce film”, signalent en substance les enfants de la princesse. Pas de quoi s’affoler.
Lors du Festival de Cannes 2013, la présentation de quelques minutes de Grace de Monaco convainc plusieurs acheteurs internationaux, ainsi que Gaumont. Intervient Harvey Weinstein. Aussi irascible que cinéphile, il a produit quasiment tous les films de Tarantino, a obtenu l’oscar du producteur pour Shakespeare in Love, et a distribué moult films européens aux Etats-Unis, de La vie est belle à The Artist. Après avoir vu une heure de Grace de Monaco, il est enthousiaste. Et le fait savoir. “Il claironnait que le film serait prêt en septembre, qu’il sortirait en novembre et que ça roulait pour les oscars, se souvient Pierre-Ange Le Pogam. Nous, on était plus sur une sortie pour les vacances de Noël ou en janvier 2014”. Cela s’appelle un malentendu.
L’affaire tourne vinaigre au mois d’octobre 2013. Harvey Weinstein annonce que la sortie du film est repoussée au printemps 2014 car il n’est pas fini. Olivier Dahan, suivant au millimètre son planning, tombe des nues: “Je veux savoir ce qui se passe, mais personne ne me répond”. Sans nouvelles du distributeur américain, qui s’apprête à remonter sa propre version du film, chose étrange dont Weinstein est coutumier, le cinéaste s’exprime sans pincettes dans Libération le 18 octobre: “Ils veulent un film commercial, c’est-à-dire au ras des pâquerettes, en enlevant tout ce qui dépasse”. Chez Gaumont, on s’inquiète de l’affrontement. “D’après la bande-annonce que Weinstein a concoctée dans son coin, il voulait un clip princier, confie un proche de la maison de production. Le problème est que ce conflit rend la profession sceptique sur la qualité du film”.
Ce doute va se dissiper, en partie du moins, quand Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes, décide de sélectionner Grace de Monaco en ouverture. Un choix longuement réfléchi. “A l’automne, j’avais vu six minutes du film, qui m’avaient impressionné par leur force visuelle, raconte-t-il. Et puis il y avait une dimension glamour, Nicole Kidman, Tim Roth… Sans rien promettre, j’ai demandé à voir une version terminée”. Au mois de novembre, c’est chose faite. Evidemment, Frémaux ne se prononce pas. Laisser mariner l’équipe du film fait partie du jeu. D’autres films peuvent postuler à cette soirée sur tapis rouge. Gaumont retient son souffle. La dernière fois qu’elle a présenté un film en ouverture, c’était en 2000, avec Vatel. “Entre Les Garçons et Guillaume, à table! et Belle et Sébastien, l’année 2013 a été formidable, avoue un cadre de Gaumont. Mais pour l’image, il n’y a pas mieux qu’une ouverture cannoise”. Gaumont attend encore quelques semaines. “En janvier, aucun film ne rivalisait avec Grace de Monaco pour l’ouverture”, reconnaît Thierry Frémaux.
Une structure aussi énorme qu’éphémère construite spécialement
L’annonce officialisée, Gaumont sourit. Pas longtemps. Car au conflit entre Weinstein et Dahan, et à la colère monégasque de plus en plus pressante symbolisée par un second communiqué rendu public au début de mai et faisant état de “références historiques erronées et littéraires douteuses”, s’ajoutent les affres de l’organisation de la soirée cannoise, dont le coût, estimé autour de 700.000 euros, sera en partie pris en charge par les distributeurs étrangers.
Il faut d’abord trouver le lieu pour la fête, où se presseront pas moins de 1200 invités. “Sauf pour le patient dans la salle d’attente d’un dentiste qui va tomber sur des photos dans un magazine, cette fête ne sert pas à grand-chose, admet un des organisateurs. Mais il faut que ça claque. C’est une obligation morale vis-à-vis du Festival”. Les lieux existants étant déjà occupés, il a été décidé de construire sur la Croisette une structure aussi énorme qu’éphémère. Comédiens et techniciens principaux, staff de production… Compter au minimum 30 personnes à faire venir en avion (de ligne, mais en première classe), qu’il faudra loger, nourrir, blanchir pendant trois jours. Et pas n’importe où. Au Carlton, s’il vous plaît, exception faite de Nicole Kidman, qui dormira au palace du cap d’Antibes. L’actrice viendra évidemment avec sa publiciste, son manager, son assistante, sa coiffeuse, sa maquilleuse, son garde du corps, son mari et peut-être ses enfants – accompagnés, le cas échéant, de leur nounou. “Pour ses enfants et la nounou, elle a proposé de payer les frais”, précise-t-on chez Gaumont. C’est bien aimable.
Tous ces people monteront évidemment les marches. Mais quid des places dans la salle, dont le nombre est limité, a fortiori pour la cérémonie d’ouverture? “Si on compte tous ceux qui auraient une bonne raison d’être là, on arrive à 250”, estime Pierre-Ange Le Pogam. “On leur donnera 150 places”, répond Thierry Frémaux. D’où le casse-tête chinois et monégasque pour Gaumont et pour Pierre-Ange Le Pogam: qui asseoir dans les trois rangs très prisés de l’orchestre du grand palais? Qui reléguer au balcon? Qui ne pas inviter? A quelle distance d’Olivier Dahan faut-il placer Harvey Weinstein si celui-ci vient? “Pas loin, répond le metteur en scène. J’aimerais vraiment parler avec lui. Je ne suis pas fâché”. Tout s’arrange, donc? Oui, à condition que la rumeur selon laquelle Weinstein refuse de sortir le film aux Etats-Unis soit fausse.
Contacté par L’Express, le distributeur n’a pas donné suite. Mais il y a tout lieu de croire qu’il attend de voir les réactions cannoises pour confirmer ou infirmer l’information. Olivier Dahan, lui, reste serein, assumant “à 200%” son film. Il peut. “La Môme était l’histoire d’une artiste qui ne renonce pas, résume-t-il. Grace de Monaco est celle d’une artiste qui renonce à tout. Je n’ai pas le sentiment d’avoir commis un crime de lèse-majesté”. Les héritiers du Rocher jugeront sur pièce, mais dans une salle de cinéma puisqu’ils ne participeront sûrement pas à l’ouverture de ce 67e Festival de Cannes. Autant de places libres pour la séance la plus courue de l’année.
Source : Christophe Carrière – L’Express
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