Le fait est que le cinéma français a subi ces derniers mois des attaques en règle d’une violence sans précédent.
Si l’on devait résumer le message relayé depuis des mois par les médias, les politiques et curieusement par certains professionnels du cinéma, il tiendrait en deux phrases:
Le cinéma est financé par nos impôts pour un résultat élitiste, paresseux, coûteux, non rentable, enrichissant une poignée d’acteurs qui ne garantissent en aucun cas le succès de films trop nombreux.
Comment diable “en temps de crise” peut-on encourager un tel gâchis au service d’une caste intouchable, privilégiée et subventionnée?
Peu importe le fait que ce message soit complètement faux, truffé d’amalgames et de contre-vérités, peu importe l’énergie de beaucoup de personnalités afin de rétablir certaines vérités – cf. récemment l’article de Marc Missonnier ou le communiqué de presse de la ministre de la Culture.
Le message ne passe pas
Et le dernier article du JDD (du 8 décembre 2013), abondamment relayé, est le dernier coup en date porté à cet art que l’on semble adorer détester, par des articles et reportages illustrés d’opportunes polémiques dont la portée a probablement parfois dépassé l’intention de ses auteurs.
Le déclencheur aura sans doute été le désormais fameux article de Vincent Maraval, coproducteur cette année du meilleur du cinéma français (La Vie d’Adèle, 9 Mois Ferme…), mais également de l’échec commercial relatif qu’a été Astérix et qui était sans doute à l’origine de son courroux contre les cachets des comédiens.
En focalisant sa colère contre des excès sans doute réels, mais finalement isolés, et parce que Vincent Maraval avait une grande légitimité pour évoquer le cinéma français, son article a malgré lui servi de point de départ à une véritable mise au pilori du 7e art en France.
Puis il y a eu la polémique opportunément déclenchée entre autres par des syndicats de techniciens mal inspirés contre Abdellatif Kechiche, transformé en tortionnaire symbole des excès d’un cinéma refuge d’artistes exigeants et n’ayant plus le sens du réel.
Oubliés les succès unanimes de Bienvenue chez les Ch’tis ou Intouchables qui avaient fait la bonne santé de notre économie, parallèlement à des films plus confidentiels, mais d’une qualité reconnue par le public (La guerre est déclarée, Polisse, Mammuth…); oubliés les succès internationaux qu’ont été des films financés par la France, The Artist, Amour ou La Vie d’Adèle. Oubliées les performances de 2012 (Audiard, Lvovsky, Ozon, Jacquot, Carax, Brizé…).
Une petite année aura suffi à ce que notre cinéma ne soit plus une source de fierté nationale, mais le symbole d’un système prétendument véreux, clientéliste, et emblématique d’un capitalisme outrancier.
Et a ressurgi le spectre de la fameuse “Avance sur recettes du CNC” au soutien des projets indépendants, soi-disant prélevée directement sur les deniers du bon citoyen.
La non-rentabilité du cinéma a ainsi été fustigée, sans que jamais ne se pose une question autrement fondamentale: la culture doit-elle être rentable pour avoir le droit d’exister?
Car c’est là le véritable dommage collatéral de ces amalgames: ce sont finalement les films qui font notre exception culturelle, qui ouvrent la réflexion sur nous-mêmes, sur notre société, qui ont ainsi été jetés en pâture lors d’une véritable chasse aux sorcières.
Peu importe qu’en cette année 2013 des talents continuent de surgir (Gallienne, Quillévéré, Bourdos,…) et que des artistes confirment la force de leur univers (Kechiche, Polanski, Farhadi, Dupontel…).
Certaines vérités méritent d’être ici rappelées, aussi étonnantes soient-elles:
Le cinéma est source d’emploi (plus de 120.000 techniciens et artistes y participent) et de croissance (cf. Rapport indépendant du BIPE).
Les films sont de moins en moins chers, les cachets des comédiens également.
Le cinéma permet l’émergence d’une culture qui rayonne au-delà de nos frontières,
Le cinéma regorge d’entrepreneurs ambitieux, d’énergies positives qui ne sont pas forcément dans une logique bénéficiaire et productiviste (l’image du producteur cigare au bec assis sur sa cassette remplie de billets ne survivrait pas longtemps à la réalité de la production indépendante d’aujourd’hui).
Un blockbuster à la française ne fait pas perdre d’argent aux contribuables français mais à ses partenaires et producteurs. Il crée en revanche de l’emploi, de l’activité et fait travailler de nombreuses entreprises. Libre à chacun ensuite de s’énerver à tort ou à raison sur sa qualité artistique mais n’accusons pas ledit film de tous les maux de la terre.
Le financement du cinéma français est d’une transparence totale, les contrats enregistrés au registre public; ses financements sont contrôlés, surveillés, agréés par les experts du CNC.
L’Avance sur recette est une aide souveraine et indépendante dont les ressources financières sont directement prélevées sur les recettes du cinéma (notamment des films américains!) et ne ponctionne en aucun cas le contribuable français.
Il est intéressant de noter que l’Etat a prélevé des millions d’euros au CNC (150 millions d’euros en 2013, 90 millions en 2014 !) afin de renflouer ses caisses.
Alors, à qui profite le crime?
Ce billet ne parviendra sans doute pas à y répondre, mais propose quelques pistes:
Notre économie mondialisée n’a-t-elle pas tendance à vouloir en chasser les exceptions? Nous avons vu l’énergie que la Commission Barosso a mise afin d’enterrer l’exception culturelle française au mois de juin dernier.
Nos politiques n’ont-ils pas besoin de boucs émissaires en ces temps de disette économique? Il faut voir l’empressement de notre gouvernement à satisfaire aux exigences de syndicats non représentatifs, au soutien d’une convention collective soutenue par de grands groupes industriels.
Ne peut-on y voir aussi le travail de sape de très puissantes multinationales (Google, Apple…) qui souhaitent continuer à investir le marché français sans la moindre obligation règlementaire puisque délocalisant leurs impôts par-delà nos frontières? Là où Canal+ et les chaînes de télévision ont permis au cinéma français d’exister, ces nouveaux entrants n’ont aucune obligation à cet égard.
Enfin, certains médias n’ont-ils pas trouvé là un sujet qui fait vendre ? Des acteurs (trop) riches, des réalisateurs tyranniques, des producteurs mégalomanes, un système permissif aux dépens de l’argent du contribuable… Du pain béni à une époque où stigmatiser une communauté permet d’augmenter tirages et audimat.
Mais en satisfaisant ainsi des intérêts court-termistes, en diffusant de façon continue la rumeur selon laquelle le cinéma français est un système archaïque et excessif, c’est l’existence même du cinéma français et sa raison d’être qui se trouvent remises en question.
Conséquences très pernicieuses
On finit en effet par oublier que le cinéma est un art plus fragile que jamais, qu’il doit faire face dès aujourd’hui à des évolutions considérables: transformation du marché et des attentes du public, nouveaux intervenants (Netflix, acteurs de l’internet…), chute des obligations règlementaires, convention collective peu adaptée à sa diversité, délocalisation massive de la fabrication des films, industries du cinéma à bout de souffle…
Sans une politique engagée et volontaire, le cinéma sera moribond dans moins de cinq ans, incapable de s’adapter aux évolutions d’un marché qui a peu d’égard pour une culture non mondialisée.
Or, c’est de là que surgit le divertissement, le talent, la culture et l’art, et qu’au regard des liens historiques liant la France et le Cinéma, qu’au regard des nombreux talents que nous abritons, que nous encourageons, c’est peut-être ce qui nous permettra dans quelques années de s’affirmer en tant que puissance culturelle, une civilisation qui peut encore compter sur la scène internationale.
Si nous ne sommes pas capables de faire écho aux conclusions du rapport Lescure ou du futur rapport Bonnell à l’issue des Assises du Cinéma, si nous ne parvenons pas à mobiliser notre gouvernement, le cinéma périclitera avec des conséquences économiques, culturelles et sociales alarmantes. A l’instar de nos voisins européens, c’est de l’autre côté de l’atlantique que nos talents s’exprimeront, dans un système souvent formaté.
Au même titre que pour les autres arts, laissons au cinéma français le droit de faire de nombreux films, dont des films ratés, des films non rentables, des films encouragés par un financement public (vertueux).
Et enfin laissons au public le soin de juger les œuvres en question. A force de sanctionner le blockbuster à la française et d’encourager la qualité de films plus modestes, ne peut-on pas imaginer que les producteurs et financiers en tireront les conclusions qui s’imposent?
Source : http://www.huffingtonpost.fr/
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