Nouveaux producteurs: la “jeune vague” qui fait bouger le cinéma

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Les loups entre eux ne se dévorent plus forcément. La preuve avec ces cinq producteurs réunis le temps d’une photo. Certains ne se sont jamais vus, tous pourtant discutent ensemble comme s’ils se connaissaient depuis toujours. Se réjouissent du succès potentiel d’une de leurs productions à venir, fustigent un article paru le matin même, dans Le Figaro, qui assassine les films de quelques-uns d’entre eux, reviennent, encore et toujours, sur la polémique lancée en décembre 2012 sur des budgets disproportionnés…

Le benjamin, Hugo Sélignac, a 29 ans, et son premier film, La Marche, budgété à 12 millions d’euros, sort le 27 novembre. L’aîné, Mathias Rubin, a 39 ans et, avec son associé Eric Juhérian, a produit Möbius, d’Eric Rochant, avec Jean Dujardin (1,1 million d’entrées). Entre eux se trouvent Dimitri Rassam, 31 ans, consacré, en 2012, avec les 3,3 millions d’entrées du Prénom, à l’affiche cette semaine avec Au bonheur des ogres ; Catherine Bozorgan, 33 ans, à la tête de 9 Mois ferme, de et avec Albert Dupontel; Hugo Gélin, 33 ans, producteur inspiré, avec son associée Laetitia Galitzine, de La Cage dorée, surprise du box-office 2013 avec 1,2 million d’entrées.

Les jeunes producteurs du cinéma français: Catherine Bozorgan, Hugo Gélin, Dimitri Rassam, Mathias Rubin et Hugo Sélignac, unis par une même passion.

Pierre-Emmanuel Rastoin, assisté de Khalid Chhiba, pour l’Express

“Ce sont de fins négociateurs”

A chaque époque ses producteurs. Ceux-là sont nés avec la crise -professionnellement s’entend. Mais à l’angoisse ils préfèrent l’enthousiasme et l’exigence. Honnêtes? Peut-être. Pragmatiques? Sûrement. Héritiers d’un système perverti, ils bataillent pour assainir les devis, pour travailler dans une économie cohérente avec des sujets qu’ils espèrent hors des sentiers battus du divertissement de masse. Ils sont persuadés que c’est du côté de l’originalité et de l’authenticité qu’ils feront bonne fortune, un but avoué sans complexes.

“Notre ambition, c’est de produire des succès, reconnaît Dimitri Rassam. Mais on ne le vit pas comme une compétition”. Il y a dix ans, les quadras qui prenaient alors le pouvoir, comme Alain Attal (Ne le dis à personne), Eric et Nicolas Altmayer (Brice de Nice) ou Olivier Delbosc et Marc Missonnier (Huit Femmes, Podium), demeurent, pour eux, des référents de choix. “Je suis fascinée par Alain Attal, capable de passer de Polisse à Populaire, avoue Catherine Bozorgan. Je voudrais être une souris dans son bureau pour voir comment il travaille”. Péché de modestie, car elle et ses camarades appréhendent mieux que quiconque les rouages du métier.

Certains ont été plongés dans le bain dès leur naissance, comme Dimitri Rassam (fils du producteur Jean-Pierre Rassam et neveu de Claude Berri) ou Hugo Gélin (petit-fils de la productrice et comédienne Danièle Delorme). Ça aide. D’autres sont passés par les bancs des institutions financières du cinéma. “Négocier des contrats ou des taux bancaires pour des escomptes relève de la stratégie, confie Catherine Bozorgan. C’est une gymnastique qui m’amuse beaucoup”.

Même un producteur plus marginal, comme Emmanuel Chaumet (indisponible le jour de la photo), remarqué cette année avec La Fille du 14 juillet et La Bataille de Solferino, a assimilé les trucs et les astuces du milieu en passant par le Centre national de la cinématographie (CNC), au service de l’avance sur recettes, puis chez des producteurs indépendants comme Paulo Branco. “Le marché reste ouvert pour les films d’auteur de niche. Il suffit d’un peu d’entrées et de quelques ventes télé pour rembourser tout le monde. L’idée étant, évidemment, de décrocher le jackpot avec un long-métrage comme La guerre est déclarée”.

A les entendre, il y aurait de quoi les prendre pour des cyniques. Alors que pas du tout. Ils ont juste un sens aigu de la réalité. “Les quatre premiers films que ma société a produits l’ont été sans chaîne hertzienne, dit Mathias Rubin. L’expérience de la difficulté oblige à travailler dans une économie plus réduite, ce que n’ont pas forcément connu nos prédécesseurs à leurs débuts”. Et ces enfants de la récession de voir le verre… à moitié plein: “En France, entre les aides d’Etat et les obligations d’investissement des chaînes télé, la situation n’est pas si dramatique, se réjouit Dimitri Rassam. On a de la chance et il ne faut pas oublier ce qu’était le monde du cinéma avant Canal +”.

Pour autant, la chaîne cryptée, qui investit en moyenne dans 160 longs-métrages par an, ne fonctionne plus à la tête du client. “Ceux qui n’avaient qu’à téléphoner pour obtenir quelques millions d’euros ont désormais intérêt à passer du temps sur leur scénario”, assure Hugo Gélin. “Ces nouveaux producteurs, qui présentent des projets financièrement bien ficelés et aux scénarios bien écrits, ont fragilisé d’autres producteurs plus installés, qui, du coup, essuient des refus à cause d’intrigues moins novatrices”, confirme un responsable de Canal +.

Le cinéma français serait-il à ce point en train de vivre sa révolution que la loi du meilleur prévaudrait maintenant sur celle du plus fort ? Selon Didier Duverger, vice-président de Coficiné, un établissement de crédit du 7e art, c’est probable : “Ce sont de fins négociateurs dépourvus d’arrogance, qui gagnent du crédit grâce à leur mélange d’humilité et d’opiniâtreté. Ils présentent des projets plus libres et plus audacieux”.

Pas besoin d’être titulaire d’un doctorat en économie pour s’apercevoir que le marché a changé. Les valeurs refuge qu’étaient les grandes stars et les comédies ne sont plus des garanties de triomphe public. “Le cinéma est redevenu une industrie de prototypes”, confirme Mathias Rubin. Du Nom des gens à Tout ce qui brille, jusqu’au phénomène Intouchables, les outsiders devenus médailles d’or ne manquent pas. Un peu rapidement peut-être, il est possible de lier ces succès par un seul mot : “sincérité”. Des auteurs, des réalisateurs, des producteurs. “Disons que les spectateurs s’intéressent de plus en plus à la manière dont les films ont été faits, explique Hugo Gélin. A force de voir des produits formatés, ils redécouvrent la fraîcheur du naturel”. Terminé, les comédies sans âme! A la trappe, les films d’auteur pompeux! L’espoir est permis.

Les griffes sont élimées, mais les dents sont plantées dans la table. Et ils incitent leurs metteurs en scène à agir en conséquence. “On n’a pas besoin de trop les pousser, explique Mathias Rubin. Des succès comme La guerre est déclarée ou The Artist ont ouvert, chez les auteurs, des chakras qui les convainquent que le souci du public n’est pas une chose sale. L’ambition populaire devient même une vertu”; Elle peut aussi traverser les frontières. Outre des remakes américain et italien du Prénom, Dimitri Rassam investit le marché international pour chercher des fonds pour son Petit Prince en 3D budgété à 57 millions d’euros, ou pour Cobra, Le pirate de l’espace, d’Alexandre Aja, d’un coût de 120 millions de dollars.

“Si vous jouez au basket-ball, vous avez envie d’être en NBA”, commente-t-il sobrement. Avant de tempérer: “Ceux qui font ce métier pour décrocher la Lune risquent d’être déçus! Les sommes investies paraissent colossales, mais les pertes peuvent l’être également”. L’argent, ils en parlent sans souci. Hugo Sélignac avoue que si La Marche est un carton il s’achètera enfin son appartement. “Dix ans que je bosse douze heures par jour, pas de vacances, pas de vie perso, des dettes… J’ai droit à des compensations, non?” Une transparence et une honnêteté qui l’honorent. En même temps, ces jeunes producteurs savent que les faux-semblants ne font plus recette. Cela n’empêche pas les sentiments. La preuve sur grand écran.

Source : L’Express / Christophe Carrière

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