Or, si la vie de certains de nos contemporains inspirent les auteurs, il n’est pas rare que cela ne soit pas du goût des intéressés, ni de leur entourage.
Si le législateur a consacré pour toute personne le droit au respect de sa vie privée et familiale (article 9 du Code Civil et 8-1 de la CEDH), la jurisprudence tend à faire également respecter le droit à liberté d’expression, trouvant ses ramifications dans le droit à l’information ou la création (article 10-1 de la CEDH).
La vie d’une personnalité publique pourra donc être portée à l’écran sans son autorisation préalable (ou celle de ses ayants droit), à la condition toutefois de prendre quelques précautions :
– Utiliser des éléments libres de droits : il convient de proscrire tout emprunt à une œuvre protégée (un ouvrage littéraire par exemple), sans l’acquisition préalable des droits d’adaptation audiovisuelle. En 2010, le Tribunal de grande instance de Paris a ainsi condamné un producteur et son auteur à verser à Alain Vircondelet, auteur d’une biographie sur Séraphine de Senlis, et son éditeur, la somme globale de 50.000 euros, assortie d’une peine de publication dans trois journaux nationaux, pour contrefaçon de l’œuvre littéraire dont des passages avaient été empruntés sans autorisation dans le film Séraphine.[1]
– Ne divulguer que des faits ayant fait l’objet d’une première divulgation, laquelle doit être licite. En effet, divulguer à nouveau des faits qui auraient été soustraits pas des moyens frauduleux (ex : vol de documents, d’un dossier de procédure, etc.) serait tout autant illicite. Ecrire sur la base de documents ou articles de presse rendus accessibles au public constitue une sécurité intéressante, même si elle n’est pas absolue. En effet, il conviendra en outre de ne pas créer de confusion entre la réalité et la fiction : si des faits fictionnels, laissent supposer qu’ils sont réels, au même titre que les éléments déjà divulgués, ils prennent alors le statut de réalité et l’atteinte à la vie privée peut être caractérisée. A titre d’exemple, l’ex compagne de Jacques Mesrine obtint en 1985 la suppression de certaines scènes du film réalisé par André Genoves, ainsi que le retrait de son nom, permettant à la Cour de cassation d’affirmer le principe selon lequel des scènes inventées à partir de faits réels déjà divulgués peuvent constituer une atteinte à la vie privée.[2]
– Respecter un devoir de prudence et d’objectivité : il ne doit pas être possible de démontrer de la part des auteurs de l’œuvre une volonté manifeste de nuire à la personne objet du biopic, mais aussi de son entourage. En tout état de cause, si un personnage est représenté sous un jour trop peu reluisant, la justice pourra estimer qu’il a été porté atteinte à l’honneur ou à la réputation de la personne, et sanctionner.
– Ne pas écrire sur une affaire judiciaire lorsque celle-ci est toujours en cours, ni porter atteinte à la présomption d’innocence d’une personne. Les Noces Rouges de Claude Chabrol illustre un cas d’interdiction temporaire de la divulgation de l’œuvre dans l’intérêt de la justice : le ministre des Affaires Culturelles en fonction en 1973 délivra le visa d’exploitation du film en précisant que sa validité « ne prendrait effet qu’après achèvement de l’instance ». La décision fut confirmée par le Conseil d’Etat, admettant ainsi le motif tiré du bon fonctionnement de la justice et précisant que dans une œuvre audiovisuelle « l’interprétation donnée du comportement des principaux personnages et, spécialement, la préméditation qui apparait dans celui du meurtrier, auraient été de nature (…) à préjudicier aux droits de l’accusé. »[3]
– Ne pas évoquer la souffrance et la mort de personnes réelles sans précautions. La Cour d’appel de Paris a ordonné en 1982 la suppression de quatre scènes du film « Le Pull-Over Rouge », adapté d’un ouvrage de Gilles Pennault sur l’affaire Rannuci, nom du jeune homme condamné à mort en 1974 pour le meurtre de Marie Dolorès Rambla, âgée de neuf ans, au motif qu’elles portaient atteinte à l’intimité de la vie privée des époux Rambla. Les séquences les représentaient notamment lors de l’annonce de la mort de leur enfant, identifiant son corps ou évoquant la jeune victime. L’arrêt fut toutefois cassé par la juridiction suprême pour manque de base légale au regard de l’article 9 du Code civil.[4]
En conclusion, un producteur peut entreprendre de développer un projet basé sur des faits réels ou des personnages publics existant ou ayant existé. Toutefois, le producteur devra anticiper des recours et/ou des réclamations qui, même non fondés, pourront dissuader des partenaires financiers. L’accord des intéressés devrait permettre d’éviter ces problèmes et ainsi apporter une sérénité appréciable pour le montage du film.
[1] Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre, 26 novembre 2010
[2] Cass. Civ. 1ere, 13 février 1985
[3] Conseil d’Etat, 8 juin 1979
[4] Cour d’appel de Paris, 6 octobre 1982
Christian VALSAMIDIS (Cabinet TAYLOR WESSING)
Source : Le Film Français
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