ANALYSE DE MATHIEU BOMPOINT, PRODUCTEUR DE MEZZANINE FILMS

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Mathieu BOMPOINT
Mathieu BOMPOINT
 

“J’ai monté ma société de production il y a 9 ans, je gagne moins bien ma vie que lorsque j’étais salarié, mais je suis heureux car indépendant de choisir avec qui je travaille, et surtout heureux d’accompagner des films que j’aime. Pour ma part, je n’ai jamais méprisé un technicien, – d’abord parce que le mépris ne fait pas partie de mon mode de fonctionnement – et surtout parce qu’ils sont la clés pour les films que je produits. Sans eux, même moins payés que sur un gros film, je ne peux pas faire le film. La masse salariale sur les films que j’ai produit représente en moyenne 50% du budget total.

Sur les conditions de travail, je dirais juste que l’on ne force personne à être technicien du cinéma, on sait bien que c’est une vie de bohème qu’on choisit un temps ou pour toujours. Mais généralement, on connaît avant de signer pour un film les conditions de tournage, et rien ne vous empêche de ne pas choisir des films tournés de nuit ou dans des endroits (mer, montagne) qui ne vous conviennent pas.

Contrairement à ce qu’on peut penser, il y a plus d’argent dans le cinéma (1,13 milliard en 2011 contre 360 millions en 1994), pour faire plus de films (207 en 2011 contre 89 en 1994), mais les plus gros coutent beaucoup plus chers, et empêchent les plus petits de se faire dans des conditions correctes. Moi aussi je veux être payée convenablement pour faire mon métier. Je pense que comme partout, les plus riches ont capté toujours plus et que ce n’est pas vers les petits films qu’il faut se tourner pour qu’ils s’arrêtent de se faire, mais plus vers les gros pour qu’ils se fassent de manière plus raisonnable et avec moins de gabegies. C’est une question de meilleure redistribution des richesses, pas de moins payer les techniciens. Tout le monde bénéficierait d’une meilleure redistribution, les industries techniques, les techniciens, toute une frange d’acteurs et les « petits producteurs » de ces petits films seraient aussi ravis d’être mieux payés.

Oui ce n’est pas normal d’être payé en dessous du SMIC comme le fait remarquer Babtou2 ! Je ne crois pas qu’on se fasse, en tant que technicien, une spécialisation du film à moins de 1 million d’euros, je crois qu’on évolue avec son réseau professionnel. D’aller vers les plus riches pour les faire plus payer me paraît, vu la situation actuelle, la seule manière d’assurer le financement de la diversité. Ce qui est dommage c’est que le financement de la diversité ne soit pas une volonté politique, et qu’il soit de fait soutenu par des techniciens cinéphiles, qui font ces aller/retour entre « série merdique » et des films d’auteurs…alors qu’ils n’aimeraient surement que faire des films de cinéma qu’ils aiment.

Je pense que tous les producteurs indépendants ne sont à mettre dans le même panier, d’ailleurs pour brouiller les pistes sûrement, GAUMONT-PATHE-UGC-MK2 se regroupent derrière un syndicat qu’ils appellent l’Association des Producteurs Indépendants (API). C’est un peu abusé non? C’est le syndicat signataire de la convention collective. Je pense qu’il y a des abus, comme partout, que c’est contre ceux-là qu’il faut lutter.

Sur les 3 films que j’ai produits (des premiers films), le réalisateur a coupé 20 pages dans la dernière ligne droite, TOUS les acteurs ont joué le jeu du cachet à 350€/jour. Bien sur que j’ai imposé cette règle d’équité absolue entre acteurs et techniciens. Tout comme acteurs et techniciens ont un couloir de recettes (vérifiable au RCA). La masse salariale sur ces films représente 35 à 40% du cout global (50% du financement cash), soit deux fois plus que la moyenne d’un film (18%). Je veux vraiment dire à Deniswhite que la convention collective API étendue ne permettra plus de faire des exceptions, que le salarié n’aura plus son libre arbitre pour décider des films sur lesquels il veut faire un effort. Quant au fond de soutien, il sert à financer les films d’après uniquement, donc à mieux les financer, pas à payer le producteur.

Un internaute suggère: « Et si Télérama avait le courage de faire un article sur les salaires de ces producteurs indépendants, sans doute auriez vous des surprises »

Là encore, je pense que si vous prenez le salaire en fonction du budget des films, vous aurez une grosse surprise. Déjà il faut dissocier le salaire du producteur (l’homme ou la femme qui produit, gagne tant par mois) et ce qu’on appelle dans les devis « le salaire producteur ». Ce salaire est avec les frais généraux, la marge de la structure qui produit et alimente les frais annuels de la structure. Par exemple, on peut avoir des frais de structure de 400 000e, et devoir faire deux films qui font une marge de 200K pour financer l’année, ou un film qui fait 600 de marge pour financer pendant un an et demi de frais de structure. Les 5% du devis appelé « salaire producteur » n’est pas le salaire que je me verse. J’en rêverai ! Pour ma part, le salaire producteur n’est jamais financé, toujours en participation en totalité.

Ce même internaute écrit (ce qui est surprenant, mais tant mieux!):

« Accabler les producteurs qui proposent du travail à des conditions que vous avez la liberté ou non d’accepter est totalement stérile. Quant au fait de diaboliser les producteurs et de tous les mettre dans le même panier, c’est carrément primaire. Je pense que comme beaucoup de personnes dans ce débat vous ne considérez que la partie émergée de l’iceberg, c’est à dire une infime poignée de personnes très loin d’être représentative de notre milieu. »

C’est exactement le problème, la mauvaise répartition des richesses. 80% des financements à 20% des films, 80% des entrées à 20% des films…Il faut effectivement juste savoir ce qu’on a envie de voir au cinéma. Si on ne veut que des films formatés faits dans une industrie concentrée, alors oui, la convention API est adaptée. Elle ne prévoit qu’un sursis de 5 ans pour les petits films de moins de 2,5M€, et se contrefichent des problèmes des films entre 2,5 et 4M€, qui doivent se mettre au pas des films riches et faire comme eux.

Que la convention API soit l’idéal à atteindre sur les films bien financés, parfait! mais sur les autres films, je pense qu’il y a un énorme travail de graduation progressive à faire. La convention API prévoit une clause de 20% pendant 5 ans. Pourquoi 5 ans? on ne fera plus de films en dessous de 2,5me dans 5 ans? Et puis comment respecter le reste des obligations même si la grille n’est pas applicable: obligation d’une équipe complète, obligation de payer des majorations importantes. Et puis qui décidera si on a cette dérogation ou pas? quelles critères? Plus de films à l’arrache? Bref, cette clause de cette convention de riches me fait penser à Marie-Antoinette qui voulait donner de la brioche au peuple affamé qui n’avait plus de pain. Du mépris de nos films qui me fait bouillir! Aux armes, cinéphiles, si vous voulez encore du cinéma non formaté dans vos salles.

Posons nous, mettons nous autour de la table sans dogmatisme d’aucune part, il s’agit de sauver la création de demain, pas la diversité des marques de lessive!

Merci de votre attention!

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