L’écriture d’une œuvre audiovisuelle, qu’il s’agisse d’un film (mais encore plus en télévision), est une étape primordiale. C’est grâce seulement à cette étape – à l’exception de cas très particuliers comme des films montés sur l’envie d’un acteur – que les financements peuvent être levés. Bien que l’économie du cinéma soit une économie de réalisation (contrairement à l’économie de la télévision qui est une économie d’écriture), le rôle de l’auteur reste évidemment prépondérante, aussi bien artistiquement, cela va sans dire, que financièrement.
Pour bien comprendre cette étude, il faut d’abord passer par un peu de technique. L’auteur d’un film dispose de trois moyens de revenus. Le premier est ce que l’on appelle le Minimum garanti (MG). Ce MG, qui s’appuie sur le budget du film, est une avance sur les recettes et qui doit être versé à l’auteur pendant l’écriture. Car, oui, le scénariste ne se nourrit pas exclusivement d’amour et d’eau fraiche : il va aussi au supermarché et il doit aussi payer à la caisse. On reviendra plus en détails sur ce MG qui constitue la part principale fixe des revenus des scénaristes au cinéma.
3 façons de rémunérer le scénariste
A ce MG, il peut ajouter une indexation sur l’évolution du budget du film en le négociant contractuellement avec le producteur. Aujourd’hui, une part négligeable des auteurs négocient cette indexation donc on ne reviendra pas là-dessus.
Le scénariste dispose également des bonus. Ce bonus est versé à partir du moment où le film réalise un certain nombre d’entrées en salle. De cette façon, le scénariste est associé au succès d’un film, ce qui semble être le minimum syndical. Pourtant, seuls 24% du panel étudié ont conclu un tel accord. Les réalisateurs participant à l’écriture sont même moins nombreux (mais ils disposent d’autres sources de revenus dont on ne parlera pas ici…), 14,5%. Et grosso-modo, seuls les films dépassant un budget de 7 millions d’euros sont concernés par ces bonus.
Enfin, dernière source de revenus, les Recettes nettes par producteur (RNPP). Elle représentent l’ensemble des recettes réalisées par le producteur à l’occasion de l’exploitation du film. 66% des scénaristes ont négocié un pourcentage sur les RNPP. En moyenne, ce pourcentage est de 0,76% pour les scénaristes (et de 3,48% pour les réalisateurs faisant le travail de scénariste).
Le déséquilibre scénariste / réalisateur
Comme nous l’explique cette étude, il arrive quasi-systématiquement que les réalisateurs soient associés à l’écriture du film qu’ils vont réaliser. Sur les 241 films étudiés, seuls 9% n’ont pas vu leur réalisateur associé à l’écriture. Quand je parle d’association, cela sous-entend la chose contractuellement. Autrement dit, en plus des avantages liés à la fonction du réalisateur, celui-ci touchera, théoriquement, la même chose que le scénariste.
Mais la théorie est souvent théorique. Et la pratique est souvent pratique. Sur ces deux belles phrases, il faut que j’éclaircisse mon propos. Et pour cela, on va s’intéresser au fameux Minimum garanti (MG). En moyenne, lorsqu’un réalisateur écrit seul son film, il touche un MG de 138 000 euros. Et lorsque le scénariste écrit seul le film, il touche un MG de 72 000 euros. Mais comme il s’agit de cas extrêmes, prenons un panel plus large.
Le MG moyen qu’un réalisateur touche, qu’il écrive son film avec ou sans scénariste, est de 128 000 euros. Et le MG moyen qu’un scénariste touche, qu’il écrive le film avec ou sans réalisateur, est de 62 000 euros.
Ce déséquilibre rappellerait presque le déséquilibre des salaires hommes/femmes. Sauf que le scénariste n’est pas forcément une femme. Et donc n’est pas justifié. Just kidding.
Un budget d’écriture dramatique ?
Pour autant, la Guilde se refuse d’opposer scénaristes et réalisateurs, même si la rémunération pour le même travail entre ces deux acteurs du monde audiovisuel sont déséquilibrées et traduisent une injustice qui n’a absolument aucun fondement. Et il y a une raison à cela : la part du budget d’un film dédiée à son écriture est ridicule et se devrait d’être revalorisée, réclame la Guilde.
La moitié des films attribuent seulement 2,3% de leur budget à l’écriture. Et tous les films entre 2,5 millions et 15 millions d’euros de budget attribuent entre 2,5% et 3% de leur budget à l’écriture.
Pour se donner un point de comparaison, je me suis penché sur les contrats des scénaristes américains, très finement encadrés par l’accord cadre de la Writers guild of america (Syndicat des scénaristes américains). Dans le cas d’un film disposant d’un budget de moins de 5 millions de dollars*, le scénariste touchera, seul, un minimum de 65 000 dollars environ (le montant augmente de 2% tous les ans). Dans le cas d’un film disposant d’un budget supérieur à 5 millions de dollars, le scénariste devra toucher, seul, un minimum de 125 000 dollars. Globalement, les négociations, dans lesquelles s’inscrivent les agents d’auteurs, entre autres, permettent au scénariste de gagner plus que le minimum prescrit.
Mais ne fonctionner qu’avec un système de pourcentage peut en effet être trompeur : 10% d’un film ayant un budget de 10 000 euros, ce n’est pas grand chose, vous en conviendrez. Mais ils peuvent indiquer des tendances professionnelles. Ainsi, l’usage montre qu’aux Etats-Unis, le budget alloué à chaque tête de scénariste (plusieurs scénaristes peuvent travailler sur un film) oscille entre 2% et 5%, soit généralement supérieur à la moyenne française.
Globale précarité
Tous ces chiffres, c’est bien joli, mais il ne faudrait pas non plus se faire d’illusions et se ruer vers Hollywood en espérant décrocher le jackpot. Selon des chiffres datant de 2010 du ministère américain du Travail, la moitié des auteurs opérant dans le cinéma touchaient chaque année 62 000 dollars, le chiffre tombant à 53 000 dollars pour les scénaristes de radio et de télévision. Il est nécessaire de relativiser cette moyenne car, comme l’explique Pierre Kop, auteur de l’étude, dans une tribune dans Libération – et c’est aussi vrai aux États-Unis – un projet peut mobiliser un scénariste de un à dix ans. Mais, attention, car en réalité, la majorité des scénaristes ne travaillent simplement pas. La WGA notait, en 2011, que 46% des scénaristes en fonction n’avaient pas travaillé l’année passée (gardez enfin à l’esprit qu’un scénariste non-syndiqué qui signe un contrat avec une maison de production ne bénéficie pas de ces accords).
La précarité est donc de mise un peu partout, même aux États-Unis. Mais la force de ces derniers est d’avoir encadré très rigoureusement chacune des étapes d’écriture d’un scénario. En France, beaucoup reste encore à faire. La Guilde est d’ailleurs devenue signataire, en décembre dernier, d’un avenant à la charte pour le développement de la fiction avec France Télévisions avec d’autres groupements professionnels. Et le même jour, elle a également signé un accord sur les pratiques contractuelles entre producteurs et auteurs de fiction. L’ensemble de ces accords seront détaillés au Festival international des programmes audiovisuels (FIPA) à Biarritz, du 22 au 26 janvier. Le changement, c’est maintenant ?
Séverine Jacquet, conseillère au pôle cinéma de la Guilde, et qui a suivi de près cette étude, a répondu à nos questions pour nous éclairer sur ses conclusions.
Dimension Séries : Quelles sont les grandes tendances à retirer de cette étude ?
Séverine Jacquet, scénariste : Une seule tendance, le trop faible investissement dans l’écriture du scénario. 3,3% du budget du film sont en moyenne dédiés à l’enveloppe d’écriture globale, et 0,98% en moyenne au scénariste seul. Alors que dans l’industrie classique, 10% sont dédiés à l’enveloppe “Recherche et Développement”. Comment faire de grands films avec cette intention de départ : ne pas trop investir sur la clef de voute de l’édifice ? Comment inciter le scénariste à aller au bout de ce qu’il peut délivrer, en un ou deux ans, si on ne lui permet pas de travailler sereinement et, surtout, si on ne reconnait pas concrètement la valeur de son apport au film ?
Cette valeur est pourtant bien confirmée par d’autres interlocuteurs : c’est le scénario qui permet de lever des financements, d’obtenir les aides du CNC et de convaincre les acteurs.
Pourquoi, pour un même travail, le scénariste est-il moins rémunéré que le réalisateur ? Ce traitement de faveur est-il justifié ?
Ce décalage est parfois justifié. Si le réalisateur est apporteur du projet, s’il imprime toute sa vision à l’histoire, s’il sait écrire et s’il imprime ses idées de mise en scène et de réalisation en inspirant son co-scénariste, on peut le comprendre. Mais ce cas de figure concerne les réalisateurs “écrivant” qui portent le projet de sa conception à sa réalisation, avec une vision d’auteur central, pas seulement avec des effets de manche. Et souvent, on remarque que ce sont ces mêmes auteurs-réalisateurs qui font respecter l’écriture et la rémunération du scénariste, en souhaitant qu’il soit traité d’égal à égal pour la partie scénario et en le sollicitant au cours de la fabrication du film.
Pour d’autres, qui ne sont pas apporteurs du projet, qui se sont peu investis sur le sens profond du scénario, qui délèguent la plus grande part de l’écriture au scénariste, et qui conçoivent le film en aval, non ce décalage de rémunération de l’écriture n’est pas du tout justifié. Au contraire, le scénariste devrait avoir la part belle de la rémunération du scénario.
Quelles sont les raisons qui peuvent expliquer en quoi l’écriture (en particulier par les scénaristes) est-elle aussi peu associée au succès d’un film ?
Je dirais que c’est un principe de business classique. La coutume qu’un producteur et qu’un diffuseur préfèrent “régler” définitivement la question du coût du scénario en amont et souhaitent que ce poste n’interfère plus ou le moins possible sur les recettes ultérieures. Mais, et surtout si le Minimum Garanti de départ est faible, c’est considérer le scénariste comme un intervenant mineur, non comme un créateur dont le savoir et le talent vont permettre à l’œuvre de porter loin des images et des paroles fortes. Autrement dit, c’est ne pas considérer le scénario comme un élément clef du succès d’un film. Or tous les bons producteurs le savent, et l’étude de Pierre Kopp le confirme, un bon scénario est la première clef du succès.
Le danger à ne pas associer le scénariste au succès du film est qu’il ne se sente pas suffisamment impliqué, pour ne pas dire pas respecté, et qu’il n’ait pas la motivation de donner tout son art et tout son temps à un texte.
En matière de télévision, quels sont les points communs et les différences vis-à-vis de cette étude ?
En télévision, le scénariste est le premier interlocuteur du producteur et du diffuseur dans l’histoire du projet. De plus, le succès croissant des séries de création a permis de replacer l’écriture au centre de l’œuvre et de le revaloriser d’une manière essentielle.
Un point commun est que le scénariste, qu’il écrive pour la télé ou le cinéma, n’est pas intermittent, ce que beaucoup ignorent encore, et qu’il ne tire ses ressources que des droits d’auteurs. Les scénaristes ne revendiquent pas l’intermittence, mais une véritable association au succès, donc à la diffusion, de leur œuvre.
Un autre point commun est que dans les deux répertoires, les scénaristes prennent un risque important sur leurs épaules au cours du développement des projets, qu’une partie de leur rémunération est conditionnée à la mise en production du film, et que si le film ne se fait pas, ils ne rentabiliseront jamais leur travail.
Mais le scénariste de télévision est proportionnellement mieux rémunéré (Cf. Rapport Chevalier, mars 2011) et les films, surtout les épisodes des séries qui rencontrent le succès, ont une meilleure assurance de se faire. De plus, réunis en ateliers, ou simplement travaillant pour une même série, les scénaristes de télévision ont une tendance plus naturelle à se regrouper pour défendre leur intérêts. Les agents de scénaristes réunis sur une même série ont tendance à se concerter pour les négociations. Cependant, l’association des scénaristes de télévision au succès des oeuvres, par exemple aux ventes internationales, reste encore faible. Et à la différence des scénaristes de cinéma, ceux de télé sont plus régulièrement éjectés (ou “substitués”) si leur production a la malchance de déplaire au diffuseur. Un accord sur les conditions de substitution sera d’ailleurs signé entre la Guilde et France Télévisions, la semaine prochaine, lors du prochain Fipa. C’est le fruit d’un dialogue entre le diffuseur, la Guilde des scénaristes, la SACD et les syndicats de producteurs. Les scénaristes de cinéma n’ont pas encore atteint ce niveau de réflexion, mais nous nous y employons activement.
Les scénariste de cinéma sont plus solitaires, plus réticents à communiquer aux autres la réalité de leur rémunération et à se battre pour obtenir une évolution. Mais la tendance change significativement au sein de la Guilde. Ainsi, la réalisation de cette étude, portée vaillamment par la scénariste Isabelle Wolgust, qui a souhaité que nous nous associons à l’économiste Pierre Kopp, montre que les scénaristes sortent de l’ombre et ont désormais des chiffres précis pour évoquer la faiblesse de leur rémunération.
Quel impact la précarité du scénariste a sur son travail ?
C’est simple. Elle limite le temps et l’énergie qu’il pourra consacrer à une œuvre. Un scénariste est obligé de cumuler les projets pour assurer la continuité de son travail. Moins ces projets seront rémunérés, plus il devra en cumuler. Même si la plupart des scénaristes que je connais ne ménagent pas leur temps pour écrire, même s’ils sont très sensibles aux demandes et critiques émises sur leur texte (par le réalisateur, le produdcteur, le diffuseur), ils doivent quantifier le temps d’écriture consacré à chaque film, pour que leur métier reste viable. Si le rapport temps/rémunération est indécent, le scénariste devra renoncer à “tout donner”, à se battre constamment pour faire valoir son point de vue, et parfois, malheureusement, il quittera l’aventure sans savoir ce qu’il adviendra de son texte.
A-t-on des points de comparaison de la part du budget allouée à l’écriture dans d’autres pays ? Comment en sont-ils arrivés là ?
On évoque souvent entre 8 et 10% aux Etats-Unis (mais je n’ai pas de source récente). Depuis cet automne, lors de la conférence mondiale des scénaristes à Barcelone, la Guilde française a rejoint l’IAWG (International Affiliation of Writers Guilds), pour l’international, et la FSE (Federation of Scripwriters in Europe), pour l’Europe. Idéalement, nous devons partager nos chiffres, mais la collecte de données n’est pas évidente dans tous les pays et les modes de calcul doivent être coordonnés, pour prendre en compte les différences entre les pays du droit d’auteur et ceux soumis au copyright. Il y a encore beaucoup à faire pour avoir une vision d’hélicoptère de la condition des scénaristes dans le monde. Ce que nous savons évidemment, c’est que le système français de financement du cinéma est précieux, que d’autres pays d’Europe sont plus mal lottis et voient leurs créations d’autant plus menacées. En télévision, les modèles Anglais et Scandinaves ont en revanche beaucoup à nous enseigner.
Peut-on parler, en France, de domination culturelle et structurelle du cinéma influençant directement la répartition financière pour les œuvres de télévision ?
Non, je ne crois pas. Le scénariste intervient différemment à la télévision, car il est le premier à fabriquer l’œuvre. Le cinéma français lui, est héritier de la vision du cinéma d’auteur, qui, s’il a produit de grands films depuis les années 60, a aussi malheureusement conduit à déprécier le rôle du scénariste. Pour continuer à faire le lien télé/cinéma, on peut remarquer que le succès des grandes séries, américaines et européennes, des Mad Men à Borgen, a au contraire permis de replacer le scénario et le scénariste créateur au centre de l’œuvre.
* : Il existe par ailleurs une autre catégorie, les films ayant un budget situé entre 500 000 dollars et 1,2 millions de dollars. Un accord différent encadre ces films.
Source : http://www.arte.tv/
Si vous voulez connaître le calendrier de mes sessions de formations, allez sur Dirprod Formations.
Mes principales formations :
Créer sa boîte de prod !
Produire un documentaire pour la télé.
Directeur de production pour le cinéma, les indispensables.
Directeur de production en fiction télé, les indispensables.