Tribune de Christine Gozlan, producteur de THELMA FILMS
Je ne connais pas une seule personne de mon entourage professionnel qui n’ait pas lu avec un intérêt très particulier le pavé que Vincent Maraval a jeté dans la mare du cinéma français, avec l’élan et la fulgurance à laquelle nous habitue depuis des années le fondateur de Wild Bunch.Un homme de talent qui défend un cinéma international pointu et participe pour beaucoup à la révélation des talents des autres et à l’exception culturelle.
Mais l’analyse du producteur-distributeur qu’est Vincent Maraval pèche certainement par sa spontanéité et c’est à se demander à qui profite une analyse stigmatisant un soi-disant star system livré ainsi à la vindicte publique.
Surtout lorsque ladite analyse n’est pas exempte de nombreux amalgames.
Le premier est sans doute de lier l’exil fiscal de Gérard Depardieu à l’économie du cinéma français. Tout le monde ou presque se sera écharpé sur le sujet à coup de dinde de Noël, mais ce qui est certain, c’est qu’en aucun cas Gérard Depardieu n’a besoin d’être défendu quant à sa capacité à se montrer d’une grande élégance à l’égard du cinéma d’auteur français. Et en aucun cas, il ne me semble que la polémique ait été une diversion à un cinéma français en mauvaise santé. La personnalité de Depardieu dépasse la seule sphère du cinéma français, c’est en cela qu’elle déchaîne les passions.
Le deuxième amalgame est de fustiger certains acteurs français, alimentant ainsi le cliché d’un cinéma français où l’argent coule à flot et où les stars n’ont aucune limite. Or la réalité est bien plus nuancée: la plupart des acteurs connus savent -à l’instar des stars américaines- diminuer substantiellement les cachets pratiqués pour permettre à un film de se faire. Je peux personnellement témoigner des efforts substantiels consentis par Gérard Depardieu, Sophie Marceau, Jean Dujardin, Juliette Binoche, Nathalie Baye, Richard Berry et beaucoup d’autres sur certains films indépendants et à petit budget que j’ai produits avec d’ailleurs parfois la société Wild Bunch en coproduction et distribution.
Enfin, la rancoeur de Vincent Maraval mérite d’être nuancée, car c’est en fait à l’égard des blockbusters français qu’elle s’exerce. Pourquoi le fondateur de Wild Bunch affirme aujourd’hui qu’ils coûtent les yeux de la tête et ne rapportent rien?
En fait, cette catégorie particulière de films ne représente en aucun cas la majorité de la production française de par leur budget plus de deux à quatre fois supérieur à la moyenne du budget des films français. Ce sont des “produits” (parfois issus de franchises) financés par des studios qui concentrent les moyens de diffusion du film et par conséquent son financement. Ces “produits” sont souvent très bien financés, car les recettes promises se fondent sur des précédents ayant déjà fait leur preuve auprès du public. La plupart des intervenants se répartissent alors ce qui vient au-delà d’un coût de fabrication que l’on tend alors à minimiser. Ce ne sont pas seulement les “stars” qui touchent de gros cachets sur ces films, mais aussi les auteurs, les réalisateurs et les producteurs eux-mêmes. C’est la loi du marché.
Ce que Vincent Maraval ne semble pas discerner, c’est que si ces films connaissent parfois des échecs (relatifs la plupart du temps), c’est que cette logique économique, cette urgence à monter ces blockbusters surfant sur le succès de précédents, se fait aux dépens du scénario et de la fabrication du film en lui-même. Ce n’est pas en prenant les mêmes ingrédients, réalisateurs, auteurs et acteurs à succès que l’on fabrique la même sauce.
Les responsables ne sont pas les acteurs, ce sont les producteurs -et j’en fais partie- qui d’une part budgètent trop haut ces films afin de lancer dans l’urgence une affaire dans les empreintes encore fraîches d’une première réussie, et qui d’autre part continuent de croire que le public va se contenter de revoir les mêmes acteurs dans une histoire insipide. On ne peut d’ailleurs pas comparer un film comme Populaire aux franchises que sont Astérix ou La Vérité si je mens. Le premier coûte cher non pas à cause du salaire de ses comédiens, mais parce qu’il s’agit d’une reconstitution de qualité. Les deux autres illustrent ce qui précède.
Populaire est un film, au contraire de son propos, tout à l’honneur de ses producteurs, un projet ambitieux et pas si “commercial” qui totalise quand même un million d’entrées. Ce film participe à l’exception culturelle française.
Au-delà des amalgames, le coup de sang de Vincent Maraval présente certains dangers.
Le premier est de jeter le discrédit sur un système français vertueux, un des derniers bastions culturels européens qui grâce à des moyens complexes, certes perfectibles, mais en aucun cas fossoyeurs de la dette publique (fond de soutien, obligations règlementaires, crédit d’impôt, Sofica…) permet l’expression de grands talents et d’un divertissement souvent de qualité.
Le deuxième est de déresponsabiliser notre profession, celle de producteur. Or nous devons également nous remettre en question, car notre profession n’est pas exempte de certaines dérives. En pratiquant trop souvent l’individualisme et en montant -parfois dans l’urgence- des affaires dont ils sont persuadés, avec la complicité des groupes financiers, qu’elles seront forcément juteuses, quelques producteurs participent à l’inflation excessive de certains salaires et au manque d’imagination criant de certains projets. Scénaristes et réalisateurs ne sont alors plus encouragés à porter à l’écran le talent et la diversité. Les producteurs partagent ainsi avec certains agents artistiques (qui représentent les comédiens) cette avidité dommageable à la profession et déconsidèrent un métier difficile, méconnu, ingrat, pourtant essentiel et souvent à l’origine des plus belles oeuvres.
Enfin, il prend à partie notre gouvernement qui a autre chose à faire que de plafonner les salaires de certains comédiens, ce qui me semble d’ailleurs dépasser son champ de compétence, alors que sont sur la table des sujets bien plus importants et sur lesquels le cinéma français aurait urgemment besoin d’une véritable intervention politique.
Il se joue en effet actuellement dans le silence de notre profession des enjeux très importants bien que plus techniques et moins glamours: depuis 10 ans se négocie avec âpreté une convention collective afin de prévoir et de règlementer les conditions de travail des techniciens et artistes du cinéma français. Or, un tout autre projet de convention a récemment fait son apparition à l’initiative de l’API, syndicat représentant les groupes les plus importants du paysage cinématographique français, au mépris total de l’ensemble de la production indépendante française, convention collective qui semble ignorer les réalités de notre métier et la fragilité de notre système et dont notre ministre de la Culture vient récemment de déclarer qu’elle ne s’opposerait pas à son extension. Ce serait en l’état une véritable catastrophe pour la production indépendante française, en particulier pour les films fragiles et enfin pour tous ceux qui vivent par et pour le cinéma en France.
Source : Le Huffingtonpost
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