La leçon de cinéma de… Bruno Podalydès

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Bruno et Denis Podalydes
Bruno et Denis Podalydes
 

La mise en scène est composée d’une succession de choix, rien n’est gratuit et -n’ayons pas peur des mots- tout est moral! Nous sommes habitués aujourd’hui à un flux permanent d’images, or au cinéma le rapport au temps est très différent. J’ai regardé, par exemple, la façon dont le débat d’entre-deux tours de la présidentielle était filmé. Il y avait à la base une charte de contraintes signée par les deux candidats et je me demandais comment la mise en scène allait pouvoir s’immiscer là-dedans. À chaque fois que Sarkozy lançait une pique, on voyait Laurence Ferrari suivre la balle du regard comme à Roland-Garros pour se tourner vers Hollande, l’air de lui dire: “Et celle-là, comment tu vas la prendre?” Je trouvais l’impact plus fort pour Hollande que s’il y avait eu un contrechamp sur lui. Par ailleurs, j’ai été halluciné par le changement intempestif de valeur de plans, sans raison apparente. Personnellement, au cinéma, si je décide de passer d’un plan large à un plan serré, il y a forcément une raison, même inconsciente. Rien n’est jamais gratuit. À l’opposé de ce débat, il y a donc John Ford! C’est important, lorsque vous étudiez la mise en scène, d’avoir des gens qui vous pointent du doigt les grands films. La télévision fait de moins en moins ce travail. Mon père aimait, par exemple, beaucoup les westerns. Ils ont tous quelque chose de tragique, la mise en scène y est exacerbée. Sergio Leone a d’ailleurs étiré ça à son maximum.

“UN GROS PLAN C’EST ENFERMER QUELQU’UN DANS UN CERCUEIL !”

Je fais très peu de gros plans car j’ai l’impression de fermer le sens, d’imposer aux gens leur façon de penser. Faire un gros plan c’est comme enfermer quelqu’un dans un cercueil! Bien sûr, certains sont nécessaires pour intensifier quelque chose. Quand on aime les acteurs, ce qui est beau, c’est de les voir évoluer dans l’espace. Cézanne disait: “Je peins aussi l’espace entre la pomme et l’assiette!” Au cinéma, j’ai besoin de voir la personne dans le décor, de saisir son ombre portée et toute la lumière autour d’elle. Il faut que l’acteur puisse se mouvoir. Si j’ai besoin d’un gros plan de l’acteur, je préfère qu’il s’approche de la caméra. J’aime la précision, pas la rigidité. La composition de mes cadres est scrupuleuse. Je fixe un espace dans lequel je vais construire quelque chose. Nous allons ainsi de mini-théâtre en mini-théâtre. Je ne fais pas de storyboard mais mon découpage technique est pensé avant le tournage. Je ne dis rien de mes plans aux comédiens. J’attends de voir ce qu’ils vont me proposer et réajuste si besoin est. Les deux questions de mise en scène sont: comment on rentre ou on sort du cadre et comment on raconte le temps. Dans mon deuxième court métrage, Voilà, j’avais demandé à Denis [Podalydès, son frère et acteur de tous ses films] de prendre du sable et de le faire couler comme un sablier. Dès que l’on a une sensation physique du temps au cinéma, je trouve ça vachement bien. Idem pour Versailles rive gauche, mon premier film, j’ai fait une ellipse dans un même plan. Je partais d’un acteur avec ma caméra puis je faisais un panoramique gauche-droite très lentement, de façon à ce que le même comédien puisse revenir à la fin du plan et ainsi suggérer un saut dans la temporalité.

LA JOIE DU TRAVAIL

J’étais -et suis toujours- un admirateur de Truffaut, je connaissais tout par coeur, j’étais fétichiste… J’aimais sa façon d’envisager un tournage comme un roman. Il existe une photo de lui, sur le tournage de La peau douce je crois. Il est debout à l’arrière d’une 2 CV avec la caméra sur un trépied. Je ressentais là une liberté! C’est très difficile à décrire comme sensation. J’aimais, par exemple, son paquet de clopes coincé dans la manche. C’était une image du réalisateur qui me plaisait beaucoup. Le côté séduction, la joie du travail.

Mon premier film, Versailles rive gauche, a été tourné dans mon petit appartement en neuf jours. Parfois, il n’y avait même pas la place pour que l’acteur sorte du champ (rires)! Du coup, il fallait ruser. Je faisais descendre un comédien par un escalier pour qu’il disparaisse du cadre. Il arrivait également que l’équipe ne puisse pas accéder à la caméra car nous tournions dans les toilettes. Nous utilisions alors un périscope pour visualiser les choses. C’est très stimulant, les contraintes. Avant ce tournage, j’avais fait plusieurs petits films institutionnels avec Denis pour des formations. J’écrivais des histoires qui permettaient d’envisager toutes les situations possibles pour le commercial. Si le fond n’était pas passionnant a priori, ça m’obligeait à être inventif dans la forme. Au cinéma, l’expression vient de la forme, ça peut paraître évident mais beaucoup ont tendance à l’oublier. Chaque film requiert sa propre méthode d’écriture. Sur Adieu Berthe, j’ai pris le parti de ne pas savoir à l’avance où j’allais. J’imaginais les scènes sans savoir quelle serait la suivante. Il n’y avait aucun plan au départ, aucune trajectoire ni de point d’arrivée. J’écrivais de mon côté puis j’attrapais Denis entre deux tournées d’acteur et lui soumettais les scènes. Nous travaillions ensemble sur les dialogues et nous jouions les personnages. À l’inverse pour Le mystère de la chambre jaune, j’étais tellement amoureux du texte de Gaston Leroux que j’avais une jubilation à rester fidèle même si j’ai dû faire des ajustements.

LE POUVOIR DE LA MAGIE

Le monde de la magie me guide constamment dans mon travail! La magie, c’est l’illusion parfaite, sans montage. C’est du cinéma! Les magiciens utilisent d’ailleurs l’expression “flasher”, qui signifie: apercevoir inconsciemment. Vous croyez voir quelque chose, or il s’agit d’une fausse piste pour détourner votre attention. Le spectateur croit que le tour n’a pas encore commencé alors qu’il est presque terminé. La notion du boniment, c’est le propre de la magie! Dans un scénario, une séquence drôle ne sert pas seulement à faire rire sur le moment, elle peut également poser des bases pour la suite du récit. La magie opère ensuite au tournage. Il y a ce que dit le comédien et ce que raconte son corps. En revoyant un film, il y a souvent une grande différence entre ce qui est montré et ce que l’on a cru avoir vu la première fois. On peut également se souvenir de dialogues qui n’ont jamais été prononcés.

AVANCER DANS L’INCONNU

Je fais très peu de répétitions. Je préfère filmer les premières fois! Je veux garder la fraîcheur jusqu’au bout. Lorsque je mets en place une séquence sur le plateau, je retiens au maximum les acteurs afin qu’ils ne donnent pas le meilleur à la mise en place, sinon on va fantasmer ce moment-là sans jamais pouvoir le retrouver. La direction d’acteur passe par la porosité des rapports humains. Je change au contact des gens et inversement. Nous nous influençons les uns, les autres. La comédie débute bien avant que la caméra tourne. Comme j’étais très habitué à jouer avec Denis depuis l’enfance, j’ai gardé cette simplicité avec les autres comédiens. Mais je suis toutefois têtu. Si un comédien ne sent pas un truc, je me permets d’insister. L’acteur appréhende les choses localement, alors que nous, réalisateurs, savons ce qu’il y aura juste avant et après, comment nous allons créer des ruptures. Le pouvoir du réalisateur est dans le choix des prises.

L’étape du montage est donc comme une deuxième écriture. Je ne regarde pas mon scénario, je l’oublie. Le problème, c’est que j’aime tout dans ce que je filme car tout a nécessité de l’énergie. Il faut savoir écouter son film, comme le disaient Serge Daney et François Truffaut. C’est l’inconnu qui me motive. Sur tous mes films, j’aime ne pas savoir où je vais, c’est dans les interstices que se loge la création. Par exemple, il peut être écrit: un homme entre dans une pièce et va s’asseoir; dramatiquement, ce n’est pas passionnant, et pourtant, à partir de là nous pouvons créer une sensation. Je vais peut-être changer le mobilier, trouver des décalages ou alors tout peut se jouer dans le placement d’une main. Il faut combler les vides et plus il y a de vides, plus c’est stimulant!

Source : L’Express / Thomas Baurez

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