Nos sitcoms produites à la chaîne font un carton

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Alors, j’ai l’air un peu ridicule, non ?» Sèvres, près de Paris, un frais matin d’avril. Coincé derrière les techniciens, André Manoukian patiente, déguisé en bouffon du roi. «Je gèle, dans ce costume», rouspète le compositeur et ex-juré de «Nouvelle Star». S’il est accoutré de la sorte, c’est pour interpréter un petit rôle dans «Fais pas ci, fais pas ça», la série humoristique de France 2. Il grelottera toute la journée sur le tournage pour une apparition de quelques minutes dans un épisode diffusé en novembre prochain. Plutôt ingrat. Mais des dizaines de stars sont elles aussi prêtes à tout pour jouer les figurants dans la comédie familiale, l’un des plus gros succès d’audience de la chaîne (5,5 millions de spectateurs en moyenne) : François-Xavier Demaison, Bruno Solo, Frédérique Bel, Patrick Bruel… «Comme la série marche bien, ça fait chic, confie la production. Nous croulons sous les demandes et en déclinons la plupart.»

Des people qui se battent pour jouer dans une série comique ? Il y a peu, ça ne se voyait qu’aux Etats-Unis. Chez nous, le genre était jugé bien trop ringard. «Mais “Un gars, une fille”, “Caméra café” et “Kaamelott” lui ont donné un coup de jeune», juge Eric Vérat, scénariste et auteur de l’ouvrage «Génériques !» sur le sujet. «En quelques années, nous avons développé un véritable savoir-faire sur ce créneau», ajoute Yann Goazempis, responsable du pôle humour, sur M6.»

De fait, une flopée de séries humoristiques ou familiales bien de chez nous font aujourd’hui un joli carton sur nos chaînes. Comme «Bref», sur Canal Plus. Et surtout «Scènes de ménages», sur M6, ou «Plus belle la vie», le soap marseillais de France 3. A elles seules, ces deux séries fédèrent chaque soir, à 20 h 10, plus de 10 millions de spectateurs, soit 40% de l’audience. Au point de faire de l’ombre au JT de TF1…

Ces succès ne doivent rien au hasard, et beaucoup à des méthodes de production quasi industrielles. De l’écriture des scénarios à l’habillage sonore, en passant par le tournage et le montage, les producteurs ont tout conçu pour pouvoir fournir aux chaînes une saison complète par an, voire un flux continu d’épisodes à l’année («Plus belle la vie»).

Banal aux Etats-Unis, mais nouveau chez nous : pour «Clara Sheller» (France 2), «Engrenages» (Canal Plus) ou «Julie Lescaut» (TF1), le processus de création est en général si artisanal que les saisons comptent rarement plus de six épisodes, tandis que les spectateurs doivent attendre de dix-huit mois à trois ans entre deux livraisons ! «Toutes les études montrent que, dans ces conditions, il est très difficile de fidéliser le public», commente Jean-Luc Azoulay, un gros producteur de soaps français.

La course à l’efficacité démarre dès la rédaction des scénarios. Les créateurs de «Plus belle la vie» se sont ainsi inspirés des ateliers d’écriture américains («writing rooms»). Deux scénaristes en chef définissent les principales intrigues de la saison puis, contrairement à la tradition française, laissent le soin de finaliser chaque épisode en détail à une vingtaine d’auteurs, divisés en deux groupes : l’un planche uniquement sur le découpage en séquences, l’autre sur les dialogues.

«Comme ils travaillent en parallèle, nous gagnons un temps fou», explique Hubert Besson, le directeur général de Telfrance, qui produit le feuilleton. Les concepteurs de «Scènes de ménages» ont mis au point un système tout aussi redoutable. La quarantaine d’auteurs turbinant pour la série sont divisés en trois ligues : les confirmés, les espoirs et les nouveaux, à tester. Tous écrivent des sketchs impitoyablement sélectionnés par le directeur d’écriture, Alain Kappauf, et par M6. «Je leur en envoie cinq ou six par semaine avec la boule au ventre, témoigne l’un de ces gratte-papier à l’essai. Ils passent chaque jeu de mots au crible et me le renvoient sur-le-champ en précisant ce qui ne fonctionne pas : c’est rude !» Peut-être, mais pour la production, c’est la garantie d’une source jamais tarie de nouvelles idées : elle a en réserve plus de 1 500 sketchs, prêts à filmer !

La méthode présente aussi l’avantage de réduire considérablement les délais entre l’écriture et le tournage. Pour une série française classique, le temps que le scénariste termine son boulot et que la chaîne valide chaque scène, il s’écoule au minimum six mois avant que les acteurs passent devant la caméra. Pour «Fais pas ci, fais pas ça», qui fonctionne également avec des ateliers d’auteurs, les épisodes sont écrits quelques semaines seulement avant le tournage. Idem pour «Plus belle la vie», «Bref» ou encore «Soda», la série comique diffusée à partir du 5 mai sur W9.

Evidemment, le tournage est lui aussi réglé dans les moindres détails. A commencer par le choix des lieux où se déroulent les scènes : moins ils sont nombreux, plus l’épisode sera rapidement mis en boîte et facile à monter. Dans le genre, on n’a pas fait mieux que «Caméra café» : chaque épisode se -résumait à un plan fixe, filmé par une caméra unique placée dans le distributeur de boissons, avec une équipe technique ultraréduite. «Difficile d’imaginer plus simple, commente Nicolas Coppermann, de Robin & Co, le producteur du programme. Mais on ne peut pas rééditer ce coup-là…

«Scènes de ménages» s’inspire pourtant de la même recette : les appartements des quatre couples sont en fait des décors bricolés dans un studio d’Aubervilliers. Les familles de «Fais pas ci, fais pas», elles, sont pour l’essentiel filmées dans deux maisons voisines louées à Sèvres. Et, pour gagner encore quelques jours, le montage des premiers épisodes démarre dans l’une des pièces à l’étage, pendant que les comédiens tournent la suite au rez-de-chaussée…

Résultat : chaque épisode coûte en moyenne 650 000 euros (payés à 90% par France 2). C’est moins cher qu’une série de même format produite par TF1 (900 000 euros), Canal Plus (1,1 million d’euros) ou, bien sûr, par les chaînes américaines (1,5 à plus de 2 millions d’euros). «Nous faisons la série de prime time la moins chère de tout le PAF», se réjouissent les producteurs Thierry Bizot et Guillaume Renouil, chez Elephant Story.

Pour s’assurer que le public soit chaque soir au rendez-vous, les producteurs ajoutent un dernier ingrédient à la recette, là encore inspiré des Etats-Unis : un générique punchy et entêtant. Ça n’a l’air de rien, mais c’est pourtant essentiel. Si l’on excepte «Fais pas ci, fais pas ça», la plupart de ces séries sont en effet diffusées en access prime time (20 h 10), le créneau où les spectateurs sont par ailleurs le plus sollicités : préparation du repas, douche des enfants, tracas administratifs… Très souvent, la télé est allumée en fond sonore mais personne ne la regarde vraiment. Jusqu’au moment où une musique joyeuse attire les regards devant le poste et les y scotche. «C’est exactement comme lorsqu’on reconnaît un morceau qu’on aime à la radio : on s’arrête pour le chantonner», analyse Yann Goazempis, de M6.

Preuve que ça fonctionne, les séries courtes (on parle de «shortcom») ont tendance à abuser de la technique. Avant son générique, «Kaamelott» faisait ainsi sonner trois fois de tonitruantes trompettes, tandis que «Scènes de ménages» multiplie les chances de capter l’attention des spectateurs : la série démarre avec une mélodie pop qui reste longtemps en tête, puis un jingle criard signale la coupure entre chaque sketch, toutes les 3,3 minutes.

Ce découpage en saynètes est une autre trouvaille. Comme elles s’enchaînent sans rapport les unes avec les autres, on peut à tout moment prendre le programme en route sans être perdu. Les annonceurs adorent : «En plus des fidèles, ces séries attirent beaucoup de spectateurs occasionnels, ceux que les pubs ont le plus de mal à atteindre», commente en effet François Lienart, de l’institut d’analyse publicitaire Yacast. Selon lui, Renault a ainsi déboursé pas moins de 1,8 million d’euros pour les spots insérés dans la saison de «Scènes de ménages» diffusée l’an passé, Ferrero a sorti 1,7 million et Apple 1,4 million. Autant dire que pour la chaîne c’est le gros lot : «Scènes de ménages» lui a rapporté près de 95 millions d’euros de recettes publicitaires brutes pour les épisodes diffusés entre août 2011 et février 2012. C’est deux fois et demie plus que la saison précédente (35,9 millions) et six fois plus que la première (15 millions).

De même, avant que la publicité sur France Télévisions ne soit supprimée, les spots diffusés pendant «Plus belle la vie» rapportaient plus de 40 millions d’euros par an à France 3. Depuis, la chaîne a trouvé d’autres astuces pour monétiser son soap. Elle a d’abord négocié avec le producteur de récolter 45% des recettes des ventes de produits dérivés – auparavant, elle ne touchait rien. Et surtout, depuis quelques mois, quelques tubes de maquillage L’Oréal, produits Auchan et chips Sibell apparaissent de temps à autre à l’écran. C’est ce qu’on appelle le placement de produits. «Pour toucher le public, c’est encore plus efficace qu’un spot de pub», confie un annonceur. S’il le dit…

Source : Capital – Marie Charrel

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