La nouvelle vague des acteurs « bankable »

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INTOUCHABLES
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Ils sont devenus des piliers de la production cinématographique française. Sur leur seul nom, les Dujardin, Cotillard ou Tautou permettent de lever de l’argent nécessaire au tournage d’un film. Sans que leur présence garantisse son succès.

Il est déjà devenu la coqueluche des Américains. Mais, dans huit jours, Jean Dujardin saura s’il a décroché le titre envié de premier comédien français à remporter l’oscar du meilleur acteur. « The Artist » – près de 1,9 million d’entrées en France et un box-office mondial de 58 millions de dollars, dont 34 millions à l’étranger -, a, en l’espace de quelques mois, changé le cours de sa carrière. L’interprète de Georges Valentin dans le long-métrage muet en noir et blanc de Michel Hazanavicius, également en lice dans la course aux césars qui seront décernés vendredi prochain, a aujourd’hui conquis le statut de star, auréolé pour ce rôle d’une rafale de récompenses (prix d’interprétation à Cannes, Golden Globe aux Etats-Unis, Bafta en Grande-Bretagne, etc.), et courtisé des deux côtés de l’Atlantique. Tout le monde va se l’arracher pour qu’il tourne dans son film et, pour lui, le vrai défi va être de faire le bon choix, prédit déjà le milieu.

Cet état de grâce, un Omar Sy et un Dany Boon le connaissent aussi dans l’Hexagone depuis les succès fulgurants d’« Intouchables » – 18,9 millions d’entrées en salle pour le premier -, de « Bienvenue chez les Ch’tis » – 20,45 millions pour le second. Côté actrices, on peut citer Marion Cotillard et Audrey Tautou. Grâce à leur performance, tous sont entrés dans le club privilégié des « bankable », comme on les appelle à Hollywood. En clair, sur leur seul nom, le producteur sait qu’il pourra lever l’argent nécessaire pour faire son film. Un statut convoité, fragile mais exceptionnel… emblématique de l’attrait qu’exercent les stars. Depuis quelques années, une nouvelle génération de talents que l’on pourrait classer dans une catégorie AAA – Guillaume Canet, Vincent Cassel, Romain Duris, Jamel Debbouze, Kad Merad, etc. -s’inscrit dans cette mouvance, pilier d’un pan de la production cinématographique française. Un choix qui, s’il ne garantit pas forcément le succès, permet de mettre des atouts de son côté.

Les partenaires rassurés

Car dans un marché hexagonal où, chaque année, près de 600 longs-métrages sortent en salle – soit entre 12 et 15 par semaine -, les têtes d’affiche ont une vertu : elles permettent à un film d’émerger, de se distinguer dans la masse. « Les films français sont de plus en plus chers à produire et de plus en plus risqués, c’est un élément fort de réassurance pour les partenaires engagés dans le projet », explique un grand studio de cinéma. Avec une vedette dans le casting, le buzz démarre très en amont du tournage pour créer le désir, et le battage médiatique est garanti au moment de la sortie en salle.

« Les noms connus ouvrent les portes de la promotion », confirme Camille Trumer, président de l’agence CinéArt (Gérard Lanvin, Tomer Sisley, Julie Delpy, Aïssa Maïga, etc.). Grâce à eux, pas besoin de décrocher son téléphone au moment de la sortie en salle pour faire les journaux télévisés de 20 heures, « Le Grand Journal » sur Canal+, ou une interview dans la presse. « Dans les contrats des comédiens, il est prévu qu’ils s’engagent à promouvoir le film, dans la mesure de leur disponibilité professionnelle , précise Cécile Felsenberg, l’une des dirigeantes de l’agence Ubba, qui règne sur la carrière de Guillaume Canet, Kad Merad, Gilles Lellouche, Mélanie Laurent… On est dans une économie où tout le monde est lié et a envie de défendre le film. »

Cette forte exposition des acteurs, les plus sollicités pour ce travail de promotion, les chaînes de télé en clair y sont sensibles. C’est même l’une des raisons pour lesquelles un casting fort est devenu un facteur décisif pour les attirer dans le financement d’un projet. De fait, plus les noms des interprètes résonnent, plus l’impact de la promotion a des chances de durer dans le temps. L’argument vaut d’autant plus son poids d’or pour les chaînes en clair que la chronologie des médias les contraint à attendre près de deux ans après la sortie en salle pour diffuser les longs-métrages préfinancés. « L’enjeu pour nous est que le film arrive à l’antenne avec l’aura du cinéma », reconnaît un grand diffuseur.

Et pour cause. TF1 et M6 n’investissent que s’ils sont sûrs que le film leur assurera une très forte audience lors de son passage à l’antenne. « Lorsque vous arrivez avec un projet, les chaînes vous demandent à qui vous songez pou r le rôle principal. Régulièrement, elles disent on ira si c’est un nom connu, et on verra si ce n’est pas le cas », raconte Fabrice Goldstein gérant de Karé Productions (« Le Nom des gens », « Vilaine », etc.). Et si la présence d’une vedette alourdit le budget, qu’à cela ne tienne, « souvent, les diffuseurs, mais aussi les distributeurs, apportent un peu plus d’argent pour couvrir le surcoût d’un comédien célèbre ».

Flambée des cachets

Bien sûr, il faut que l’oeuvre corresponde à la ligne éditoriale de la chaîne. Jugé trop sombre pour attirer en masse les téléspectateurs, « Le Bruit des glaçons », le dernier Bertrand Blier – une oeuvre dure sur le cancer -n’a attiré ni TF1 ni M6 dans son financement, bien que Jean Dujardin y joue le rôle principal. Quant à Canal+, qui finance un long-métrage français sur deux, elle arrose évidemment plus large, mais a besoin de titres à gros casting pour fidéliser ses abonnés. « Cela rassure la chaîne et peut se traduire par un apport plus important dans les projets », poursuit Fabrice Goldstein.

Pour autant, le monde du septième art en a conscience : cet atout que représente une star ne garantit plus à lui seul le succès en salle. Révolue, l’époque où le public se précipitait les yeux fermés pour voir le dernier Belmondo. « Une grosse affiche crée un appel, qui peut permettre un bon démarrage en salle, mais les entrées peuvent ensuite s’effondrer », note Camille Trumer. Les valeurs sûres qui ont subi des flops en salle sont légion. Dernières en date : Christian Clavier et Jean Reno dans « On ne choisit pas sa famille », resté en deçà des 350.000 entrées. Désormais, le succès repose sur une alchimie beaucoup plus subtile fondée sur le script, le réalisateur et les acteurs. Et, « l’étape la plus importante reste le scénario », note Cécile Felsenberg.

Le buzz sur Internet a changé la donne. « Le public s’informe avant de prendre le chemin des salles. Son envie se crée au travers des scènes diffusées sur le Web, des commentaires des internautes qui y sont postés », note Bertrand de Labbey, le patron d’Artmedia à la tête d’une pépinière d’artistes (Gérard Depardieu, Jamel Debbouze, Alain Chabat, Catherine Deneuve…). Par ailleurs, face à un succès de plus en plus aléatoire, les gros castings suscitent aussi la prudence des distributeurs. « Ces derniers savent qu’ils peuvent faire un double flop : payer plus cher pour être dans le film, tout en courant le risque d’essuyer un échec en salle », explique Camille Trumer, qui a longtemps exercé ce métier chez Paramount. Enfin, les longs-métrages sans nom célèbre qui cartonnent ne sont plus rares. « Le public apprécie aussi de voir des têtes inconnues », note Fabrice Goldstein, très heureux d’avoir misé pour « Vilaine » sur Marilou Berry, encore peu identifiée par le public. Le film a réalisé 1 million d’entrées et procuré à M6, le jour de sa diffusion, la meilleure audience de la soirée avec 4,37 millions de téléspectateurs.

Nécessaires même si elles ne transforment pas tout ce qu’elles touchent en or, les stars ont un mode d’emploi particulier. D’abord, elles obligent les producteurs à composer avec des coûts de casting extrêmement coûteux. « Une star demande a minima 1,5 million d’euros pour accepter un tournage », glisse un professionnel. Et on imagine facilement que, après son succès dans « The Artist », un Jean Dujardin va voir sa cote exploser vers des sommets. Face aux réserves croissantes suscitées par la flambée des cachets dans les années 2000, les agents ont cherché à calmer le jeu, sans léser les intérêts de leurs clients, en les convainquant d’accepter une modération de leur rémunération, en échange d’un intéressement calculé en fonction du succès en salle ou des recettes vidéo.

« C’est notre devoir, à nous, agents, de trouver des solutions et de protéger les acteurs contre le succès, plaide Bertrand de Labbey. Il s’agit là d’un bon système. Le producteur – en fonction du financement du film -ne peut pas toujours faire face à la rémunération habituelle de l’acteur. Cela lui permet de la diminuer sans nuire à leur relation. Et, en cas de succès, le comédien est récompensé des efforts financiers qu’il a accepté pour permettre au film de se faire. » Ainsi, pour « Intouchables », François Cluzet et Omar Sy ont touché un fixe – de 800.000 euros pour le premier, un peu inférieur pour le second -avec la garantie de percevoir 10 centimes d’euro sur la vente de chaque billet à partir de 1,6 million d’entrées.

Le rêve américain

Certaines vedettes préfèrent obtenir, en complément de rémunération, des parts de coproducteur. C’est le choix qu’a fait Gérard Depardieu avec « Mammuth », un petit film d’auteur dont le succès n’était pas garanti, et pour lequel il n’a pas été payé. Il n’a pas eu à le regretter, car le film a frôlé le million d’entrées. La liberté financière gagnée avec les succès permet aux talents d’accepter des rôles dans des films plus difficiles, par plaisir de tourner avec un réalisateur de renom ou par coup de coeur artistique. Quitte à revoir à la baisse leurs prétentions.

Par ailleurs, quelques talents français ouvrent les portes de l’international, ce qui accroît encore leur attractivité pour un producteur. « Depuis “Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain” et ses 23 millions d’entrées à l’étranger, Audrey Tautou garantit des ventes dans de nombreux territoires à l’export », relève Régine Hatchondo, directrice générale d’Unifrance. De même, Juliette Binoche. Côté acteurs, si la cote internationale d’un Jean Dujardin était plutôt mitigée avant « The Artist », des Jean Reno, Kad Merad ou Gérard Depardieu sont prisés.

Parfois même, certaines stars sont sollicitées par les studios américains. Le cas le plus évident est celui de Marion Cotillard, désormais régulièrement courtisée par les plus grands réalisateurs d’Hollywood (Christopher Nolan, Woody Allen, etc.) depuis son oscar pour « La Môme ». Vincent Cassel réalise aussi le rêve américain en tournant avec David Cronenberg.

Enfin, en participant à de grandes campagnes de publicité – en général, pour des produit de luxe -, certaines stars, à l’image, encore, d’une Marion Cotillard (Dior), ou d’Audrey Tautou (Chanel), deviennent des icônes planétaires, recherchées par les cinéastes du monde entier.

« L’écart se creuse entre les acteurs qui tournent en prenant des tarifs mirobolants et ceux qui ne travaillent pas du tout », déplore-t-on au sein d’un grand groupe cinématographique, en s’étranglant de voir les stars françaises exiger parfois des cachets supérieurs à ceux réclamés par les Américains.

L’incroyable succès d’« Intouchables », qui n’avait pas misé sur un casting de stars devrait inciter le cinéma français à prendre davantage de paris sur ceux qui ne sont pas « bankable ».

Source : Les Echos – Nathalie SILBERT

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