Il y a quinze jours, personne n’en avait entendu parler. Aujourd’hui, c’est le film qui bruisse de toutes les rumeurs et l’un des plus attendus de l’année. L’affiche est en elle-même la promesse d’une aventure hors normes : Aung San Suu Kyi, Luc Besson, Michelle Yeoh. Un Prix Nobel de la paix longtemps assigné à résidence par la junte birmane, libéré le 13 novembre 2010 ; un réalisateur engagé… dans le divertissement ; une star du cinéma asiatique, mondialement connue depuis le succès de Tigre et dragon.
Après plusieurs semaines de tournage en Thaïlande dans le plus grand secret, l’équipe s’est envolée pour Oxford, en Angleterre, où se poursuivent les prises de vues. C’est là que L’Express a rencontré le cinéaste et sa comédienne. A film exceptionnel, communication exceptionnelle : c’est la première fois que l’auteur du Dernier Combat et de Jeanne d’Arc accueille la presse sur l’un de ses plateaux. D’habitude méfiant avec les journalistes, il est, cette fois, ouvert au dialogue. “Ce n’est pas qu’une affaire de cinéma, explique-t-il. La liberté de cette femme est fragile. Elle a besoin qu’on parle d’elle.” Lui a été conquis par le projet. Galvanisé par l’incroyable destin d’Aung San Suu Kyi. “J’ai 50 ans, et je sais que je n’aurais pas su réaliser ce film à 25”, avoue le réalisateur.
Avant de connaître la quiétude des bibliothèques oxfordiennes où il tourne aujourd’hui et, bientôt, l’ambiance moins cosy mais tout aussi tranquille des studios français de Bry-sur-Marne (Val-de-Marne), Luc Besson a commencé par travailler incognito en Birmanie. Pas d’autorisation, pas d’acteurs. “J’y suis allé cet été avec un visa que j’avais demandé il y a un an et muni d’une petite caméra numérique dont les images sont remarquables, confie le cinéaste. En bermuda et en tongs, j’ai pu mettre en boîte des plans sur lesquels on incrustera, en postproduction, les comédiens et des figurants.”
Cet automne, il a tourné plus d’un mois en Thaïlande. Grosse équipe, figuration importante. Et, pourtant, pas un mot dans la presse ou sur Internet. “J’avais demandé à tout le monde de rester discret sur ce projet, afin que les dirigeants birmans n’en aient pas connaissance et ne fassent pas pression sur le gouvernement thaïlandais pour nous expulser.” Tout le monde s’est donc passé le mot – si l’on peut dire, puisque, de mots, il n’y en eut point. “Chez nous, l’information serait sortie rapidement. En Orient, non. C’est une question de philosophie et de respect.” Le film s’appelle alors Dans la lumière. Le vrai titre, The Lady, est tenu secret, car il aurait immédiatement alerté les autorités. “The Lady”, c’est ainsi que les Asiatiques surnomment Ang Saun Suu Kyi.
“Tout le monde sait qui elle est, mais peu connaissent son histoire”, lance Michelle Yeoh, qui l’interprète à l’écran. Plus impliquée qu’elle, on ne voit pas. Pendant des mois, elle lit et compulse tout ce qui a trait à la vie d’Ang Saun Suu Kyi, rencontre son fils cadet, perd 6 kilos, effraie son propre enfant lorsque, la nuit, en dormant, elle parle un sabir inconnu, comme possédée par un démon, alors qu’il s’agit du premier discours de son “personnage”, qu’elle doit prononcer en birman devant des milliers de figurants. “J’ai travaillé tous les jours pendant six semaines pour l’apprendre par coeur», avoue-t-elle. Et quand The Lady, contre toute attente, est libérée il y a un mois, elle s’empresse d’aller la rencontrer, munie d’un passeport diplomatique malais. “On n’a pas parlé du film, se souvient, transfigurée, Michelle Yeoh. Mais de ce qui lui importe le plus : l’avenir.”
A l’origine, le scénario de The Lady est signé Rebecca Haynes, l’épouse d’Andy Harries, qui produit le projet. En 2007, le couple l’envoie à Michelle Yeoh. Emballée, elle en parle à Luc Besson, très ami avec son mari, Jean Todt. “Nikita, Adèle Blanc-Sec, Leeloo, dans Le Cinquième Elément… Luc a toujours eu un penchant pour les personnages féminins très forts”, explique l’actrice. Fidèle à son habitude, le réalisateur reprend néanmoins le script : “Une bonne trame mais trop basique, dit-il. Il n’y avait pas de méchant. On ne peut exposer la vision pacifiste du combat d’une femme sans montrer contre qui elle lutte.” Le scénario fini, il se débrouille pour prévenir Aung San Suu Kyi. Pas facile. “Il fallait compter deux mois pour qu’elle reçoive une missive. Et autant pour obtenir une réponse.” Elle demande à voir les films du metteur en scène. Qui s’empresse de lui en envoyer. Tous ? “Non”, avoue-t-il en souriant, sans pour autant révéler les titres de sa sélection.
Le making-of du reportage
On a écrit tout mais pas n’importe quoi sur Aung San Suu Kyi. La preuve avec cette sélection de soixante deux articles (dont une bonne partie issus de L’Express) que je dévore dans l’Eurostar qui m’emmène à Londres. Pas question d’arriver sur le plateau de The Lady de Luc Besson, avec Michelle Yeoh dans la peau de l’opposante birmane, sans connaître les détails de la vie du prix Nobel 1991. “Celui qui ne pleure pas devra consulter” m’assurera plus tard le metteur en scène, à propos de son film. Ce ne sera pas difficile. La seule lecture du destin d’Aung San Suu Kyi me trouble la vue. Et me permettent de ne pas voir passer les 2h30 de trajet. Ce qui ne sera pas le cas de la correspondance Londres-Oxford. Outre le retard du gentil molosse chargé de nous conduire, une assistante maquilleuse de l’équipe et moi-même, sur le lieu du tournage, on n’échappe pas à un embouteillage monstrueux. La neige ? Que nenni. Les étudiants, très en colère depuis une semaine à cause d’une hausse massive des droits de scolarité. Les manifestations se multiplient, de plus en plus violentes nous apprend le chauffeur. Pourtant, pas de jeune énervé à l’horizon. “La circulation est bloquée plus haut” nous explique le chauffeur. On mettra 50 minutes pour sortir de la capitale… et autant pour parcourir les quelques 80 kilomètres qui la sépare d’Oxford. Où des nuées de jeunes pas énervés du tout arpentent les rues dans leur veste à écusson et tailleurs bleu marine impeccables. Avant d’être des cahiers à carreaux, Oxford est une ville universitaire. Et un lieu de tournage, donc.
Oxford, mi-décembre. Il bruine. Le soleil se couche vite. La lumière faiblit. Mais Luc Besson est serein. Assis au fond de son petit fauteuil installé dans un gigantesque bureau de l’Oxford Union Society, haut lieu de rencontres et de débats universitaires avec les grands de ce monde (de Winston Churchill à Mère Teresa), le réalisateur dirige David Thewlis. Le professeur lycanthrope de la saga Harry Potter incarne ici Michael Aris, le mari d’Aung San Suu Kyi, et est pour l’heure occupé avec un étudiant à constituer le dossier de candidature au Nobel. “Très bon ! lance le cinéaste. Une autre.” Une autre prise, s’entend. La douzième.
Personne ne bronche. Tout le monde s’active. Avec le sourire. Au diapason avec un Luc Besson incroyablement disert, détendu. Ce qui ne nuit pas à son efficacité.
Pour une séquence de cocktail, toujours avec David Thewlis, il boucle 19 prises en moins de deux heures. Pourquoi tant ? Parce qu’il recherche le bon tempo dans le débit et dans le déplacement des comédiens. “J’ai passé l’âge où je me regardais tourner. Où j’étais complaisant dans les mouvements de caméra.” Voilà que Luc Besson vire à l’autocritique ! Quid du grizzly grognon ? Là, il file derrière la caméra pour régler le cadre. Aussi rapidement que s’il nouait ses lacets. Le bonhomme connaît son métier. Et l’aime. Avec The Lady, il tord définitivement le cou à sa promesse de ne réaliser que dix films. “Je ne sais pas combien de temps cela va durer, mais j’ai repris du plaisir”, dit-il. L’influence d’Aung San Suu Kyi a des bienfaits collatéraux inattendus.
Source : L’Express – Christophe Carrière
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