De « La Haine » à « Hors-la-loi », François est redevenu Hassan

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Le double prénom de ce Franco-Algérien très parisien reflète son histoire et dit beaucoup du lien complexe entre les deux pays. Le prénom Hassan (« bon et généreux » en arabe) a dû, pour raison professionnelle, se faire discret durant des années, pour se terrer derrière celui de François, plus conforme :

« A 16 ans, je suis coursier, je m’appelle Hassan, cela ne pose aucun problème pour le travail que j’ai à faire. »

« Tiens, voilà l’Arabe… »

Nous sommes en 1984 et le futur attaché de presse, aujourd’hui parmi les plus reconnus de la place de Paris, ne dérange alors personne avec son casque. Sauf une secrétaire qui l’accueille régulièrement, dans la société de films où il travaille, par un :

« Tiens, voilà l’Arabe qui vient voler le travail des Français. »

Le patron, Jacques Leitienne, a repéré ce gamin -17 ans- malin, futé. Hassan, qui est né à Paris mais a grandi en Algérie, vit avec son frère et sa sœur. Le père est décédé, la mère est restée au pays.

Peu enclin aux études, l’ado se révèle, en revanche, brillant écolier de la vie. Un jour où il se distingue par sa grande débrouille, le boss lui-même lui propose de s’essayer au boulot d’attaché de presse.

Avant de toper là, Leitienne pose un ultimatum et une condition :

L’ultimatum : en six mois, si cette nouvelle vocation ne décolle pas, retour à la case mobylette.

La condition, changer de prénom.

« Dans ce travail, Hassan, ça ne marchera pas. »

« J’ai une tête à m’appeler François ? »

Quelques jours plus tard, on demande un certain « François Guerrar » au téléphone :

« Je me suis dit : “ J’ai une tête à m’appeler François ? ” sourit-il, avant de souligner : “ Attention, ce type n’était pas raciste, il voulait m’aider ” ».

Un patron paternaliste qui l’inscrit à des cours de perfectionnement pour lire et écrire, l’envoie visionner des films et lui en demande un rapport quotidien, lui interdit de regarder des œuvres sous-titrées afin d’en pénétrer la langue originale, l’initie à la distribution, à la presse… Hassan apprend le métier, mais c’est François qui l’exerce.

Il est très reconnaissant à l’égard de Leitienne, ce mentor qui l’a « vu », lui issu d’une minorité longtemps invisible.

Smaïn, Roschdy Zem… « On s’est mis à nous regarder »

C’est qu’en vingt ans, au travers des films qu’il défend, cet attaché de presse est devenu observateur des changements de la société française :

« Avant, l’Arabe était considéré comme sale, pas beau… La “visibilité” nous a rendus beaux et elle a été possible d’abord par les spectacles de Smaïn, les films de Yamina Benguigui, puis grâce à des comédiens.

Dès qu’on parle de Roschdy Zem ou Sami Bouajila, la première réaction, c’est : “Qu’est ce qu’il est beau ! ” Pour la première fois, à travers ces acteurs, on nous a vus comme “normaux”.

En fait, on s’est enfin mis à nous regarder. Et quand tu regardes, tu vois l’autre et tu perds tes préjugés.

Oui, un Arabe, ça peut être beau. Si en plus, comme Roschdy, il amène près d’un million de spectateurs juste sur son nom… »

« Tout l’équipe [de “La Haine” ] m’appelait Hassan »

Beau gosse, Guerrar l’est. Quadra à l’allure d’ado, jean, baskets et chemise blanche éclatante (dentition aussi), portable greffé à l’oreille. L’homme peut être excessif, sans mesurer qu’il reproduit le rapport passionnel entre France et Algérie.

Des colères noires, dévorantes, à la limite du divorce. Des amitiés indéfectibles dont toute déception s’assimile à une trahison. Des conciliations difficiles :

« Je ne fonctionne qu’à l’affectif ; ça m’a aussi desservi, je peux faire peur au client. »

Après dix ans de carrière -nanars italiens et autres- lui vient « La Haine ». Celle avec une majuscule, de Mathieu Kassovitz, premier film dit « de banlieue » et qui cartonne :

« Pour la première fois, j’ai pu enfin m’appeler de mes deux prénoms. Toute l’équipe m’appelait Hassan, et Kassovitz, qui est quelqu’un d’engagé, voulait que cela apparaisse sur le dossier de presse.

Mais j’étais travailleur indépendant, j’avais encore peur de perdre du boulot.

“La Haine” a marqué un tournant de ma vie : avant, j’étais l’Arabe de service, en ce sens où on ne m’aurait jamais confié de grands noms. Après, j’ai été mis dans une case “ normale ”, avec des films plus internationaux. »

Après « Indigènes », Hassan est « fier, fier »

« La Haine » n’a pas suffi, il y a eu le talent aussi. Celui de faire, comme il dit, « des coups, comme lancer le buzz de “La Haine” dès le tournage » :

« J’aime la stratégie, et j’aime évoluer en même temps que ce métier. »

Il y a aussi le vocabulaire qui va avec les coups. Comme les abondants -et très parisiens- « Mon ou ma chéri(e) » ou « Hanouna » en arabe. Comme « fermer un deal », pour un magazine qui s’est engagé à rédiger un article -de préférence bienveillant. Gare s’il se dédit ! Il y a encore l’expression « déclencher » :

« On indique une piste à un journaliste, on le met dans la bonne rue et on le laisse chercher. »

Exemple : quand, en 2005, après un échange avec Bouchareb autour d’« Indigènes », Jacques Chirac décide de régler la question des pensions, Hassan ne relaie pas l’info, qui relève de l’Elysée, aux journalistes. Ces derniers, en revanche, auront su que le Président est sorti « bouleversé » de la projection privée…

L’annonce de Chirac, qui coïncide avec la sortie du film, rend François résolument muet, et Hassan résolument heureux « et surtout fier, fier ». Il se sent utile.

Lui, bringuebalé entre deux identités, en trouve désormais le sens. Sa rencontre avec Bouchareb marque un indéniable tournant. Définitif, sans doute.

« Un Noir ou un Beur font baisser les ventes de 20% »

Nous sommes en 2000 quand le cinéaste, pour son film « Little Sénégal » dont Guerrar fait la promo, lui demande d’inscrire son prénom originel sur le dossier de presse.

« J’ai pu enfin le faire, ça collait avec l’époque, les prénoms différents étaient devenus une mode et le Mundial était passé par là. »

Tout n’est pas gagné. Cette année-là, l’attaché de presse réunit pour une séance photo les acteurs d’« Indigènes » -Bouajila, Zem, Jamel Debbouze et Sami Naceri. Le quatuor basané, unanimement récompensé de la Palme d’or du meilleur comédien, chantant, en smocking, « C’est nous les Africains », fait la une.

Mais les principaux magazines de mode refusent la couv :

« J’ai entendu à plusieurs reprises qu’un Noir ou un Beur faisait baisser les ventes de 20% pour cette presse. Ça bouge, mais doucement », dit d’un ton tranquille Hassan qui, la même année, défend « La Graine et le mulet » d’Abdellatif Kechiche, « Les Dalton » de Philippe Haim ou « Pourquoi (pas) le Brésil » de Laetitia Masson.

Première, revue pourtant spécialisée en cinéma, ne cédera que sur l’insistance du red chef de l’époque.

Parfois, en accord avec les comédiens qu’il défend, Hassan refuse certaines interviews, comme à ce journal qui enquêtait sur le cinéma français raciste ou pas, et sollicitait l’avis de Roschdy Zem :

« Au moment où il joue enfin indifféremment un Paul ou un Henri, pourquoi le remettre dans un ghetto ? »

Comment contourner les « journalistes intellos »

Il sait de quoi il parle. En 1998, quand sort « Vivre au paradis » de Boualem Guerdjou, c’est Hassan (plus que François) qui défend ce joli film sur le massacre du 17 octobre 1961, à travers l’histoire d’un émigré dans les bidonvilles de Nanterre.

Flop, le film, « est perçu comme un film d’Arabe. Un réalisateur inconnu au bataillon, un producteur inconnu au bataillon et qui s’appelait Bouchareb, un acteur inconnu au bataillon et qui s’appelait Roschdy Zem… »

Et pour « Hors-la-loi », quelle stratégie ?

« J’ai pris en compte que certains journalistes intellos, qui adorent un plan pendant une demi-heure où il ne se passe rien, trouveraient le film trop grand public. Donc, risque de se faire enfoncer…

Alors, il y a débat avec les rédactions, comme avec Libération. Ils ont attaqué le film mais l’article est encadré d’interviews d’historiens qui, du coup, noient la critique. »

Autre technique : traquer les quotidiens qu’il sait dépendants de l’actu de dernière minute.

« Je négocie d’abord de ne pas être en bas de page mais en ouverture. Puis, je laisse reposer deux heures et je rappelle pour demander la une potentielle.

S’il y a une possibilité, alors, jusqu’à l’heure du bouclage, je guette l’actu sur l’ordi, s’il n’y a pas d’otages libérés ou autre.

Quand je joins à nouveau le journaliste, je sais ce qui est possible ou non. Je lui fais sentir que je connais bien le fonctionnement de son journal. »

Et les manifs des nostalgiques des colonies, c’est bon pour le buzz ?

« Ça, professionnellement, je les occulte complètement parce que cela peut faire peur au public.

Bouchareb, cinéaste franco-algérien, dérange parce qu’il fait des films avec des capitaux algériens.

Du coup, certains considèrent que ce sont des films français, oui, mais faits par un Arabe… Alors que personne ne se préoccupe des capitaux tunisiens dans des films franco-tunisiens. »

Isabelle Adjani, une « copine »…

Aujourd’hui, la sortie de « Hors-la-loi » conforte l’identité de Hassan Guerrar. Celle d’un Franco-Algérien qui défend depuis dix ans, sans hasard, ces films de mémoire qui apaisent aussi la sienne. Celle, surtout, d’un cinéphile, heureux d’avoir défendu « 4 mois, 3 semaines, 2 jours », le film roumain de Cristian Mungiu -Palme d’or.

Car le cinéma lui a tant appris. Klimt, Camille Claudel furent, pour lui, d’abord des titres de films avant d’être un peintre et une sculptrice. Adjani est une « copine »…

L’Australie, l’Asie, pour lesquels crèvent de désir aujourd’hui les harraga, ces compatriotes algériens qui fuient leur pays dans des bateaux de fortune, sont des continents qu’il a découverts lors de festivals ou de promo de films. Luin résume à sa façon : « J’ai fait ma vie avec le cinéma, Hanouna. »

Source : Rue89 – Souâd Belhaddad

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