Les risques du métier

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Parce que le cinéma français n’est jamais sûr de rien, il s’assure pour tout. Ou presque. Une poursuite de voitures, un décor inflammable, un négatif qui peut se rayer, un risque d’inondation… Sur un long-métrage, tout est en effet possible. Du plus tragique, comme la mort d’un technicien sur le tournage de Taxi 2, au plus improbable, comme cette maison de production qui, après avoir utilisé un tableau de 1904 dans un décor, fut attaquée par les descendants du modèle. Entrer dans le monde des assurances, où tout se négocie à l’ombre des projecteurs, c’est découvrir des cas de figure différents sur chaque film. Mais c’est justement cette accumulation de petits faits et de gros ennuis qui met en perspective une profession plus proche de l’industrie que de l’art.

Tout commence par un coup de fil de la production à son courtier spécialisé. Comme Jean-Claude Beineix, de Continental Media Assurances, qui a derrière lui vingt-deux années passées à protéger Akira Kurosawa (Ran), Claude Berri ou, bien entendu, son frère Jean-Jacques (IP5, Mortel Transfert). «Parce qu’il représente une économie très marginale, le cinéma fait partie des risques spéciaux pour les compagnies d’assurances, explique-t-il. Il ne se produit jamais «que» 140 ou 150 longs-métrages par an.»

A chaque scénario ses risques. D’où une lecture très attentive du courtier, qui décortique la moindre scène: extérieur ou studio, vitesse du véhicule, recours aux effets spéciaux ou à des cascadeurs, soleil ou pluie artificielle, plans en hélicoptère… L’analyse finie, il n’y a plus qu’à chiffrer.

Une bonne santé valant mieux qu’un long arrêt de tournage, les têtes d’affiche sont ensuite priées, avant le premier clap, d’aller voir un médecin, évidemment assermenté par les maisons d’assurances. Le choix est limité: François Zuccarelli, phlébologue, ausculte 95% de la profession. Le praticien a le monopole modeste: quand on veut le rencontrer, on doit se contenter d’un bref échange au téléphone. «C’est de la cuisine interne qui n’a pas lieu d’être explicitée, dit-il. Mon statut est plus pratique que monopolistique: depuis trente-deux ans que j’exerce, j’ai vu tous les acteurs grandir et vieillir. Je les connais donc très bien, suffisamment pour qu’une confiance se soit instaurée entre eux et moi, et entre moi et les assurances.» Hugo Rubini, de Rubini & Associés, essaie bien, de temps en temps, d’imposer un autre médecin, Olivier Sompeirac, mais Zuccarelli demeure incontournable parce qu’indispensable.

«Grâce à son expérience, il a une influence psychologique énorme sur les comédiens, explique Rubini. C’est la perversité du système.» Il affiche même une efficacité redoutable, puisque son cabinet ne les reçoit qu’entre 12 et 15 heures. Vu le nombre de films en chantier, il y a du beau monde dans la salle d’attente. Pas longtemps: les rendez-vous durent entre quatre et dix minutes au maximum. «Il doit bien faire son boulot, car il n’est contesté par personne», conclut le producteur Christophe Rossignon. Certains comédiens ont pourtant la pique facile. «Je serais enceinte de sept mois qu’il ne verrait rien», persifle l’une. «Il relève plus de l’administration que de la médecine», souffle un autre.

Zuccarelli reste néanmoins compétent. Assez pour déceler un problème cardiaque chez Jean Yanne quand celui-ci vient le voir avant le tournage d’Atomik Circus, le retour de James Bataille (avec Benoît Poelvoorde et Vanessa Paradis, sortie le 21 juillet). Yanne a beau s’énerver, Zuccarelli l’oblige à consulter un cardiologue. Qui confirme le diagnostic. Dans ces conditions, l’assureur refuse bien évidemment de couvrir l’acteur. On s’adresse alors au groupe britannique Lloyd’s pour n’assurer que les problèmes cardiaques de Yanne. Un complément de garantie très cher que la production n’a, hélas! pas eu le temps de souscrire, le comédien décédant après deux jours de tournage (il a été remplacé par Jean-Pierre Marielle).

Les réalisateurs ne sont pas dispensés de visite médicale, bien au contraire. Et, quand ils ont l’âge de leurs artères, les assureurs exigent un metteur en scène de substitution. Ainsi, en 1995, Wim Wenders assista Michelangelo Antonioni, alors âgé de 83 ans, sur Par-delà les nuages. Ainsi, Cédric Klapisch se tenait prêt à diriger Pas sur la bouche en cas de défection d’Alain Resnais, 82 ans.

Prévoir le pire n’a rien de gai, mais évite tout sinistre. Et plus tôt on assure le projet, mieux la production se porte. Exemple: Single Again, comédie que s’apprêtait à diriger il y a deux ans Joyce Sherman Buñuel, avec Maria de Medeiros et Fanny Cottençon. Quelques jours avant de commencer, la réalisatrice est victime d’un grave accident en taxi. Plusieurs points de suture, tournage repoussé. Soixante-douze heures avant d’attaquer le film pour de bon, Joyce Buñuel ne se sent pas bien. Direction les urgences, où on lui apprend qu’elle a frôlé l’embolie pulmonaire, et donc la mort. Deux semaines d’hospitalisation. Pendant ce temps, la préproduction accumule les factures. La compagnie d’assurances envoie ses experts, prêts à rembourser à condition que tout soit arrêté sur-le-champ. «Imaginons qu’elle retombe malade en plein tournage, et on ne maîtrisera plus rien», disent-ils. Le film est annulé.

On appelle ça limiter les dégâts. Ce qui n’a pas été le cas sur Les Amants du Pont-Neuf, de Leos Carax. Commencé en 1988 avec un budget de 5 millions d’euros, le film est interrompu à la suite d’un accident de l’acteur principal, Denis Lavant, blessé à la main. La préfecture de Paris refusant d’autoriser plus longtemps l’occupation du Pont-Neuf, tout devra se faire dans un décor reproduit à l’identique, à côté de Montpellier. Au bout du compte, deux maisons de production y laisseront leur peau, le budget aura triplé et les assurances devront régler environ 2 millions d’euros de sinistre. Beineix, qui suivit l’affaire, reste dubitatif: «C’est quand même troublant d’arriver à un tel montant pour un problème à la main. Un contrat d’assurance est d’abord un contrat de bonne foi.»

Une bonne foi mise à l’épreuve quand un tournage est sujet à déprimes, dépressions nerveuses et crises d’angoisse. Parfois, tout se passe bien: quand Gérard Depardieu n’est pas très motivé pour aller sur le plateau, Zuccarelli intervient et, à force d’argumentation, remet la vedette dans le droit chemin du studio.

Parfois, le problème est plus grave: la star ne fait pas de caprice et va réellement mal. Un assistant de production se souvient de cette comédienne qui, au bout d’une semaine de tournage, fut dans l’incapacité de se rendre sur le plateau de La Partie d’échecs, d’Yves Hanchar. «Un cas de force majeure, puisqu’il y a eu tentative de suicide.» Au minimum, deux semaines d’arrêt. Sans doute plus. La compagnie d’assurances grince des dents, mais se détend quand Catherine Deneuve donne son accord pour sauver le film de la catastrophe. Le temps de refaire les costumes sur mesure, et le tournage peut recommencer. Il en coûtera 350 000 € à l’assureur, qui néanmoins rechignera à payer, conseillant à la production de présenter la facture à l’actrice au moral déficient.

Le dépassement de temps – et donc d’argent – est la hantise des financiers. Surtout quand une vedette doit enchaîner avec un autre tournage et que les dates sont calculées au plus serré. En cas de grosse production, et a fortiori si elle comprend des capitaux étrangers, les investisseurs font appel à un garant de bonne fin, sorte de police des polices d’assurance. «La croix et la bannière, déclare Rossignon. Le garant, contrairement à l’assureur, est présent sur le plateau. Il va vous casser les bonbons tant qu’il peut, et trouvera à redire sur tout… Ce n’est pas tellement dans notre culture. C’est un procédé plutôt anglo-saxon.» D’ailleurs, on ne trouve qu’un garant en France: Michèle Grignon, affiliée à la société américaine Film Finance. «On passe pour la CIA ou le KGB, dit-elle. Il ne s’agit pas d’être gentil ou méchant, mais de comprendre pourquoi le film prend du retard et de résoudre les problèmes.»

Assurances, mode d’emploi

Pour assurer son long-métrage, la production s’adresse à un courtier qui, après une étude minutieuse du scénario, choisira la compagnie au taux le plus intéressant. Le coût de l’assurance varie entre 1,20 et 2% du budget du film.

Les compagnies d’assurances couvrant le cinéma sont à 90% étrangères, d’où la nécessité de faire appel à une interface française, en l’occurrence le courtier. Leaders incontestés: QBE en Australie, Gerling en Allemagne.

Les cinq sociétés de courtiers les plus importantes sont Continental Media Assurances, Rubini & Associés, Gras Savoye, Bellan, Marsh.

Les risques du métier Les clauses de base: responsabilité civile; support (négatif rayé); mobilier de décor et accessoires (casse, perte, vol, etc.); matériel audiovisuel (caméras, appareils de prise de son, etc.); rapatriement; indisponibilité des personnes et biens du tournage (décès, incendie, etc.); individuelle accident (24 h/24).

Source : L’Express du 21/06/2004

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