Besson, Adèle et le dinosaure

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1961
 

Attention, effet d’optique. Il y a bien une vie pour la bande dessinée au cinéma, en dehors de la sainte trinité Astérix-Lucky Luke-Le Petit Nicolas. Goscinny n’est pas la BD française a lui tout seul. Encore faut-il se donner la peine de chercher le bon sujet. Et l’univers ad hoc. Ainsi le prochain Luc Besson, aujourd’hui en tournage, est-il l’adaptation de la série des Adèle Blanc-sec publiée par Casterman: un personnage d’aventurière en bottines et crinoline, imaginé par Jacques Tardi en 1972, héritière de la veine feuilletoniste qui faisait florès dans les années 1900. Son Adèle est à la fois féminine et guerrière. Un vrai profil d’héroïne taillé pour le grand écran.

Le tournage de ces Aventures a commencé en août. Une production lourde et luxueuse (près de 30 millions d’euros) qui pendant dix-huit semaines s’étalera entre Le Caire et Paris et… Mortagne-au-Perche, dans l’Orne, où Besson possède un manoir studio. Au générique et dans le rôle-titre, l’exquise Louise Bourgoin, bientôt 28 ans, de moins en moins “ex-Miss météo de Canal”, mais de plus en plus actrice à plein temps. A ses côtés, Gilles Lellouche, Jean-Paul Rouve et Nicolas Giraud batailleront du côté des “gentils”, tandis que Mathieu Amalric campera un “méchant exemplaire”. On jugera sur pièces.

Choses vues et entendues lors des deux journées de tournage auxquelles le JDD a pu assister, en exclusivité.

Lundi 19 octobre, 15 heures.

Jardin des plantes, intérieur jour

Que d’os, que d’os… Pour un chien affamé, la vision de la galerie de paléontologie du Muséum d’histoire naturelle doit être une sorte de rêve éveillé. Pour le visiteur lambda, l’endroit a le charme suranné des sorties scolaires d’autrefois, tant il sent l’encaustique et respire la poussière. Pour Luc Besson, fidèle à la BD, c’est juste le lieu idéal pour faire démarrer l’intrigue de ses Aventures d’Adèle Blanc-Sec.

L’action se déroulera en 1912 et commencera avec l’éclosion d’un œuf de ptérodactyle, vieux de 136 millions d’années, dans une vitrine du Jardin des Plantes. La créature qui s’en dégagera sèmera la terreur dans le ciel de la capitale et conduira Adèle sur une curieuse enquête, dans l’Egypte des pharaons…

Luc Besson, 50 ans, pantalon noir, sweat à capuche et tee-shirt, dirige sans à-coups une équipe réduite. La mise en place (cadre, son, lumière) a été ultra rapide (dix minutes chrono). Il tient lui-même la caméra et ordonne l’action d’une voix tranquille. La scène du jour voit des policiers en costume noir et chapeau melon interroger deux blouses blanches sur le dinosaure ailé. Champ, contrechamp, un exercice basique qui tord le cou aux clichés sur les réalisateurs. Avec lui, pas de cérémonial, pas de cigare aux lèvres, pas de chaise de Director brodée à son nom, tout juste un bon vieux pliant en Nylon, genre “soldes du Vieux Campeur”. Et puis Besson ne crie pas “action”, mais murmure “attention, ça roule…”

A partir de là, sans jamais arrêter sa 35 mm, ni hausser le ton, il fait rejouer la scène jusqu’à dix ou douze fois très vite, sans interruption, jusqu’à dire, “allez, encore une dernière”. Elle sera la bonne. “Aller vite permet de garder de la spontanéité, explique le cinéaste, préserver le rythme de la scène écrite. Mais c’est possible parce que le travail de répétitions en amont a été conséquent. C’est le secret.”

“Luc continue de faire de gros films comme on fait des courts-métrages. Le rythme prime sur le reste. Spielberg tourne aussi comme ça, j’ai eu la chance de le voir travailler sur le tournage de Munich.” Le premier assistant de Luc s’appelle Stéphane Gluck, 45 ans. Dix ans à ses côtés déjà et des collaborations régulières aussi avec Jean-Paul Rappeneau et Alain Chabat.
“On ne perçoit souvent de lui que la carapace, mais le cœur est juste derrière et il bat fort quand il tourne, je vous jure.” S’il fallait une qualité, une seule, pour travailler avec Besson? “Aller vite. Etre capable de s’adapter à la vitesse à laquelle lui s’adapte, quand d’un coup il décide de modifier le plan de travail. Ne jamais s’endormir sur ses lauriers.”

De nuit, à la Concorde

Son travail pour le réalisateur a consisté, entre autres, pendant les repérages, à sillonner Paris à moto à la recherche des lieux les plus adaptés. Luc Besson adore faire de Paris le décor de ses films. Dans Subway, dans Angel-A, il a sublimé déjà la photogénie de la capitale. Pour Adèle, il s’est encore régalé, faisant rouler sur le pavé des Champs-Elysées voitures d’époque et attelages avec chevaux. “On a tourné cet été, de nuit, à la Concorde, à Madeleine et à Rivoli, avec l’aide d’une brigade de police spéciale. Des types hallucinants, avec une connaissance inouïe de la circulation à Paris, raconte Besson : en quatre minutes et deux talkies, les mecs nous ont vidé la ville. Prêts à tourner! J’avais compté cinq heures, c’était plié en trois.”

Idem le jour de notre visite. L’équipe Besson a fini avec deux bonnes heures d’avance sur le planning, permettant de faire la traditionnelle photo de groupe, lorsqu’on boucle la dernière journée sur un décor. Bye-bye le Jardin des Plantes, bonjour Bry…

Mardi 3 novembre, 12 heures.

Studio de Bry-sur-Marne, Prison de la santé, intérieur nuit

Une chance que les promesses ne soient pas toujours faites pour être tenues. Il y a juste dix ans, après avoir failli s’user à la tâche avec Jeanne d’Arc, Besson, 40 ans alors, avait dit en avoir fini avec le cinéma. “Comme réalisateur” fallait-il comprendre. Car à la suite, il n’a cessé de se dépenser sans compter (et parfois s’illustrer) comme scénariste ou producteur de petits films de série (Taken, la saga du Transporteur, etc.) jusqu’à créer, avec son associé Pierre-Ange Le Pogam, un modèle économique transposable dans les salles du monde entier. Mais Adèle est un film à 30 millions d’euros qui éloigne Besson pour un temps du cinéma low-cost.

Adèle sent bon le “cinéma de studio”, or ceux de Bry-sur-Marne (94) ont réveillé et redonné le sourire à une batterie d’artisans menuisiers, peintres et décorateurs, employés jour et nuit à la production d’Adèle. Les techniciens aux effets spéciaux travaillent eux aussi d’arrache-pied (et continueront de le faire tout l’hiver) afin de faire voler sans heurts le ptérodactyle, qui sera à coup sûr l’autre vedette du film. Et puis la semaine prochaine, l’équipe part pour l’Egypte afin de tourner en décors naturels et donner plus de véracité à la fascination que le personnage d’Adèle entretient pour les momies , une, en particulier…”Adèle a toujours eu quelque chose de moderne à mes yeux, dit Besson. En 1912, les femmes portent corset et ne votent pas. Mais elle, libérée avant l’heure, bouscule son époque et les hommes qui tentent de la dominer. Et puis elle fume dans son bain, ce qui me fait hurler de rire!”

Le Louvre en fauteuil roulant

On a dit que Marion Cotillard et Audrey Tautou auraient fait une Adèle du feu de Dieu. “On dit surtout à peu près n’importe quoi, coupe Luc. J’aime beaucoup les actrices que vous citez, mais c’est Louise que j’ai voulu voir en premier.” La voilà justement Louise. Enorme ce matin, joufflue comme un bronze de Botero, méconnaissable dans cette scène de prison où Adèle a dû se déguiser pour parler à un prisonnier… “Regardez, ils m’ont fait des mains de poivrote et un goitre de pintade! Touchez, tout est faux sur mon visage, sauf le nez et la bouche…”

Louis Bourgoin ne connaissait pas Adèle, mais avait lu Tardi. “J’ai dévoré les 9 épisodes après avoir dit “oui” à Luc. Il y a tout dans ce film. Un rêve d’actrice. Avec des moyens d’Hollywood d’autrefois. Et puis humour, suspense, dérision, action…” Et quelques bleus aussi: “Lorsqu’on a tourné de nuit au Louvre, en courant entre les salles, je me suis fait un méchant claquage, qui a viré à la tendinite, jusqu’à me faire un trou de 6 centimètres sur la cuisse… Je ne suis pas sportive, mais vous aviez deviné.”

L’ancienne des Beaux-Arts de Rennes en a profité pour faire un peu de remise à niveau auprès des guides. “J’ai été bouleversée d’apprendre que Le Radeau de la Méduse était condamné par une forme d’oxydation dévastatrice, qui le voit devenir chaque année plus sombre. Il sera illisible dans cent ans…” Et Adèle, que restera-t-il d’elle? “Pas d’inquiétude particulière”, lâche Luc Besson dans un sourire. Il a raison. Dans un épisode, Tardi la fait revenir d’entre les morts.

Sortie sur les écrans le 14 avril 2010.

Source : Carlos Gomez – Le Journal du Dimanche

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