Un barrage contre le Pacifique, l’un des premiers livres de Marguerite Duras, contient déjà en 1950, date de sa parution, la quintessence de son oeuvre. En tournant ce film, avez-vous eu le sentiment de devenir une héroïne durassienne ?
Pas au sens où on l’entend habituellement. Etre durassienne renvoie aux grandes figures de ses romans, à Lol V. Stein, à Anne-Marie Stretter, à une voix intérieure qui fait le commentaire d’un état mental. C’est un concept presque abstrait, comme le bovarysme. Le personnage que j’interprète est certes fantasmé, mais aussi bien réel, puisqu’il s’agit de la mère de Marguerite Duras, Mme Donnadieu. D’ailleurs, le livre mêle l’intime à l’ampleur historique. La bataille menée pour ériger ce barrage n’est pas uniquement personnelle, et le regard que Duras porte sur ce pays est bien celui d’une femme de gauche préoccupée par la vie des autochtones qui l’entourent.
Mais ce rempart est aussi métaphorique…
Absolument. Cette femme se défend contre toute éruption extérieure à la cellule familiale, qui est son seul point d’ancrage, sa raison de vivre. Elle construit un barrage à l’intérieur d’elle-même pour ne pas se laisser submerger par sa souffrance. L’eau qu’elle veut retenir est aussi l’eau qui s’est écoulée de son corps : comme toutes les mères, elle aurait voulu garder ses enfants dans son ventre. En cela, elle est attachante, mais pas forcément aimable, car trop destructrice, tentaculaire.
Avez-vous accepté Un barrage… tout de suite ?
Non, mais il est rare qu’un scénario me plaise d’emblée, cela ne signifie pas qu’il n’est pas bon, mais il faut du temps pour qu’il fasse son chemin. J’avais peur que le personnage ne soit trop éloigné de moi. Et puis j’ai pensé que je pouvais insuffler un peu de fragilité et d’héroïsme dans sa violence. Duras n’est pas tendre avec sa mère, elle la décrit comme lourde, usée, amère. Le film la dépeint d’une façon plus vulnérable, plus maladive, plus désespérée. Pour cette femme, un rêve s’écroule. Elle a un pied dans la boue de la rizière, mais, de l’autre, elle se raccroche à la douceur coloniale, à une époque qui s’achève.
C’est le troisième rôle de mère que vous enchaînez ?
Oui, et je l’ai accepté parce qu’il faisait écho à Home, d’Ursula Meier, et à White Material, de Claire Denis. Tout à coup se construisait une trilogie autour de trois mères attachées à leurs racines et hantées par une névrose familiale. Ce lien m’a plu. Non pas qu’il faille choisir les films par trois, mais, dans ma petite organisation mentale et psychique personnelle, c’était cohérent. Et le hasard a fait que ces tournages avaient lieu au Cambodge, au Cameroun et en Bulgarie. Je n’aurais pas entrepris de tels voyages de moi-même, mais l’aventure d’un film abolit les peurs, rend les choses moins anxiogènes.
L’un des points communs entre Un barrage… et White Material, c’est le tempérament presque viril des héroïnes…
Ce sont des femmes de pouvoir, incroyablement fortes, qui tiennent tête aux hommes. Elles ne fonctionnent pas dans l’abnégation, ou alors par nécessité, et dirigent seules des plantations. Rien n’est fait pour les soutenir. A l’époque d’Un barrage…, elles n’avaient même pas le droit de vote.
Aborde-t-on différemment un personnage réel ?
Pour la mère de Duras, on n’y pense pas. Cela reste surtout une évocation littéraire. Davantage avec Marie Stuart, Marie Curie ou Violette Nozière. Mais, là encore, j’avais toutes les libertés pour les incarner, je n’étais pas dans l’imitation, dans la ressemblance. En fait, je n’ai jamais vraiment tourné de biopic [biographie filmée]. Ou alors c’est le biopic de moi-même que je ne cesse de faire et de défaire. [Rires.]
Vous recevez beaucoup de scénarios. Comment les réalisateurs vous perçoivent-ils ?
La plupart du temps, ce n’est pas si éloigné de moi. Parfois, c’est plus étonnant. Dans La Vie promise, par exemple, le réalisateur, Olivier Dahan, m’avait vue en une sorte de Deborah Harry, la chanteuse du groupe Blondie, en blonde décolorée et trash. Se transformer est très séduisant mais cela ne doit pas être artificiel. Dès que l’on touche aux cheveux, surtout pour moi, qui suis connue pour être rousse, cela fait surgir une personne différente. Je l’ai souvent expérimenté.
Les lectrices de Elle vous ont élue femme la mieux habillée de France en 2007. Alors ?
Mes proches ont beaucoup ri. Moi, j’étais extrêmement surprise et ravie. Cela dit, les fashionistas et les rédactrices de mode, elles, avaient choisi des pointures plus sérieuses que moi.
Surtout que l’on vous voit rarement à des premières. Les mondanités vous ennuient-elles ?
Tout dépend comment on les regarde. Parfois, il suffit de changer d’angle et cela devient très drôle… ou très pathétique. Après, on peut raconter des anecdotes à ses amis…
Quatre plaques, avenue Montaigne, à Paris, rendent hommage à de grands créateurs de mode : Paul Poiret, Madeleine Vionnet, Jeanne Paquin et les soeurs Callot, qui sont vos arrière-grand-mère et arrière-grands-tantes. On les connaît peu…
Elle étaient dentellières et tenaient une maison de couture très prospère dans les années 1920. Proust les cite dans le premier tome d’A la recherche du temps perdu. Et Madeleine Vionnet, qui avait été leur première d’atelier racontait : « Grâce aux soeurs Callot, j’ai pu fabriquer des Rolls-Royce. Sans elle, j’aurais construit des Ford. » Je pense à faire revivre leur mémoire.
Votre dernier film, Villa Amalia, est votre cinquième collaboration avec Benoît Jacquot. Vous avez tourné deux fois avec Haneke, sept fois avec Chabrol…
Lorsqu’un metteur en scène vous choisit, c’est une façon de dire qu’il vous aime. Une fois, c’est très agréable. Deux, trois, quatre fois…, c’est très très très agréable. C’est qu’ils vous aiment vraiment.
Source : L’Express – Gilles MEDIONI
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