Les films tournés en Scope et en 1,85 seront désormais recadrés en 14/9(1:1,55) sur les chaînes du service public.
Jusqu’à présent les chaînes publiques diffusaient les films au format Scope avec des caches noirs en bas et en haut de l’image pour conserver la largeur du cadre (letterbox), ce n’était évidemment pas la panacée, mais au moins le format d’origine des films était respecté.
Le 21 août France 3 diffusait « Paris brûle-t-il? » de René Clément. Ce film tourné en Cinémascope a été mutilé par recadrage dans un format qui n’a jamais existé au cinéma : le 14/9 ou 1:1,55! Le titre du générique début était devenu incomplet (on lisait en forme de rébus : .ARIS BRULE-T…!!!). Dans certains plans, les acteurs situés sur les bords du cadre étaient hors champ et en voix off.
J’ai donc envoyé un mail au service des téléspectateurs de la chaîne, qui une lunaison plus tard m’a retourné cette explication amphigourique:
« Le format de diffusion de ce film est un compromis entre le format des écrans TV actuels et le format d’origine du film. En effet, France 3, chaîne généraliste et de service public, peut être amenée à modifier le format de diffusion de certains films afin que l’ensemble des téléspectateurs puisse bénéficier d’une meilleure vision »(1).
On reste évidemment ému d’une telle volonté de nous offrir une « meilleure vision ». Les vrais amateurs de cinéma objecteront que je mène ici un combat d’arrière-garde, et qu’il faut aller voir les films au cinéma ou dans les cinémathèques. C’est encore vrai pour quelques années, car les copies films vont progressivement disparaître. Les gros détenteurs de catalogues n’auront aucun scrupule à éditer leurs DVD, blue-ray ou films en téléchargement dans des formats adaptés à une « meilleure vision »pour mieux les vendre aux diffuseurs. Dans le passé de nombreux éditeurs et distributeurs ont mis sur le marché des versions « restaurées » avec un recadrage d’image, ou un son remixé en 5.1. Puis est venue la « colorisation ». (On peut citer « Autant en emporte le vent » restauré en 1,85 dans les années 70, la version remixée de Vertigo et celle colorisée de « Asphalt Jungle »). Qui sait encore que les premiers films parlants étaient au format 1,20 et qu’on ne peut plus les voir aujourd’hui qu’en 1,37 (en dehors de quelques restaurations de cinémathèque) ? La plupart des films muets ont subi le même sort. Mais les méfaits du 14/9 ne s’arrêtent pas là. Quand vous regarderez un film au format classique (Academy): 1:1,37, le rapport longueur largeur se trouvera modifié. Pour y parvenir, il faut déformer l’image en largeur, c’est une anamorphose électronique. !
On peut
imaginer que bientôt les films de répertoire seront diffusés en 16/9 comme cela se fait déjà pour les documentaires utilisant des images d’archives. L’image sera déformée en largeur et tronquée en hauteur pour occuper toute la surface des écrans 16/9. Brigitte Bardot y gagnera deux tailles de tour de hanches, et le général de Gaulle n’en sortira pas grandi tout en perdant les étoiles de son képi. Il suffira de quelques années pour que des catalogues entiers d’oeuvres soient massacrés par des « restaurations » numériques et des « remasterisations » faites au mépris du respect des oeuvres et de leurs auteurs. L’irruption discrète du format 14/9, sur lequel les chaînes se sont abstenues de communiquer, produira inévitablement ce type d’effets pervers.
Tout cela m’ayant échauffé la bile, j’ai poussé plus loin mes investigations et j’ai appris qu’il existe une recommandation FICAM/CST(2). Cette recommandation (qui n’est donc pas une obligation pour les diffuseurs), autorise de surcroît une dispense pour les formats 1:1,85 et 2,35. Cette dispense figure en caractères minuscules au bas d’un tableau et est ainsi formulée : «Valeur qui peut être modifiée sur demande de recadrage spécifique du diffuseur». Il est clair que cette recommandation pour la diffusion des films de cinéma autorise les diffuseurs à faire à peu près tout et n’importe quoi, et comme ils n’attendaient que ça, ils se sont donc engouffrés dans la brèche. On appréciera le caractère ubuesque d’une recommandation qui instaure une règle où l’image de cinéma est traitée comme un chewing-gum optique.
Vous êtes donc invités à faire circuler ce texte le plus largement possible parmi les organisations professionnelles de réalisateurs, de techniciens et de producteurs. Les sociétés d’auteurs et les ayants droits devraient se trouver au premier rang de ce combat, car cette affaire touche au respect des oeuvres et au droit moral des auteurs.
François EDE
Réalisateur et chef opérateur.
f.ede@laposte.net
Notes
(1)Service des téléspectateurs de France 3 france3.telespectateur@srt.francetelevisions.fr
(2)Les recommandations FICAM/CST sont téléchargeables sur le site de la CST :
http://www.facebook.com/l.php?u=http://www.cst.fr/spip.php?article56
Vous pouvez lui communiquer vos noms, professions et adresses mail dans la perspective de déposer une pétition.
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