Producteur audiovisuel en France : un métier

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Le déséquilibre entre le nombre des producteurs indépendants du paysage audiovisuel français et celui de leurs interlocuteurs au sein des chaînes de télévision, ainsi que les décisions industrielles de ces dernières en matière de programmes, ont contribué à modeler un espace de travail toujours plus balisé entre ces deux partenaires : d’un côté, le producteur, de l’autre les unités de programmes abritant la fonction de chargé de programmes. L’aune à laquelle est mesurée la performance quantitative de ce duo reste l’audience, ce qui explique les évolutions récentes de ces métiers. Si la répartition des rôles entre unités de programmes et producteurs est très encadrée, ces derniers ne sont pas tous logés à la même enseigne, selon leur taille et le genre de programmes abordé. Pour pénétrer les grilles de programmation des grandes chaînes, les producteurs de stock (fiction, documentaire…) semblent a priori un peu mieux armés que les petits producteurs de flux (plateaux…), qui non seulement ne bénéficient pas des aides auxquelles ont droit les œuvres, mais sont aussi soumis à une concurrence implacable de la part des quelques très gros acteurs à l’appétit et aux carnets de commande gargantuesques…

Producteur, un métier intuitu personae

Le producteur pourvoit des contenus pour une case horaire donnée dans la grille de programmes de telle ou telle chaîne. Il est jugé sur leur valeur artistique ainsi que sur la satisfaction du public. Appelé à trouver les financements nécessaires et à identifier le bon réalisateur, pièce maîtresse du dispositif (en particulier pour les producteurs d’œuvres audiovisuelles), c’est lui qui assume entièrement le risque lié à son projet et qui fabrique le « produit » commandé. D’où l’importance liée à son expérience et à sa personnalité, gages de sa légitimité. Les chaînes contrôlent le marketing des programmes (relations presse, produits dérivés, web, bandes-annonces) mais en cogèrent la partie artistique (recommandations en matière de casting…) avec les producteurs extérieurs. En d’autres termes, à la production les mains dans le cambouis, du développement du projet à la production exécutive en passant par le plaisir de la réalisation. À la chaîne TV la réflexion, le doute critique sur la justesse de la ligne éditoriale retenue, mais aussi la vision panoramique du programme.

Cela dit, le dialogue, contractualisé dans un cahier des charges précis, calé sur la ligne éditoriale de la chaîne et sur l’environnement concurrentiel, est devenu permanent entre les parties. Ce qui n’empêche pas des conflits certes rares, d’apparaître : mauvaises relations dans les chaînes entre le directeur des programmes et un responsable d’unité avec la conséquence que le programme produit ne bénéficie pas au final du soutien de l’antenne (bandes-annonces, promotion), producteur pris en tenaille entre chaînes concurrentes, accusation de contrefaçon (cf. Fogiel vs. Ardisson)…

Pour Patrick Winocour, l’un des producteurs de Quark, une société de production de documentaires de création : « Il est important d’avoir une vision précise des lignes éditoriales des diffuseurs. Cela permet de leur adresser des projets qui leur correspondent et limite les risques de refus. Le fait de siéger dans diverses commissions professionnelles, au CNC ou à la Procirep permet aussi de mieux connaître ce que les diffuseurs mettent en chantier. »

Même discours chez les gros producteurs de programmes de flux, notamment Patrick Meney. Ce journaliste, devenu animateur-producteur et conseiller aux programmes pour TF1, a fondé en 1999 la société Be Happy Productions (magazines, documentaires) rachetée en 2001 par Fremantlemedia, avant de rejoindre Magnolia France en qualité de directeur général en mai 2007 : « La force d’un producteur se résume à son intuition. Mes vingt ans de terrain dans le journalisme m’ont apporté une connaissance intime de la société. Ajoutez à cela une sensibilité particulière et mon expérience chez Carat en matière d’étude d’audiences. Mais cela ne suffit pas. Le secret, c’est de beaucoup regarder la télévision, de beaucoup zapper, encore et toujours… ».

Richesse de parcours et curiosité de tous les instants sont le lot de ces professionnels, à l’image de Dana Hastier, aujourd’hui directrice de l’unité Actualités culturelles chez Arte, hier productrice (dessin animé, fiction légère, sitcom), chef de service du Cosip au CNC , puis directrice des programmes de création et de recherche à l’Ina : « Je suis devenue diffuseur pour gagner de la liberté éditoriale et être décisionnaire ». Car c’est bien la circulation des talents entre sociétés de production et unités de programmes dans les chaînes qui fait la fécondité et l’efficacité de ce vivier de professionnels.

Des liaisons dangereuses : l’exemple d’Endemol

Les chaînes sont devenues friandes de formats pour les émissions de flux (jeux et divertissements, télé-réalité…), adaptés dans leur grande majorité de concepts achetés à l’étranger. Au détriment des producteurs français, qui hormis quelques success story du type Fort Boyard, sont largement dépassés sur ce terrain par leurs homologues hollandais, anglais ou américains. Une initiative récente de jeunes producteurs, via la création de l’Union des jeunes producteurs et créateurs indépendants (Ujpi), vise d’ailleurs à favoriser la création de programmes de flux français : « Nous souhaiterions la mise en place de mécanismes d’aide et de soutien au développement et à l’écriture de concepts français comme il en existe pour le stock », souligne Christophe Koszarek, président de l’association. Certes, les programmes de création, notamment documentaires, conservent une place sur la grille de programmes, mais ils restent en majorité relégués dans des cases moins stratégiques. Sur les grandes chaînes hertziennes, l’arbitre entre création et adaptation s’est imposé au quotidien : c’est la gestion à moindre frais du risque lié à l’audience.

Les relations quasi incestueuses entre les diffuseurs et les grosses sociétés de production comme le sont Fremantle ou Endemol France ont fait couler beaucoup d’encre. Le scandale des animateurs–producteurs de l’ « ère Elkabbach » chez France Télévisions avait déjà montré combien les contrats exclusifs pouvaient faire recette dans ce secteur. Quelques années plus tard, le producteur Stéphane Courbit va plus loin : racheter les sociétés des animateurs-producteurs et miser, à l’ère de la télé-réalité, de façon quasi industrielle sur un portefeuille de programmes engagé sur toutes les chaînes du PAF, relève du jack pot pour tous les acteurs. Côté diffuseurs, ces programmes de flux, très recherchés pour le gain d’image et d’audience qu’ils génèrent, sont aussi très rémunérateurs en matière de produits associés (vote des téléspectateurs, produits dérivés). Côté producteurs, il s’agit d’optimiser le plus en amont possible la recette des formats à succès mondialement éprouvés avec les ingrédients locaux en verrouillant des contrats d’exclusivité sur le moyen terme. Ainsi, le contrat signé entre Endemol et TF1 en 2001 couvrait-il cinq ans de collaboration et 83 millions d’euros de recettes annuelles. L’année suivante, Endemol France, avec 1 200 heures de production à son actif dont 500 pour TF1, avait déjà atteint un volume double de celui des cases de fiction, toutes chaînes françaises confondues.

Cette nouvelle sphère de collaboration entre Endemol et les gros diffuseurs s’est ensuite étendue sur la TNT. Ayant aujourd’hui rejoint l’escarcelle de Berlusconi, qui a racheté en mai 2007 la maison mère, Endemol France tient sa réussite – mais aussi sa fragilité – de la présence en son sein de ses deux protagonistes, l‘animateur Arthur (Les Enfants de la télé…) et Stéphane Courbit, dont la présence chez Endemol est garante de la validité du contrat avec TF1. On assiste ainsi à une indexation à outrance des profits sur les personnes avec une nouvelle clef de partage des revenus au bénéfice des animateurs et producteurs, dans un contexte de course à la standardisation des programmes phares. Ce nouveau modèle économique pourrait bien atteindre bientôt ses limites dans un contexte où les tendances sont en perpétuelle mutation et où l’innovation reste malgré tout un moteur indispensable de croissance chez les diffuseurs. D’où la récente diversification dans le domaine de la fiction des gros groupes ancrés dans la télé-réalité et le jeu.

Entre format et création originale, les différentes façons de produire

Dans l’espace très balisé des unités de programmes des chaînes, les producteurs de fiction ont plus d’interlocuteurs que ceux de documentaire, par exemple, et pour tirer leur épingle du jeu, les petites sociétés de production sont souvent contraintes de coproduire ou de s’allier avec des sociétés bien établies : Endemol, Fremantle, Lagardère, sociétés des animateurs/producteurs comme Jean-Luc Delarue, Laurent Ruquier ou Christophe Dechavanne, ou encore producteurs indépendants (Catherine Barma, Simone Harari). À défaut, elles restent cantonnées aux chaînes thématiques, qui leur offrent de nouveaux débouchés du fait de la présence croissante des tranches câble-satellite + TNT sur l’access prime time et dans la journée.

Les différentes façons de produire dépendent largement des genres concernés et de la taille des sociétés : selon les cas, la pression de l’urgence est plus palpable, la frontière entre auteur et producteur moins tangible. Chez Quark, les auteurs et réalisateurs sont au début du processus, ils proposent les sujets et les manières de raconter. C’est seulement au terme d’un travail de développement – qui peut parfois dépasser un an – que les projets sont proposés aux diffuseurs. Patrick Winocour compare volontiers son travail à « celui d’un éditeur qui engage avec les auteurs une démarche permettant d’affiner les projets. » Pour Patrick Meney, le cycle est plus court et les concepts d’émission sont pensés pour une chaîne donnée. « Immersion totale, produit pour France 2, avait une écriture nouvelle et une bonne image de marque. Le programme a bien fonctionné parce qu’il avait une identité forte. Or les émissions ressemblent forcément à la chaîne qui les diffuse ».

Les diffuseurs, de leur côté, ont pleinement conscience de leur position de force, et notamment de la marge étroite de liberté du producteur. Et si, de ce fait, la place faite à la jeune création est extrêmement ténue, Dana Hastier, directrice de l’unité de programmes Actualités culturelles chez Arte, a fierté à annoncer que « chez Arte, il reste toujours une place pour les premiers films et les jeunes producteurs ». Une singularité à saluer.

Pour la plupart des 660 sociétés de production recensées par le CNC en 2006, le métier de producteur reste artisanal et aléatoire. Évolution des tendances, chaises musicales dans les unités de programmes, ajustement des budgets inférieur à l’augmentation des coûts de production, baisse des commandes d’émissions récurrentes et homogénéisation des lignes éditoriales des chaînes sont autant de facteurs de fragilité pour cette industrie audiovisuelle. Les grosses sociétés de production se consolident et valsent sur les profits, tandis que de nouvelles niches se créent pour les petits producteurs sur les chaînes thématiques. Au-delà des inégalités flagrantes de traitement entre gros et petits producteurs dans les chaînes, l’apport mutuel des producteurs et des diffuseurs, en prise constante avec les préoccupations de leur public, les fait apparaître aujourd’hui comme de véritables partenaires. À tel point que passer d’un bord à un autre est quasiment un gage de réussite professionnelle (voir “Pistes pour débutants”). Et la multiplication des fenêtres d’exploitation des programmes (ADSL, mobile…) n’est pas près de modifier en profondeur la donne économique sur laquelle repose cet équilibre.

Source : Évelyne Cherbit, consultante chez C2M Consulting – 12/09/2007 / www.ina.fr

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