En tout cas,”Patrick” et “Nicolas” ne se sont pas vus ni même parlé au cours de l’été, mais Claude Guéant, secrétaire général de l’Élysée, a su créer du liant et remettre tout le monde au travail dans un bon esprit. Si bien qu’aujourd’hui, Patrick de Carolis, qui fait sa rentrée médiatique à 10 h 30, devrait annoncer qu’il négocie avec l’État actionnaire un plan d’affaires pluriannuel qui devrait conduire le groupe France Télévisions jusqu’en 2012. La date n’est pas innocente.
Un plan de financement jusqu’en 2012
D’abord, elle correspond à l’extinction du robinet analogique qui plongera la télévision dans un monde tout numérique. Ensuite, les plus observateurs auront remarqué qu’elle se situe deux ans après l’échéance de 2010 qui verra le mandat de Carolis s’achever… Une manière pour le président de France Télévisions de ne pas parasiter l’avenir du groupe par des considérations personnelles. Enfin, elle correspond à la fin du mandat de Nicolas Sarkozy, ce qui offre – du moins faut-il l’espérer – une stabilité parlementaire et gouvernementale permettant de tenir ce cap sans rupture budgétaire. Certains diront que c’est illusoire, mais bon…
L’avantage de prévoir un financement étalé jusqu’en 2012 n’est pas mince. Il rend acceptable par l’État le fait que certaines années (les deux premières, par exemple), France Télévisions soit déficitaire. Et puisque l’État aura été associé à cette décision, on n’en fera pas le reproche à Carolis à échéance, sauf à être d’une parfaite mauvaise foi (ce qui ne peut être totalement exclu en politique…).
Une étude appuie les revendications de Carolis
L’objectif, ne l’oublions pas, consiste à faire du groupe public, fort de 5 chaînes, une entreprise unifiée (c’est France 2 qui rechigne, nous dit-on), rationalisée (évitons les gabegies baroques), dynamique, capable d’arroser ses “programmes de qualité” sur tous les nouveaux supports (du téléphone portable au PC). Le fameux “média global”, ce Graal numérique auquel aspire la “vieille télé”, publique ou privée d’ailleurs. Que cette modernisation passe par un allègement des effectifs (11.000 salariés) est une évidence que, pour l’instant, personne n’ose clamer publiquement… Pensez-vous, la chuchoter relève déjà du sacrilège ! De même que l’État tarde à comprendre qu’Orange (dont il contrôle 27 %) et France Télévisions (contrôlée à 100 %) tendent à faire le même métier, sauf que l’une est riche, mais n’a pas d’audience (Orange), tandis que l’autre (FTV) est pauvre, mais possède un public et un “savoir-faire” certain. L’alliance de ces deux entités redonnerait de la cohérence à l’action de l’État dans le monde numérique de demain. L’idée fait son chemin, mais très très lentement…
L’été a surtout été l’occasion pour Carolis de se faire entendre sur le plan financier. Souvenons-nous de ses termes : “Le compte n’y est pas.” Début juillet, il estimait que le manque à gagner publicitaire de France Télévisions était sous-estimé par l’État. Il réclamait une plus forte compensation (de l’ordre de 100 millions d’euros supplémentaires). Or, une étude du BIPE (un bureau de prospective économique), commandée par la Rue de Valois, tend à crédibiliser ses revendications. Selon cette étude (que Le Point a pu consulter), les chaînes privées (surtout TF1 et M6) capteront rien moins que 369 millions d’euros de la manne publicitaire libérée par France Télévisions. Le groupe public (autorisé à faire de la pub avant 20 heures) conserverait 172 millions d’euros. Carolis serait en droit de réclamer 70 millions de plus pour compenser ses pertes…
Bientôt la riposte des chaînes privées
Évidemment, cette hypothèse jette les chaînes privées dans des transes. TF1, M6 et Canal+ (pourtant moins concerné) se sont regroupés au sein d’une “Association des chaînes privées” (ACP). Un lobby soucieux de démontrer que les déficits de France Télévisions sont dus non pas à la conjoncture, non pas à la déstabilisation du marché par la suppression de la publicité, mais bien à l’incurie du service public. L’ACP montre du doigt le système Horizon (un nouveau mode de commercialisation de la pub) dont la régie pub de France Télévisions s’est dotée début 2008. Ce système décrié aurait fait perdre “150 millions d’euros” (chiffre à prendre avec des pincettes) à France Télévisions. Sarkozy et sa réforme, annoncée le 8 janvier, auraient le dos large, selon l’ACP qui produira fin septembre ses propres analyses du marché. Des économistes de renom ont été contactés pour crédibiliser le discours anti-France Télévisions de TF1, M6 et Canal+… À la guerre comme à la guerre.
En tout cas, Carolis sait gré à Nicolas Sarkozy d’avoir tenu parole concernant les 150 millions d’euros qu’il avait promis pour aider le service public à boucler l’année 2008. La somme a été intégralement versée le 8 août dernier avec une promptitude exemplaire tant des services du Budget que de la Commission européenne qui devait donner son feu vert préalable. Chacun a fait en sorte que France Télévisions bénéficie dans les meilleurs délais de cette bouffée d’oxygène. On ne peut pas prendre en défaut Nicolas Sarkozy sur ce point. Il l’avait dit. Il l’a fait.
“Vietnam parlementaire” ?
La loi audiovisuelle, qui doit supprimer progressivement la publicité, a été rédigée par la Direction du développement des médias fin juillet. Une réunion interministérielle s’est tenue, mercredi 27 août, à Matignon afin de repasser l’avant-projet de texte en revue. Le document, qui comprend une vingtaine d’articles, doit être examiné par le Conseil d’État et le CSA (pour avis) dans les jours qui viennent. Le gouvernement presse le pas et devrait inscrire le projet au conseil des ministres le 24 septembre. Si l’on veut que le texte entre en vigueur au 1er janvier, il faudra trouver une place dans l’agenda parlementaire très rapidement de manière à ce que le vote définitif ait lieu avant la fin novembre, afin de laisser place à un recours devant le Conseil constitutionnel (généralement un mois) de la part de l’opposition. On s’attend à une bataille de milliers d’amendements et certains n’hésitent pas à prédire un “Vietnam parlementaire” autour de ce projet.
La loi comprend plusieurs points : outre la suppression de la publicité sur le service public, l’instauration des taxes compensatrices (0,9 % sur les télécoms et 3 % sur les chaînes privées), le nouveau mode de désignation du président de France Télévisions (à l’avenir, entre les mains du gouvernement), le statut d’ entreprise unique pour la holding France Télévisions, et puis, un “petit cadeau Bonux” : la seconde coupure dans les oeuvres de fiction en faveur des chaînes privées.
Le gouvernement concocte parallèlement une série de décrets (publication attendue au 1er octobre) dérégulant la pub sur les chaînes privées et instaurant de nouvelles règles entre les producteurs et les chaînes en matière d’obligations de production. TF1, qui actuellement doit consacrer 16 % de son chiffre d’affaires à la production audiovisuelle, aimerait ramener cette obligation à 11 %. Bronca des créateurs ! Un raout de protestation est prévu le 15 septembre prochain. Si les deux parties ne parviennent pas à un accord courant septembre, Christine Albanel a prévenu qu’elle déciderait, seule, par décret.
Source : LE POINT / Emmanuel Berretta
Par Emmanuel Berretta