Sylvie Testud derrière l’épaule de Sagan

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Il n’y a pas que cette fameuse « petite musique » du style de Françoise Sagan ; il y a dans son apparence physique un air qui n’appartient qu’à elle. Comment rendre le charme Sagan, ce cocktail étonnant de timidité et de désinvolture, d’insolence et de correction, ce regard en dessous, ce repli du corps ? Cette voix basse au phrasé bredouillant qui lance tout à coup des formules d’une drôlerie lapidaire et ce mélange de flou et d’acuité, ce rythme syncopé entre élan et laisser-aller. Il fallait le talent de Sylvie Testud pour dessiner cette présence, et la justesse de l’actrice est incontestablement l’atout maître du film de Diane Kurys Sagan, au milieu de sa bande d’amis, Bernard Frank (Lionel Abelanski), Jacques Chazot (Pierre Palmade), Peggy Roche (Jeanne Balibar) .

On imagine son travail comme une chorégraphie méticuleuse, et au départ, c’est un peu cela : « Pas question de rêver sur le personnage, de partir de sa psychologie, dit Sylvie Testud. On a de Sagan une image si précise et si singulière qu’on ne peut pas être approximatif. Jamais, je n’avais abordé mon métier de cette manière, mais, là, il fallait l’attraper de l’extérieur, ce n’est même pas la peine d’essayer de la jouer si on ne s’est pas approprié ses attitudes. Je suis passée par une phase de pur mimétisme, je l’écoutais dans ses entretiens avec Antoinette Fouque dans Avec mon meilleur souvenir, je regardais ses interviews, les documentaires de l’INA. J’étudiais son évolution. Je suis allée voir un ami orthophoniste : c’est une gymnastique vocale de parler comme Sagan. Plus dur que le japonais ! J’ai un petit bureau qui est mon lieu exutoire : c’est là que j’écris, que je joue pour moi en partant dans toutes les directions. C’est là que je m’efforçais d’imiter Sagan trait pour trait, avec une servilité qui m’inquiétait moi-même : j’avais peur de n’arriver qu’à la copier. »

« J’étais bien dans son univers »

Et puis, après trois mois de recherches et d’essais intensifs, Sylvie Testud a senti qu’elle avait suffisamment assimilé le comportement de Sagan pour la jouer spontanément, « en faisant confiance à la situation ». « Au fond, dit-elle, c’est une approche très amicale : c’est en observant leur attitude qu’on devine l’état d’esprit de ses amis. On interprète un geste, un regard… » Avant, Sylvie Testud ne connaissait Françoise Sagan que pour avoir lu Bonjour tristesse, adolescente, et travaillé Un château en Suède au cours de théâtre. Maintenant, elle a du mal à se séparer d’elle.

« J’étais bien dans son univers. Je m’y plaisais. Et je regrette terriblement de ne l’avoir jamais rencontrée. Elle avait l’élégance de vous rendre important, elle avait envie que les gens se sentent bien avec elle, et elle ne voulait pas être une occasion de souci pour les autres. L’amusement la motivait. Un désir d’insouciance qui n’empêchait pas l’angoisse : les enfants sont angoissés et rieurs. »

À l’écran, la comédienne fait brillamment ressortir deux traits marquants de la personnalité de Sagan, son intelligence, rapide, pétillante, et cette sincérité qui la rend si émouvante : elle était secrète et pourtant ne dissimulait rien, discrète et pourtant n’en faisant qu’à sa tête. « C’est comme si on l’avait posée à un endroit, et qu’elle l’admettait, simplement : “Bon, puisque c’est comme ça, faisons avec.” Elle prend ce que la vie lui offre, sans être jamais vraiment décidée elle-même. Elle n’est ni dans la soumission ni dans le pouvoir. Et jamais dans la revendication ni dans la vulgarité. Elle ne donne pas de leçons, n’impose pas sa personnalité. J’aime beaucoup qu’elle reste si bien élevée tout en étant complètement rock’n’roll. Finalement, elle m’apparaît plus forte que tout ce qu’elle faisait : c’est elle qui est vraiment romanesque, sa vie, son humour, sa mélancolie. »

Source : Marie-Noëlle Tranchant / Le Figaro

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La légende en vitrine

Une femme usée, aux traits fatigués, la tête inclinée, semble se pencher sur sa vie glorieuse et dérisoire. C’est la première image du film qui reviendra sur la jeunesse de Sagan, ses succès précoces, sa vie mondaine, ses amis, ses amours, ses démons, la drogue, l’alcool, le jeu. Une vie brûlée qui se consume comme une cigarette trop vite allumée. De l’écrivain on ne verra qu’une femme qui griffonne, de l’auteur, on ne retiendra qu’une célébrité qui s’ébroue.

Diane Kurys a ainsi voulu mettre la légende en vitrine sans en casser tout à fait l’image, celle d’une perdition en état de marche et d’un phénomène qui ne fut jamais dupe des autres ou d’elle-même. Le film se braque donc sur un personnage et les aléas de son entourage. Ici Chazot, là Bernard Frank ou Florence Malraux que l’on peut s’amuser à reconnaître. Mais surtout il regarde une Sagan dédoublée avec Sylvie Testud qui l’incarne d’une façon troublante et porte tout le film sur ses expressions, la moindre de ses attitudes. L’actrice est face à un miroir qui reflète l’écrivain avec cette espèce de nonchalance obstinée, cette pudique lassitude muée en aimable indifférence.

C’est bien elle cette étrangère en pays de connivence qui traverse la vie comme par hasard, un pâle sourire aux lèvres. C’est bien Sagan, singulière et détachée, trop lucide pour échapper à la morosité. À tel point que la vitrine se brise par moments pour laisser place à une femme tangible qui devient l’essence même de cette illustration, et que le vernis qui l’entoure éclate pour révéler un être solitaire et désemparé. En cela le film est presque une métaphore de l’œuvre de l’écrivain. Au milieu d’un univers vain et superficiel, on trouve les profondeurs abyssales d’un mal de vivre. Il suffit de regarder un visage pour aimer son désespoir.

Source : Dominique Borde / Le Figaro

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