«C’est dur d’être aimé par des cons»: le titre du documentaire de Daniel Leconte, sélectionné en séance spéciale à Cannes, correspond à la phrase lâchée par le Mahomet que Cabu a dessiné sur la couverture de «Charlie Hebdo» du 8 février 2006. Un numéro qui contient des caricatures du prophète et qui valut au journal d’être poursuivi en justice – puis relaxé en mars 2007. C’est sur ce procès que revient le documentaire de Leconte, de la fabrication de la «une» de Charlie Hebdo au verdict du procès.
Pour Daniel Leconte, journaliste lauréat du prix Albert Londres en 1988, passé par Le Monde Diplo, Libé et Arte avant de devenir producteur et réalisateur de films, «c’est un film personnel mais qui me dépasse, car il rend compte d’une aventure collective: celle de la résistance de la profession journalistique à l’autocensure.» Interview.
A quels autres titres aviez-vous pensé pour ce documentaire?
Choisir «C’est dur d’être aimé par des cons» était une façon de rebondir sur la une de Charlie Hebdo incriminée. Mais sinon, j’avais envisagé aussi «Le procès de la peur» ou «Le tribunal de la peur». Je tenais au mot «peur» parce que la lâcheté dans cette affaire était très liée à la peur des attentats et du terrorisme.
D’ailleurs, quand j’ai proposé mon film à une chaîne de télé, on m’a répondu «tu veux qu’ils viennent poser une bombe ici ou quoi?». Aucune chaîne n’en a voulu. Aujourd’hui, elles s’en mordent les doigts. Mais merci aux chaînes d’avoir dit non et merci à la Mosquée de Paris d’avoir porté plainte contre «Charlie Hebdo». Sans eux, le film n’aurait jamais été à Cannes. Et ce qui compte, c’est qu’il soit vu par le plus grand nombre.
Pourquoi avoir accepté d’aller à la sélection officielle alors que vous étiez déjà sélectionné pour faire partie de celle de la semaine internationale de la critique?
L’avantage de Cannes, qui est un festival international, c’est de servir de caisse de résonance. Montrer «C’est dur d’être aimé par des cons» en sélection officielle, c’est valoriser le choix de la justice française, qui a été exemplaire en réaffirmant, à l’issue du procès, la supériorité des valeurs de la République sur celles de la religion. Si j’ai choisi la sélection officielle, c’est pour servir cette cause et faire passer le message à l’international. Un message universel qui montre qu’il est possible de réunir dans un tribunal des partis opposés et de trancher en faveur de la laïcité. C’est la réponse de la France: la laïcité avant tout.
C’est la réponse de la France. Mais elle n’est pas forcément partagée par tous…
C’est en cela que le procès a été un très grand moment, d’excellence de l’esprit français, entre gravité et légèreté. Le tribunal était quasi voltairien. Quand un sondage, fait en Angleterre, demandait «vous sentez-vous musulman étranger ou anglais?», 30% des sondés répondaient «anglais», alors que pour le même sondage en France («vous sentez-vous musulman étranger ou français?», 60% des sondés répondaient «français». C’est dire à quel point le modèle français de laïcité permet une meilleure intégration et permet de pacifier les relations dans un espace commun où des convictions différentes doivent cohabiter.
Aujourd’hui, plus personne ne doit se demander si c’est dangereux ou pas de publier des caricatures de Mahomet. Depuis que le tribunal a dit: «Charlie Hebdo a eu raison d’organiser un débat d’intérêt national autour des caricatures», il n’y a plus d’incertitude là-dessus. Les magistrats ont donné leur feu vert pour que l’on continue le débat.
Quelle suite y aura-t-il à cette affaire?
Il faudrait aller voir ce que sont devenus les journalistes des pays arabo-musulmans enfermés pour avoir publié ces caricatures. En Jordanie ou en Algérie, ils risquaient beaucoup plus que Charlie Hebdo dans cette affaire. Et c’est le vrai angle mort de cette histoire: qu’est-il arrivé à ces résistants?
Recueilli par Alice Antheaume
Source : 20minutes.fr