Cinéma : les vertus apaisantes des “Ch’tis”

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Or, cet engouement est tourné vers un film qui use des privilèges de la fiction pour imaginer et mettre en scène un pays et un temps aussi proches du coeur des Français qu’ils sont éloignés de leur réalité quotidienne. Cette nostalgie pour une France homogène à peine agitée de quelques malentendus solubles dans la bonne volonté et l’alcool – la bière et le genièvre dans le cas des Ch’tis -, le film de Dany Boon la partage avec la plupart des grands succès publics du cinéma français depuis 1945. Et pour ne parler que des deux dernières décennies, avec Les Visiteurs (1993 – 13,79 millions d’entrées), Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain (2001 – 8,52 millions d’entrées) ou Les Choristes (2004 – 8,4 millions d’entrées).

Pourtant, Bienvenue chez les Ch’tis est l’oeuvre d’un homme jeune. Dany Boon n’avait pas deux ans quand Daniel Cohn-Bendit est devenu une vedette. Les deux premiers rôles du film, Dany Boon et Kad Merad, prouvent qu’il n’est pas besoin de se prévaloir de quatre grands-parents nés en France pour y devenir très populaire. Le père de Dany Boon est d’origine kabyle, Kad Merad est né à Sidi Bel Abbes (Algérie). Si le premier a suivi la voie classique du music-hall, le second s’est fait connaître sur une chaîne câblée. Les deux coscénaristes de Dany Boon, Alexandre Charlot et Franck Magnier, ont longtemps collé à l’actualité en écrivant pour les “Guignols de l’info”, sur Canal+.

La campagne de marketing de Bienvenue chez les Ch’tis est également d’une irréprochable modernité : il suffit de consulter la parodie du site de CNN, ChtiNN, mise en ligne par les distributeurs pour le constater. Et dans certaines salles, le film est projeté sur support numérique.

Mais il suffit que les lumières s’éteignent pour oublier tout ça : l’Internet, la coexistence des cultures, la numérisation de l’économie, l’affrontement politique. Bienvenue dans le monde des Ch’tis, où les seuls métiers que l’on voit exercés sont ceux de fonctionnaire des postes et de restaurateur, où tout le monde s’appelle Philippe, Antoine, Annabelle ou Julie, où la seule différence qui pourrait séparer les uns des autres se résume à deux chiffres sur une plaque minéralogique.

On conviendra que la réalité d’aujourd’hui fait une brève irruption, vers le début du film. Voyant débarquer le receveur hostile que joue Kad Merad, un des postiers du bureau de Bergues jure de lui apprendre que SUD, ce n’est pas seulement un point cardinal, mais aussi un syndicat. Cette menace restera sans suite. Une fois casé le jeu de mots, Bienvenue chez les Ch’tis s’installe dans la concorde sociale.

Quand ils font leur tournée, les postiers sont invités dans d’humbles intérieurs habités par des gens pas trop occupés, mais qui ne se plaignent pas de leur désoeuvrement. De toute façon, La Poste est bonne fille. Aux 45 millions de Français qui n’ont pas (encore) vu le film, on rappellera que le receveur Philippe Abrams (Kad Merad) a été envoyé dans le Nord parce qu’il avait tenté d’usurper une mutation avantageuse en se faisant passer pour handicapé. Ce qui, dans notre société, et dans bien des fictions, pourrait passer pour une transgression majeure devient sous le regard de Dany Boon une entourloupe courtelinesque, sans autre conséquence qu’un changement de lieu de travail. S’il est une angoisse que le film conjure en refusant sa seule évocation, c’est celle du chômage.

GENTILLESSE REVENDIQUÉE

Du coup, la compagne ordinaire de ce mal, la violence sociale, s’évapore elle aussi. Tous ces comportements qui ont aujourd’hui pris des noms infamants – dépendance à l’alcool, mise en danger de la vie d’autrui, incivilité – se transforment chez les Chtis en simples sujets de conversations de comptoir : Antoine le facteur et Philippe le receveur finissent la tournée postale ronds comme des queues de pelle, grillent un feu rouge, abreuvent un policier de gracieusetés, et tout ça est oublié le temps de se dégriser. Là où ses prédécesseurs du Splendid forçaient le trait, exagéraient la médiocrité, Dany Boon s’évertue à représenter un quotidien reconnaissable, mais débarrassé de ses toxines.

Il s’est expliqué sur ce qui l’a conduit à prendre ces distances-là avec la réalité, répétant tout à loisir qu’il voulait affranchir sa région natale (il est né à Armentières) des images de misère et de malheur qui lui collent au paysage.

Il faut faire droit à cette gentillesse revendiquée, venant d’un artiste qui a toujours préféré la méthode douce, et qui descend plus de Bourvil que de Francis Blanche. La légèreté, la brièveté et le rythme enjoué de Bienvenue chez les Ch’tis devraient interdire de lire les pensées profondes de tout un pays dans un objet conçu à de tout autres fins. Mais il y a ce succès colossal, qui devrait faire d’ici deux ou trois semaines du second long métrage de Dany Boon le plus grand succès du cinéma français depuis 1945, avant même La Grande Vadrouille, qui occupait cette place depuis quarante ans. Et ce triomphe survient, on l’a déjà fait remarquer, après ceux, plus modestes mais néanmoins colossaux, d’autres films qui tendaient au public français le même miroir tendrement déformant.

La symbiose des classes qui se perpétue à travers les siècles (Les Visiteurs), la communauté villageoise qui survit dans la mégalopole (Amélie Poulain), l’harmonie musicale comme métaphore de la réconciliation nationale (Les Choristes, remake d’un grand succès de l’immédiat après-guerre) : ces vertus apaisantes, antalgiques, ont attiré dans les salles des populations qui n’en prennent que rarement le chemin, voire jamais dans le cas de Bienvenue chez les Ch’tis. Et si ce film-là marche encore mieux que les précédents, c’est peut-être parce que l’époque s’est faite plus anxiogène. Il ne faudrait quand même pas confondre un désir d’évasion, fût-ce vers un passé fantasmé, avec une aspiration concrète. Il est d’autres pays où les grands succès du cinéma sont faits d’aventures spatiales et où l’on n’a pas signalé de départs massifs de la planète Terre.

Source : Le Monde – Thomas Sotinel

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