Cinéma français : « Le court terme domine »

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Pascale Ferran, cinéaste

« Au moment de la sortie de Lady Chatterley, j’ai eu le sentiment que la situation s’était dégradée dans des proportions incroyables par rapport à la sortie de mes deux précédents films, dix ans auparavant. On assistait à un cinéma en voie de division de tous les côtés, avec des films très riches et d’autres anormalement pauvres, certains surexposés et d’autres balayés dans un silence absolu. La France possède avec le CNC un système de réglementation sophistiqué, très performant pendant de nombreuses années, mais qui, dans un paysage cinématographique transformé par l’arrivée massive des multiplexes et le rôle prépondérant des chaînes de télévision et de leurs filiales, ne parvient plus à réguler les effets néfastes du marché. On est dans une crise, une cote d’alerte qui n’a jamais été aussi forte. Il m’a semblé possible de mettre tous les acteurs de la chaîne de fabrication d’un film autour d’une table pour revisiter le système et permettre de l’aménager pour mieux redistribuer les ressources et calmer ce déchirement, cette bipolarisation croissante du cinéma. Pour trouver, aussi, des parades à l’emprise esthétique et économique des chaînes hertziennes et mieux valoriser la carrière des films à l’étranger, car nous avons découvert qu’il n’existait curieusement aucune mesure de soutien à cet endroit-là du destin d’une œuvre. »

Cécile Vargaftig, scénariste

« Il y a un problème dans le renouvellement des talents. Beaucoup de cinéastes font un premier film dans des conditions de sous-financement, mais ils restent bloqués dans cette catégorie quand hier ils pouvaient, en acquérant savoir-faire, audience critique, reconnaissance en festivals, espérer faire un deuxième et un troisième film mieux dotés. Ils ne peuvent désormais le faire qu’en obéissant à des règles qui leur sont imposées de l’extérieur. Si des cinéastes veulent mieux gagner leur vie ou toucher un public plus important, il leur faut faire des comédies, accepter des commandes d’acteurs, par exemple. L’intégration des règles du marché, qui engendre une forme d’autocensure, se fait très spontanément. »

François Yon, exportateur de films

« Nous avons constaté que les obligations d’investissement des chaînes dans le cinéma avaient entraîné une entrée massive de celles-ci dans ses métiers : la distribution, l’édition vidéo, l’export… Ces nouveaux gros groupes audiovisuels entraînent un certain nombre de problèmes d’écrasement des indépendants, avec des formes d’abus de position dominante et de distorsions des lois de la concurrence… Si les chaînes sont investies à ce point dans les métiers du cinéma, c’est qu’elles en retirent de grands profits économiques. »

Patrick Sobelman, producteur

« La punition n’est pas la même en fonction de la catégorie des films. Des films commerciaux à gros budget qui connaissent un échec en salle ne sont pas un échec pour tout le monde : ils gardent leur valeur d’usage pour la télé, ils sont portés par des groupes qui peuvent absorber de grosses pertes. En revanche, pour des films qui ne marchent pas, produits en indépendant, il est extrêmement difficile de rebondir et la machine à perdre s’enclenche très vite. Parmi les propositions du rapport, nous demandons que le fonds de soutien automatique à la production revienne au seul producteur délégué, qui travaille de bout en bout sur le film, et que cet argent ne soit plus capté par les différents guichets de financement, y compris les chaînes de télé, les groupes audiovisuels, les agents et les vedettes… »

Arnaud Louvet, producteur

« A aucun moment le rapport ne prononce un divorce entre cinéma et télévision. L’accord entre les chaînes et l’ensemble des producteurs était et reste extrêmement précieux, car il n’existe pas aujourd’hui d’autres sources de financement. Mais nous pointons une dérive : le pouvoir des programmateurs prend le pas sur tout autre type de pouvoir à l’intérieur même des chaînes. C’est la loi du court terme qui domine et, du coup, produit des contraintes sur le scénario, sur le casting. L’argent de la télévision aurait dû être utilisé dans la mise en chantier d’œuvres diverses et si possible ambitieuses. Or le processus s’est peu à peu inversé, au point qu’aujourd’hui, c’est l’argent du cinéma qui finance des films clairement profilés pour réaliser un audimat important aussi bien pendant leur promotion que lors de leur diffusion à l’antenne. La salle n’est plus pour ces films un enjeu central. »

Denis Freyd, producteur

« La France a vraiment été le pays précurseur en terme de systèmes d’aides au cinéma, avec des mécanismes extrêmement sophistiqué. Mais l’avance sur recettes a stagné depuis quinze ans, alors que les budgets ont considérablement augmenté au fil des années. Obtenir l’avance n’est donc plus pour le film le gage d’un financement par les chaînes, parce que les sommes obtenues comptent désormais pour un douzième du budget global, quand elles représentaient encore un septième au début des années 90. Je pense par ailleurs que l’ensemble de la machine va trop vite. Les salles sont engorgées, il y a trop de films. Quand on sort de la production d’un film, trop souvent, à cause d’un manque d’équité dans le partage des recettes, il faut tout de suite en redémarrer un autre pour éponger les impayés du précédent. C’est la fuite en avant. Il faudrait que les films soient produits plus lentement et mieux, ce serait meilleur pour tout le monde. Je siège à la commission d’agrément du CNC et on voit apparaître des nouveaux producteurs tous les quinze jours, on finit par se demander si c’est encore un métier. Il y a beaucoup d’argent dépensé et quand on voit le résultat, on ne peut pas s’en satisfaire. »

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