Sean Penn sera le président du jury de la 61e édition du Festival de Cannes.

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Jean Penn a le sang chaud. Entre deux cigarettes, il croque d’ailleurs des glaçons, sans doute pour tempérer son bouillonnement intérieur. Pourtant, si le ton est grave, la voix est posée. L’homme est calme et affable. Ce qui étonne. Mais pas moins, en fait, que le sujet de son film, Into the Wild, l’histoire vraie d’un étudiant parti s’exiler, seul, au fin fond de l’Alaska. Lui, le militant anti-Bush de la première heure, qu’on attendait plutôt dans une charge contre la politique de la Maison-Blanche, s’est plongé, corps et âme, dans cette histoire au parfum existentiel. «Into the Wild célèbre ce que chacun risque de perdre», dit-il.

S’il n’est plus en colère, Sean Penn, 47 ans, n’est pas pour autant rasséréné. Et, s’il est plus réfléchi qu’avant, il est désormais inquiet. Voire angoissé. Comme une majeure partie de la population mondiale, depuis les attentats du 11 septembre 2001. «Ce drame était, pour notre gouvernement, l’occasion d’une vaste remise en question. L’espoir d’un changement d’attitude. Or cet espoir a volé en éclat. La réponse militaire de Bush à cet événement m’a brisé le cœur.» Et de se souvenir de sa note d’intention ouvrant son très beau sketch du film collectif 11’09”01 dans lequel l’appartement d’un vieil homme redevenait ensoleillé après l’effondrement des Twin Towers: «La question a toujours été: comment être en paix avec le jour présent et croire que le lendemain sera meilleur?» Une question qui en appelle une autre: comment un artiste «à qui tout Américain normalement constitué voulait casser la gueule», selon son ami le comédien Robert Duvall, est-il devenu si humaniste?

Quand Robert Duvall fait cette déclaration, les années 1980 abordent leur seconde moitié. Sean Penn est alors marié à Madonna et en guerre contre les paparazzis, dont l’un, copieusement rossé par l’acteur, l’envoie derrière les barreaux. Pendant un mois. «J’étais incapable de gérer cette célébrité qui me tombait dessus, explique-t-il. Un truc ridicule qui vous éloigne de l’essentiel.» Il s’en rapproche en 1989, quand il divorce de la chanteuse puis rencontre Robin Wright, future mère de ses deux enfants. [NDLR: Le couple Wright-Penn a annoncé sa séparation fin décembre 2007]

Pour autant, la famille, si elle est primordiale pour lui, n’est pas le seul remède à sa hargne récurrente. Littéralement transcendé par les Essais de Montaigne, qu’il découvre en prison, il voit sa rencontre avec Charles Bukowski enrichir également sa soif de réflexion. Et d’alcool. Du côté obscur de sa force intellectuelle Sean Penn tire, en 1991, un premier film sombre, The Indian Runner. «Pas sombre, non, reprend-il en avalant un glaçon. Comme dans mes autres scénarios, j’y aborde la possibilité d’une rédemption. Tout homme, quel qu’il soit, peut changer. En tout cas, je m’efforce de le croire.» Silence. Un ange passe. Avant que ce diable d’homme ne lance: «J’aime l’humanité, mais j’ai un problème avec l’humain.» Sans doute cet aveu n’a-t-il pas toujours été exprimé de manière aussi douce. «Quand je suggérais son nom, les producteurs trouvaient systématiquement une raison pour éviter de l’engager, se souvient Susan Sarandon. Ils avaient peur de lui. Sean avait alors une rage qu’il a appris à maîtriser.»

Il s’est surtout rendu compte qu’il se trompait de colère. Ce n’est pas tant le milieu du cinéma ou celui des médias qui l’exaspère depuis des années que les «locataires» de la Maison-Blanche, comme il les appelle, «toujours prompts à laver le cerveau des gens». La rancœur prend racine dans le souvenir d’un père, Leo, réalisateur blacklisté par le maccartisme en vigueur dans les années 1950. «Tout ce que l’on fait est politique. Jouer un rôle, mettre au monde un enfant… Tout», martèle le fils, saint Thomas californien décidé à ne croire que ce qu’il voit. Ainsi, en 1992, s’aventure-t-il dans les rues de Los Angeles, enflammées par les émeutes raciales qui ont suivi l’affaire Rodney King.

Depuis, on sait que sa détermination a dépassé le quartier de Watts. Et qu’elle lui a coûté. 56 000 dollars, d’abord, quand il s’offre une page dans le Washington Post du 18 octobre 2002, pour une lettre ouverte au président Bush dénonçant une guerre alors imminente en Irak. Ensuite, la haine d’une majeure partie de ses concitoyens quand, le 30 mai 2003, il se fend d’un long texte dans le New York Times, où l’on peut lire: «Ce drapeau [américain] que j’ai mis si longtemps à aimer, à respecter et à protéger menace de devenir l’étendard maudit du meurtre, de la cupidité et de la trahison de tous nos principes […].» Enfin, des railleries quand, en août 2005, il part à La Nouvelle-Orléans aider les rescapés après le passage de l’ouragan Katrina, et que le quotidien australien Herald Sun se moque d’une avarie de moteur ayant immobilisé son yacht. «Si ce journal prouve ce qu’il a écrit, je lui verse 1 million de dollars. Dans le cas contraire, à lui de débourser cette somme au profit des victimes de l’ouragan», lance-t-il à la télé. «Je n’ai jamais eu de nouvelles», souligne aujourd’hui l’acteur-réalisateur, dont on sent la rancune à fleur de peau.

Car il ne lâche rien. Investi dans tout ce qu’il entreprend, il se fout de la diplomatie. «Sur le tournage d’Into the Wild, il était surnommé Sean Patton, à force de se comporter comme un type aux allures de général allumé», souffle un collaborateur. Interrogé sur ce propos, l’intéressé ne peut s’empêcher d’embrayer politique: «Tout le monde est devenu accro au confort et a délaissé ses instincts naturels. De la même façon qu’on s’éloigne de la démocratie, en feignant de ne pas y voir un glissement vers le fascisme. Ce qui a guidé Chris McCandless [héros d’Into the Wild] a été, pour moi, une révélation et une source d’inspiration. Un mec aussi dévoué à sa cause force le respect.» Vous en êtes un autre, cher Sean.

Into the Wild, de Sean, Penn. En salles le 9 janvier.

Source : Christophe Carrière, avec Denis Rossano à Los Angeles / L’EXPRESS

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