Prague : “Moteur… action !”

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“Il n’y a jamais d’accordéon/Dans la musique militaire…” Délaissant son zinc où il a servi la tournée du patron, Célestin (François Morel) s’est lancé dans une valse musette endiablée avec Jacky (Kad Mérad) et chante pour ses copains en goguette. Chez Célestin, on est ailleurs, ambiance et costumes années 1930, Front populaire et espérances collectives, indéfrisables et cheveux gominés, cibiches et casquettes plates. A travers les vitres du café, le spectacle est déjà dépaysant. Mais si l’on zoome arrière, il devient surréaliste. On se croirait au coeur du Paname d’avant-guerre, en réalité on se trouve au milieu d’un champ de la banlieue de Prague, en République tchèque. La saison prochaine, le terrain sera cultivé, mais là, l’espace d’une saison, y a poussé une ville, magique.

Quatre mois de travail pour une centaine de personnes ont été nécessaires à la construction de ce décor d’un réalisme poétique envoûtant, imaginé par le chef décorateur Jean Rabasse. A l’envers, rien qu’un énorme échafaudage soutenu par des rondins de sapins, une excroissance bizarre surgie du néant, à 10 km du pont Charles grouillant de touristes. A l’endroit, un faubourg ouvrier dans son jus. Façades d’immeubles décrépies dont les fenêtres s’allument à la nuit, réclames peintes (Byrrh, cirage Lion noir), becs de gaz, affiches délavées, usine occupée aux briques patinées, boutique de bois et charbon, vrais pavés luisants entre lesquels on n’a pas oublié les mauvaises herbes. On a même pensé aux pigeons.

“Je n’ai jamais vu un décor comme ça, s’enthousiasme Gérard Jugnot, qui tourne à Prague depuis quatre mois et y a pris un appartement. C’est vraiment une très belle ville, le seul petit inconvénient, c’est la bouffe, quand je fais mes courses je ne sais pas toujours ce que j’achète.” Il est heureux de retrouver Christophe Barratier pour le tournage de Faubourg 36, deuxième film du réalisateur avec lequel il a triomphé dans Les Choristes, succès planétaire. “On sent que Barratier a une formation de guitariste classique, il dirige comme un chef d’orchestre, à la fois très calme et très exigeant.”

Et, justement, Faubourg 36 est un film musical dont le récit est ponctué de chansons, en situation. C’est d’ailleurs à partir des musiques, composées par Reinhardt Wagner (qui a signé 40 musiques de film) sur des textes de Frank Thomas, que Barratier a bâti son scénario. L’histoire est celle d’une “belle équipe”, façon Duvivier, qui sur fond de mouise et de solidarité va redonner vie à un music-hall, le Chansonia, convoité par un promoteur.

La distribution est à la hauteur du budget (28 millions d’euros, dont 25 % pour les décors). Dans les rôles principaux on retrouve, outre Gérard Jugnot et Kad Mérad, Clovis Cornillac, Pierre Richard (une idole au pays de Kafka) et Maxence Perrin. Quant à l’héroïne, Douce, elle est incarnée par une très jeune actrice chanteuse, Nora Arnezeder, inconnue, mais plus pour longtemps. De l’autre côté de Prague, l’intérieur du Chansonia a été édifié avec le même soin, velours rouge et fosse d’orchestre, dans d’anciens hangars de construction aéronautique.

Est-ce parce qu’il s’agit d’une histoire d’amitié et de famille – Faubourg 36 est produit par Galatée Films, la société de Jacques Perrin, oncle du réalisateur ? L’ambiance du tournage semble excellente. Perrin et Barratier ont réussi à créer une bulle fraternelle. Autour des caravanes et des tentes plantées dans la plaine boueuse, on se restaure d’une soupe ou de saucisses. Dans un car tournent des machines à laver. Dans un autre s’activent des dizaines de maquilleuses. Sous un réverbère, une habilleuse recolle une moustache, ajuste une cravate.

“Deux tiers des techniciens sont d’ici, mais il n’y a pas la tente des Tchèques et celle des Français, on vit ensemble”, confie Christian Benoît, responsable de Blue Screen, une société tchèque qui assume 10 % de la production. La fin de ce long tournage, qui aura mobilisé 4 500 figurants (payés 40 euros par jour contre 220 en France), risque d’être nostalgique.

L’intérêt économique de la délocalisation est important mais pas exclusif. “Le tournage aurait coûté moins cher en Roumanie ou en Bulgarie, observe Nicolas Mauvernais, associé de Jacques Perrin dans Galatée. Mais on trouve à Prague des professionnels de très grande qualité avec lesquels le courant passe et qui permettent de respecter les délais. Ce pays baigne dans une culture cinématographique.” Comment oublier la Nouvelle Vague des Milos Forman, Vera Chytilova, Jiri Menzel ?

A Prague et alentour, on tourne à en avoir le tournis, et les Français sont omniprésents. C’est ici que Luc Besson a réalisé Jeanne d’Arc, Olivier Dahan La Môme, et que Mathieu Kassovitz vient de donner le dernier clap de Babylon A.D., une production hollywoodienne de 60 millions de dollars qui n’ont pas empêché les retards ni les tensions entre le réalisateur et son interprète principal, Vin Diesel.

Les téléfilms s’enchaînent : après le Balzac avec Depardieu, La Dame d’Izieu, interprétée par Véronique Genest, a été mise en boîte pour TF1, comme un épisode de Joséphine, ange gardien, qui se situe… au Moyen Age.

Les Américains ne sont pas en reste. Après Oliver Twist de Polanski, le dernier James Bond, Casino Royale, a été tourné ici. Les productions Walt Disney viennent de boucler un nouvel épisode de Narnia, tandis que Wanted, un thriller de Jiri Menzel, réunissait Angelina Jolie et Morgan Freeman. Les studios Barrandov, créés par le grand-père de Vaclav Havel et agrandis par les nazis, affichent complet.

La demande est si forte que Pierre Peyrichout, un journaliste résidant à Prague qui a couvert les conflits de la Tchétchénie et de l’ex-Yougoslavie pour des radios, s’est reconverti en acteur. “La première fois, en 2003, c’était pour dépanner. Au pied levé, j’ai campé un préfet dans Clochemerle, puis j’y ai pris goût depuis, je n’arrête plus.” Peyrichout a incarné successivement Fouquier-Tinville, un juif polonais, un proche de Piaf dans La Môme et même un affreux dans Hostel 2 produit par Quentin Tarantino. Il multiplie aussi les tournages de publicités destinées au monde entier, beaucoup plus rémunérateurs.

Source : Robert Belleret : Le Monde

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Note de l’auteur du site : le journaliste fait une erreur lorsqu’il indique que le prix des figurants en France est de 220 € par jour, il est en fait de 93,01 € contre 38,67 € (exactement) en Tchéquie.

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