Fiche complète
« Communiste, anticolonialiste, d’extrême droite ? Quelle conviction guide Jacques Vergès ? Barbet Schroeder mène l’enquête pour élucider le « mystère ». Au départ de la carrière de cet avocat énigmatique : la guerre d’Algérie et Djamilah Bouhired, la pasionaria qui porte la volonté de libération de son peuple. Le jeune homme de loi épouse la cause anticolonialiste, et la femme. Puis disparaît huit ans. A son retour, Vergès défend les terroristes de tous horizons (Magdalena Kopp, Anis Naccache, Carlos) et des monstres historiques tels que Barbie. D’affaires sulfureuses en déflagrations terroristes, Barbet Schroeder suit les méandres empruntés par « L’avocat de la terreur », aux confins du politique et du judiciaire. Le cinéaste explore, questionne l’histoire du « terrorisme aveugle » et met à jour des connexions qui donnent le vertige. »
Entretien avec Barbet Schroeder
Pourquoi être revenu au documentaire trente ans après ” Général Idi Amin Dada ”
Je n’ai jamais quitté le documentaire… Après Amin Dada, j’en ai d’ailleurs fait un vrai qui était ” KoKo, le gorille qui parle “, un film philosophique avec une « star » gorille qui avait une présence de chaque instant.Ensuite, j’ai eu un autre « monstre » qui adorait d’ailleurs le film sur Amin Dada, Charles Bukowski, et là j’ai essayé de faire l’équivalent d’une collection de cinquante aphorismes, des petits monologues : ” The Charles Bukowski tapes “. Donc ça, c’était aussi un vrai documentaire. Mais tous les films de fiction que je fais, je les approche comme des documentaires car je crois en cette phrase qui a été souvent dite : ” Tout grand film est un documentaire “.
Par exemple …
Pour Le Mystère Von Bulow, par exemple, nous avions une obligation documentaire de suivre les interviews du dossier, c’est-à-dire ce que Von Bülow ou d’autres gens avaient déclaré à la police. Nous étions donc tenus de respecter, non pas à la lettre, mais à “l’esprit “, les scènes qui étaient décrites dans ces dépositions. Les scènes du film ne sont donc pas inventées, elles sont la réalité, un peu interprétée. Mais même quand on fait un documentaire, on interprète, on fabrique de la réalité et j’approche toujours les documentaires comme des fictions.
Comme dans « Général Idi Amin Dada », vous avez aussi mis de la fiction dans la matière documentaire, vous traitez Vergès et Amin Dada comme des personnages de fiction….
Absolument ! Vergès est définitivement un personnage de roman. Quand on a affaire dans la vie à un tel personnage, c’est toujours formidable. Il y a des tas de questions qui se posent, en dehors de la disparition, bien sûr… Est-ce que c’est un personnage historique ou est-ce que c’est un escroc ? Un grand coupable innocent ou grand innocent absolument coupable ?
Comment vous est venue l’idée de Vergès comme sujet de film ?
C’est grâce à l’acharnement de sa productrice Rita Dagher, que le film a vu le jour. Avec Vergès, le lien est très fort : c’est un lien de vie et de souvenir politique. Quand j’avais 14, 15 ans, j’ai fait exactement le même parcours politique que Vergès. J’avais près de 20 ans de moins que lui, j’étais dans la mouvance communiste bien que les communistes ne voulaient pas vraiment de moi, puis je les ai quittés pour me rapprocher de la mouvance de l’aide à l’Algérie en critiquant les communistes qui n’en faisaient pas assez. C’est exactement ce qui s’est passé pour Vergès. Je suivais d’ailleurs assidûment tout ce qu’il faisait ou disait : j’étais un vrai fan! J’aimais beaucoup aussi les dessins de Siné.
Comment avez-vous ensuite suivi le parcours de Vergès et qu’avez-vous pensé de son évolution ?
Je me sentais donc proche de l’Algérie, mais peu après l’indépendance, Ben Bella a fait un discours disant qu’à présent, ils allaient s’occuper d’Israël et j’ai été choqué. À l’époque, je connaissais tout sur la Shoah mais rien sur la cause palestinienne, pour moi ce fut une déception terrible de voir que toute cette lutte se terminait pour qu’un pays puisse faire la guerre à un autre. Le parcours de Vergès a été ensuite de plus en plus incompréhensible pour moi,mais j’ai toujours rêvé d’en savoir plus sur ce personnage que je voyais aussi comme un esthète pervers et décadent.Pendant le tournage de L’affaire Von Bulow, l’avocat Alan Dershovitz (qui se disait lui aussi prêt à “défendre Hitler”) avait réveillé ma curiosité en me disant toute l’admiration qu’il avait pour l’inventeur de la “stratégie de rupture “.
Il était devenu un peu un mystère !
Voilà ! Alors qu’au départ pour moi c’était un personnage héroïque, il était devenu un mystère pas toujours ragoûtant… Enfin comme j’aime les« monstres », je ne vais pas commencer à faire la fine bouche ! Mais en vérité, ce qui m’a le plus passionné, c’est de pouvoir à travers lui faire un film sur l’histoire contemporaine, sur les cinquante dernières années que nous avons vécues, que j’ai vécu aussi depuis l’âge de 13 ans, et c’est donc aussi un film sur ma vie politique, et un regard sur ce que j’ai vécu. Ce n’est bien sûr pas le même regard que celui que j’avais au moment où je vivais ces choses-là… L’angle du terrorisme aveugle permet une nouvelle perspective très révélatrice sur les cinquante dernières années… Et malheureusement, sans doute,sur les prochaines décennies.
J’aimerais que vous nous parliez de la conception du film. A-t-il été conçu comme un film de cinéma ou une enquête ?
Je ne voulais pas qu’il y ait un rapport direct entre ce que je dis et ce qui est montré. Je voulais qu’il y ait des ricochets, des traverses, et que les choses se fassent écho. Et donc, quand je parle d’une histoire d’amour, je parle en fait du terrorisme… quand je parle du terrorisme, j’en parle par le biais de l’histoire d’amour. Ce sont ces ricochets, ces échos qui me passionnent parce que dans le cinéma que j’aime c’est comme ça : on ne fait pas un discours journalistique pour prouver quelque chose, il y a une approche « fictionnelle » et poétique. Mais ce film est aussi un film de détective, j’étais le détective en chef, aidé de ma complice Eugénie Grandval qui menait l’enquête et allait faire des interviews munie d’une petite caméra haute définition. D’ailleurs, ce film je rêvais qu’il se vive d’une manière aussi passionnante qu’un film de détective ou d’espionnage.
Vous avez refusé d’utiliser la voix off et décidé d’être le plus en retrait possible, surtout de ne jamais apparaître à l’écran. Pouvez-vous nous expliquer ce choix stylistique et les conséquences qui en découlent pour ce film ?
C’est un petit peu la même chose que pour Amin Dada, l’idée est de laisser les choses parler par elles-mêmes car le discours du film doit être un discours cinématographique qui se transmet par le montage. C’est à travers le montage que l’on comprend le discours, il n’y a pas de voix off qui vous explique, mais des images qui suggèrent et le spectateur doit faire aussi une partie du travail. La collaboration de Nelly Quettier au montage est ici essentielle. On a dû trouver un récit et rester toujours dans la narration et les personnages. Et surtout ne jamais rater une occasion pour mettre en valeur les conflits, le suspens et les moments où quelque chose peut arriver.
L’utilisation de la musique symphonique est aussi surprenante …
Ce film a été conçu entièrement comme un film de fiction. La musique de Jorge Arriagada est là pour renforcer tous les éléments fictionnels : elle nous dit quelles sont les histoires d’amour dont les personnages ne veulent pas parler. Ainsi, il y a un thème pour Djamila, un thème similaire mais moins pur pour Magdalena, des thèmes pour les mouvements palestiniens afin de comprendre l’idéal des gens qui se sont joints à ces combats à cette époque là. Toute la musique agit comme dans un film de fiction pour souligner les moments de tension, de drame ou d’émotion.
Quels ont été vos choix et vos priorités par rapport à l’image ?
J’avais été l’un des premiers à utiliser la haute définition pour “ La Vierge des tueurs “ et je piaffais d’impatience à l’idée de la réutiliser. Dans ce film nous avons utilisé deux caméras ce qui nous a permis de réaliser tous les traitements désirés de l’image. Je voulais aller droit à l’essentiel, à l’interview, et ne pas perdre de temps à filmer les personnages en dehors des interviews. C’était mon fil narratif. J’ai donc choisi des cadrages et des lieux très parlants. Avec Caroline Champetier puis Jean-Luc Perreard on a longuement recherché des résonances entre les décors et les personnages.
Pouvez- vous nous parler de la construction du film ?
Tout le film se passe de la manière suivante : il y a un noyau magnifique, héroïque, qui est l’Algérie. C’est donc la matrice, là où le personnage principal va se trouver, se révéler, vivre les moments les plus intenses de sa vie. C’est là aussi qu’il va vivre la plus belle histoire d’amour que l’on puisse imaginer. Tout cela sera quelque chose de très beau, très pur, idéal. Puis avec l’indépendance de l’Algérie, les choses s’arrêtent et le personnage principal se retrouve, selon moi,sans la possibilité de continuer. Mais il aura toute sa vie le désir de retrouver ces moments là ou quelque chose qui ressemble à cela, à tout prix. Souvent dans la vie des gens, il y a une partie très pure, puis plus tard les choses se corrompent.Mais là, ce qui est intéressant, c’est que les choses se corrompent parce qu’elles veulent encore être pures …C’est ce qui est drôle car en fait c’est en voulant revivre cet amour extraordinaire qu’il avait eu avec Djamila qu’il va vivre quelque chose de tout à fait ridicule par rapport au premier amour. L’histoire se répète de manière caricaturale et grotesque. C’est le thème de ” Vertigo “(que j’ai déjà aussi traité dans ” La vierge des tueurs “) où le personnage principal veut absolument revivre une histoire qui n’a plus du tout la même qualité la deuxième fois. C’est à la fois pathétique et douloureux. On découvre ainsi que le terrorisme lui-même a suivi une évolution similaire à celle du personnage principal.
Pouvez-vous nous parler de Carlos et de ses rapports avec Vergès ?
On est là aussi en pleine richesse fictionnelle. Si on regarde ce que l’on a sur le papier, c’est une situation extraordinaire : Un avocat est amoureux d’une prisonnière, mais la prisonnière est la femme d’un grand chef terroriste qui est en train de mettre l’Europe à feu et à sang pour la faire libérer tandis que l’avocat rencontre en secret le groupe du terroriste pour essayer de la faire évader et une fois qu’elle est libre, elle lui dit : “Non, je ne peux pas rester avec toi, je dois absolument le rejoindre! “. C’est une description un peu« interprétée » mais il y a là une matière dramatique fantastique ! Les rapports de Carlos et de Vergès sont tout à fait passionnants car au début on devine qu’il y avait entre eux une grande sympathie et une grande camaraderie. Leur relation devait être du même ordre que celle qu’il avait avec Anis Naccache qui disait qu’ils étaient parfaitement de plain-pied l’un avec l’autre, qu’ils se comprenaient parfaitement… et puis, par la suite il y a eu toutes ces trahisons réelles ou imaginées…
Pouvez-vous nous parler du personnage de Hans Joachim Klein qui est une figure particulière du terrorisme ?
Oui, c’est un personnage tout à fait formidable, un peu extérieur à celui de Vergès mais je voulais le mettre dans le film car il est porteur d’espoir. Le choix de Klein est de renvoyer son revolver et de prendre un énorme risque en disparaissant. Pour moi c’est la « Happy End » qui arrive avant que le film soit terminé et que l’on garde avec soi comme un espoir. Sinon, le film serait totalement désespéré.
Comment vous situez vous par rapport à Vergès ? Etes-vous pour ou contre le personnage ?
Je ne me situe pas par rapport au personnage ! Toute mon idée, c’est de laisser parler les personnages. Je veux laisser les choses se dérouler, suivre le fil rouge qui m’est donné et qui me permet de suivre l’histoire du terrorisme contemporain à travers les destins d’une dizaine de personnages qui se croisent et s’entrecroisent. C’est tout ! Ce film n’est d’ailleurs pas vraiment un portrait de Vergès. Sa vie n’est explorée que dans la mesure où elle est liée au terrorisme.
Quelle a été l’évolution de vos rapports avec Vergès entre le début du tournage et le moment où il a vu le film ?
Nos rapports ont toujours été très cordiaux. Il a accepté dès le début quelque chose que j’ai obtenu sur tous mes films hollywoodiens : le « final cut », c’est-à-dire que j’ai le droit du montage final et le choix des gens interviewés. C’était essentiel pour moi ; je lui ai d’ailleurs dit que je le trouvais très courageux. Il m’a demandé pourquoi et je lui ai répondu que personnellement je n’aurais jamais accepté que l’on fasse un film sur moi car j’ai bien trop de choses horribles à cacher !… Il a ri … À présent il a vu le film, je le visite de temps en temps et il s’arrange toujours pour ne pas me dire vraiment tout le mal qu’il pense du film et de moi… Enfin,il dit que je suis perfide et qu’il est ma victime…
Source : Comme au cinéma
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