Les Deux Mondes, ça tourne

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Selon des autochtones, c’est ici, dans les grottes de Sudwala, près de Nelspruit, en Afrique du Sud, que le monde fut créé. En six jours, donc. Le réalisateur Daniel Cohen, lui, en mettra dix fois plus pour mener à bien ses Deux Mondes, comédie fantastique avec Benoît Poelvoorde dans la peau d’un type ordinaire qui glisse dans un univers parallèle, où il devient le sauveur d’une tribu primitive. Et avec, en second rôle, Augustin Legrand, acteur et tête de pont des Enfants de Don Quichotte.

Dans le cinéma français, on appelle cela un projet hors normes. Et cher: 18 millions d’euros. Mais Daniel Cohen est tenace et Benoît Poelvoorde est son ami. En Afrique du Sud depuis six semaines, l’équipe doit en passer encore une avant de rentrer à Paris. Observation de ces derniers jours qui ébranlèrent (un peu) Les Deux Mondes.

© L. Tremolet

Jeudi. Où l’on voit Benoît Poelvoorde, et où l’on ne doit pas voir Augustin Legrand

«9 000 bornes pour tourner dans une grotte!» La remarque faussement ironique est lancée à la cantonade. Benoît Poelvoorde vient d’arriver sur le plateau et le fait savoir. En costume, une cafetière à la main, il n’a pas l’air à sa place au milieu de ce site naturel exceptionnel – 30 kilomètres de galeries, dont la moitié inexplorées. Dans la scène précédente, son personnage se trouvait au milieu de sa cuisine, avant d’être aspiré vers cet ailleurs. Il erre donc ici pour la première fois, ignorant qu’il se trouve dans l’antre de Zoltan, géant (3,80 mètres) et cannibale, comme l’attestent les ossements humains épars. Plus tard, l’égaré – l’Elu, selon les Bégaméniens, un peuple opprimé – se battra contre le monstre. En attendant d’accomplir sa téméraire mission, notre improbable héros, ignoré en temps normal, abusera sans vergogne de son nouveau statut. «Passer de mec moyen à dieu vivant, ce n’est pas simple à gérer», s’excuse Benoît Poelvoorde.

Une fois n’est pas coutume, l’acteur a immédiatement accepté le projet. D’autant plus étonnant que, sujet à l’hypocondrie, il répugne à tourner loin de chez lui: «Je me suis renseigné: les chambres étaient climatisées. J’avais juste des vaccins à faire.» Reste que le scénario comporte des scènes intimes, ce que déteste l’acteur, avec une jolie Bégaménienne: «Je savais qu’elles seraient chastes. Zofia Borucka, ma partenaire, a des arguments pour éviter tout dérapage.» Allusion au récent mariage de la belle avec Jean Reno.

Pour l’heure, après un plan vite mis en boîte, il sort au grand air subtropical pour fumer une cigarette. Il est rejoint par un géant de 2 mètres, blanc comme la craie, fils de Dracula et d’une sorcière maléfique. C’est Augustin Legrand, qui, après trois heures et demie de maquillage, a une tête… si on peut appeler ça une tête. D’ailleurs, Daniel Cohen précise qu’on ne peut pas le prendre en photo. «Il n’apparaît ainsi que dans les trois dernières minutes du film, prévient le réalisateur. Je veux préserver la surprise.» «On peut me prendre de dos?» hasarde le comédien. Refus. La responsable de production est gênée. L’acteur aussi. Qui s’en retourne dans la grotte accomplir son devoir du jour: dévorer un Bégaménien.

Vendredi. Où, à la faveur d’une pause, on apprend comment fut monté le projet

Aujourd’hui, c’est congé. Tandis que l’équipe technique s’offre une virée au Kruger Park, Daniel Cohen et le producteur Benoît Jaubert travaillent à leur hôtel. Jaubert est débordé: parallèlement aux Deux Mondes, il suit de près le tournage, à Prague, de Babylon Babies, de Mathieu Kassovitz, son associé au sein de MNP Entreprise. Ensemble, ils ont immédiatement accepté, en 2004, de produire le film de Daniel Cohen. Mais un partenaire financier leur est indispensable. Qu’ils trouvent, un an plus tard, en la personne de Franck Chorot, producteur chez Gaumont. Reste à caler le tournage en fonction du planning très serré de Poelvoorde, accaparé par Cowboy, de Benoît Mariage, puis par Astérix et Obélix aux Jeux olympiques, de Frédéric Forestier et Thomas Langmann. Seule fenêtre de tir possible: entre janvier et mars 2007.

«Si on veut venir à bout d’un éléphant, il faut le manger petite cuillerée par petite cuillerée», métaphorise Daniel Cohen face à la charge de travail qui l’attend. Il va pourtant falloir qu’il le dévore à pleines dents: à la fin du mois, Poelvoorde ne sera plus disponible, déjà sur la préparation des Randonneurs 2, de Philippe Harel. Parfois, ça va bien, comme le choix des décors: «En Afrique du Sud, tous les paysages sont disponibles: lacs, forêts, déserts, montagnes, explique Cohen. On économise du temps, donc de l’argent.» Parfois, ça va moins bien… comme avec ces figurants exclusivement noirs envoyés par une société de production sud-africaine. «On leur a expliqué qu’on voulait un peuple bigarré, avec des vieux, des jeunes, des Noirs, des Blancs, etc.», reprend Cohen. Un choix plus coûteux pour le prestataire, obligé de payer tout le monde au «tarif blanc». Les réflexes afrikaners ont la peau dure.

Samedi. Où l’on apprend que la langue est source d’incompréhension et d’accident

Si elles font rire ses partenaires et les 35 techniciens français, les vannes de Benoît Poelvoorde laissent l’équipe sud-africaine de marbre. «Je ne parle pas anglais», se lamente l’acteur. Il s’écrie néanmoins: «Mayekeul Dukossoye», quand il aperçoit Michel Duchaussoy au maquillage en train de se faire poser une fausse barbe pour son rôle de fourbe. «Je ne vais tout de même pas passer le reste de ma vie à jouer des papys gâteaux», s’excuse presque Duchaussoy.

Pour la scène où il est conspué par une foule en révolte, Benoît Poelvoorde, toujours pas très shakespearien, préférera Daniel Cohen à un cascadeur anglais pour qu’on lui lance un œuf dessus. «J’avais peur que le Britannique ne comprenne pas ce qu’on lui demande», avoue l’acteur. Mais le réalisateur aura beau suivre les instructions – tremper au préalable le corps ovoïde dans du vinaigre, avant de le percer avec une aiguille afin qu’il éclate facilement – il touchera le coin de l’œil du Poelvoorde malchanceux.

Dimanche. Où l’on ne rigole plus du tout

Le metteur en scène se meurt. Allongé dans la grotte, il agonise dans un costume de Bégaménien. Avant d’être metteur en scène, Daniel Cohen était acteur. Aussi s’est-il octroyé un second rôle qui finit mal. En parfait accord avec l’ambiance du jour, qui, après six semaines planifiées aux normes anglo-saxonnes – douze heures de présence quotidienne et un jour de congé par semaine – n’est pas au beau fixe. La fatigue se fait ressentir. Il est temps de finir. Avant la séquence de la confrontation et sur les instructions, calmes mais immuables, de Cohen, Augustin Legrand s’y reprend à sept fois pour dire à Benoît Poelvoorde: «Alors, il paraît que c’est toi qui vas me tuer?»

Entre deux prises règne un silence religieux. Voire pesant. L’atmosphère se détend un peu quand Poelvoorde se dissimule dans une cavité. «Vous êtes sûrs qu’il n’y a plus de chauve-souris?» s’inquiète-t-il. Plus qu’un plan. L’équipe part ensuite deux jours à Sun City, le Las Vegas sud-africain. Puis retour à Paris, pour quatre semaines de tournage «normal». «Les horaires vont redevenir humains, avec le week-end pour se reposer», se régale Benoît Poelvoorde. Il y a bien les raccords à réaliser vers Fontainebleau. Pas le bout du monde.

En plus d’une caméra, Daniel Cohen sait également tenir un crayon. Plus pour des croquis que pour un vrai story-board, où chaque scène est préalablement dessinée plan par plan, tels ceux montrés ici, où on reconnaît aisément Benoît Poelvoorde. Aussi, le réalisateur a-t-il fait appel à Vincent Coperet, 38 ans, story-boarder professionnel. Les Deux mondes lui ont demandé trois mois et demi de travail pour 1 400 dessins. Depuis dix ans qu’il fait cela pour les autres, Coperet s’est mis à son propre service en illustrant un scénario de film d’aventures qu’il a écrit lui-même.

© Vincent Coperet

Source : Christophe Carrière / LEXPRESS.fr

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