Pour qui aime le jeu fin, la nuance, cette façon de jouer la comédie qui donne de la chair à des spectres et une vérité profonde aux créatures virtuelles d’auteurs gantés par leur imaginaire, le travail de Kad Merad dans « la Tête de Maman » est tout à fait éblouissant : il incarne non seulement un homme, mais un souvenir d’amour, une nostalgie de bonheur, un fantasme. Son gardien de zoo philanthrope, qui puise une énorme tendresse pour les hommes (et les femmes) de son contact avec les animaux, est de ces compositions qui laissent penser, en de brefs moments, que le septième art est supérieur aux autres et peut communiquer des impressions ineffables avec une précision qu’aucun mot ne pourrait restituer.
Tout comme, en plus succinct, la silhouette de golden boy sarcastique qu’il compose dans le brillant « Je crois que je l’aime », de Pierre Jolivet. Ou comme le père au deuil manipulateur de « Je vais bien, ne t’en fais pas » – qui vient de lui valoir le césar du meilleur second rôle – le doux gambergeur de « J’invente rien », ou n’importe lequel de la douzaine de films qu’il a tournés depuis un an. Car ce magicien de l’exactitude, dont chacune des créations semble exprimer le vrai moi avec une justesse imparable, est un dévoreur d’écran, comme François Berléand, Clovis Cornillac, Olivier Gourmet, Mathilde Seigner, Cécile de France, parfois Karin Viard, et une toute petite poignée d’inévitables qui, en même temps, représentent le meilleur de la qualité du cinéma français et la plus grande menace sur son avenir. Ceux qui deviennent des accapareurs malgré eux, sans l’avoir voulu, sans l’avoir cherché, otages involontaires de la folie d’un art industriel qui se dévore lui-même avec un autisme désarmant. Mais avant de revenir sur cette course à l’absurde que chacun, dans le métier, constate et dénonce sans y rien pouvoir changer, restons un instant avec Kad, dont la présence a bouché tout l’horizon si vite qu’on n’a pas eu le temps de le voir grandir.
«J’ai un père algérien et une mère berrichonne. Mettons que je sois un beur-richon, dit-il. J’ai grandi néanmoins près de Paris, à Ris-Orangis, où curieusement se trouve la maison de retraite des vieux comédiens. Nous habitions un pavillon comme des millions de Français, de ceux qui n’ont pas tout mais ne manquent de rien.» Son oreille s’éveille un jour pour la première fois à l’écoute d’Elvis Presley. Il a 10 ans. Le goût de la musique ne le quittera plus. En même temps que la première mob traditionnelle, ses parents lui offrent une batterie, une guitare, ce piano SDF qu’on traîne partout avec soi. Graeme Allwright, Maxime Le Forestier sont ses premiers inspirateurs. Puis, alors qu’il est en quatrième, son prof d’espagnol, Mme Rosas, à qui il a rendu hommage en recevant son césar, crée l’incident déclencheur de sa vie en lui confiant un rôle dans une pièce de Garcia Lorca. Il ne veut plus, dès lors, que monter sur scène pour y raconter non son histoire mais des histoires. Il chante, joue de la batterie, imite, fait rire, s’extériorise avec une telle volupté que ses parents parviennent à le faire entrer au cours Simon. Au bout de trois mois, l’atmosphère chicos, un peu guindée, a raison de sa patience. Il fuit. Beaucoup moins brillamment, il devient saisonnier des bars, des plages et du Club Méditerranée, fédère un joli groupe de glandeurs, les Gigolo Brothers. Le voilà devenu professionnel batteur, chanteur et ambianceur. « Ma vocation restait le théâtre, mais je sentais que cet apprentissage me convenait mieux que celui des textes classiques. Puis un jour, au bout de cinq années, que je commençais à trouver longues, une copine, qui était à la fois serveuse et comédienne, m’a amené au cours de Jacqueline Duc. Cette dame ne donnait pas de leçons, mais transmettait un enthousiasme. Elle nous parachutait directement en public dans Alceste, Don César de Bazant, Feydeau. C’était génial, mais paniquant. »
On ne s’étonnera pas d’apprendre que fondant sa première compagnie au bout de trois ans, Kad la nomme « les Kamikazes ». Mais on ne vit pas de génie, et le drôle redevient un jour pizzaiolo avant qu’un casting réussi ne le mène au micro de Oui-FM où il rencontre un monsieur sérieux, Olivier, avec qui il constituera un ravageur duo de pitres. Leur grande idée : doubler loufoquement pour leurs auditeurs priés de couper le son de leur télévision « Hélène et les Garçons », dont ils improvisent, pendant le passage même du feuilleton, tous les rôles. L’idée fait d’eux en un éclair les idoles des cancres, et Jean-Luc Delarue, sur France 2, puis « la Grosse Emission » sur la chaîne Comédie, leur donnent un public innombrable. Kad et Olivier écrivent, tournent et jouent eux-mêmes un film « Mais qui a tué Pamela Rose ? », qui connaît un joli succès. Au même moment, Christophe Barratier confie à Kad le rôle de Chabert, prof de gym dans « les Choristes ». Il n’arrêtera plus. Ayant démontré qu’il pouvait être à la fois drôle et à la fois vrai, les propositions pleuvent, et chaque composition ajoutant à sa notoriété, Kad s’incruste partout, sans le vouloir, mais parce qu’on le demande, et qu’il comprend que beaucoup de films intéressants, ou prometteurs, ne pourront pas se faire s’il ne donne pas son accord. « Je suis le premier à comprendre le problème et à deviner que le cinéma ne pourra pas durer longtemps si le nombre des comédiens dits «bankable»diminue comme une peau de chagrin. Mais les décideurs veulent les mêmes, peu de noms les rassurent, et la curiosité ne les pousse guère hors des territoires connus. Je me tue à leur recommander des jeunes qui ont tout pour faire une grande carrière. Je leur dis, par exemple : allez à la Pépinière Opéra pour voir le spectacle «Cinq de coeur». Mais rien n’y fait, c’est moi qu’ils veulent et ça ne servirait à rien de dire non.»
Ce système fou de concentration a des explications particulièrement perverses. Jean Labadie, important distributeur (BAC Films), qui vient de sortir l’excellent « J’attends quelqu’un », de Jérôme Bonnell, avec un casting magnifique, mais peu bankable (Jean-Pierre Darroussin et Emmanuelle Devos), sonne le tocsin. « Si l’industrie veut Kad Merad, ou Berléand, ou Cornillac et personne d’autre, c’est qu’elle est obligée de penser dès maintenant à la sortie du film, dont l’essentiel de la publicité sera assuré par les grandes émissions de télé et de radio. Or, les gens comme Ruquier, comme Fogiel, etc., veulent des invités qui aient de la repartie, de la drôlerie. Avec leur expérience et leur formation, Kad et ses homologues garantissent de l’audience. Mathilde Seigner a mis au point un numéro promotionnel adoré par les Français. Hélas, ce système élimine impitoyablement les non-bateleurs. On va dans le mur et la trappe se referme un peu plus chaque jour. La seule solution serait que les animateurs, avant de présenter leurs invités, aillent voir les films et disent au public : il y a aussi telle oeuvre, et telle oeuvre, et telle oeuvre, qui valent le déplacement. Sinon, à l’heure actuelle, il n’y a qu’une solution : le suicide.»
«La Tête de Maman», par Carine Tardieu, avec notamment Kad Merad et Karin Viard. En salles actuellement.
Alain Riou
Source : Le Nouvel Observateur – 2212 – 29/03/2007
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