La première fois que Marin KARMITZ m’a parlé de ce projet, j’étais en Pologne sur le « Brasier », c’était début 1990 je crois.
Quelques jours avant, dans un hôtel, j’avais vu le film à la télévision, évidemment en polonais, je suis resté bouche bée devant ce film ; j’ai demandé à Margaret KOSLOWSKA qui était l’assistante de production, de qui était ce film, elle me dit : « KIESLOWSKI, tu ne connais pas ? C’est « Brève Historie d’Amour », il en a fait 9 autres ». Je ne comprenais rien mais les images parlaient tellement…
J’ai demandé à Margaret comment me procurer ces films, elle me répondit qu’elle pouvait les faire venir de Varsovie, je les ai donc vus en polonais…
2 ou 3 jours après, j’ai eu Marin KARMITZ au téléphone ; il m’avait envoyé un livre à lire, qu’il avait en projet, il m’a dit : « Apprends le polonais car dans 2 ans, on va faire 3 films avec Krzysztof KIESLOWSKI » ! C’était donc, en quelque sorte, le premier hasard kieslowskien… Et puis, j’ai fait le « Brasier », puis « Mme Bovary » de Claude CHABROL, et « Le Voleur d’Enfants » de Christian de CHALONGE ; c’est à ce moment-là que Marin et moi sommes allés à deux reprises sur le tournage de « La Double Vie de Véronique » (séquence de la gare Saint-Lazare en extérieur).
Et c’est à partir du tournage de « Betty » de Claude CHABROL que Marin m’a proposé un contrat de deux ans sur les 3 films de KIESLOWSKI… Sans compter tout ce que Marin produisait par ailleurs, « Betty » de Claude CHABROL, « Mazeppa » de BARTABAS, et «L’Enfer » de Claude CHABROL.
Cette aventure a donc commencé un matin, au Rond Point des Champs Élysées, dans un café. Il y avait Krzysztof KIELSOWSKI, Marcin LATALLO (traducteur), PIESIEWICZ (scénariste), Nicole CANN (agent de Krzysztof KIESLOWSKI), Marin KARMITZ et moi. C’est là que nous avons pris les décisions sur le début des préparations et des tournages : déjà nous savions que « Bleu » serait tourné en France, « Blanc » en Pologne, décision de Marin et Krzysztof KIESLOWSKI ; restait l’incertitude de « Rouge » à cause de la possibilité ou non de tourner cette histoire dans un pays ou dans un autre.
Ce finalement en Suisse, aussi parce que l’idée de travailler avec Cab Productions, qui est un fidèle partenaire de MK2, nous plaisait bien.
Nous avions pris la décision de préparer les 3 films en même temps, si bien que lorsqu’on commencerait le premier, nous devrions être en principe prêts pour les 2 autres ! Comme je ne pouvais pas m’occuper de tout, il fallait, dans les pays choisis, des gens en qui nous avions confiance. En Pologne, cela ne pouvait se passer qu’avec Tor, société de production avec laquelle Krzysztof KIESLOWSKI travaille, et en Suisse avec Jean-Louis PORCHET et Gérard RUEZ de Cab Productions.
La première décision que j’ai prise a été de présenter un premier assistant à Krzysztof KIESLOWSKI : j’ai présenté Emmanuel FINKIEL, je ne pense pas que c’était un mauvais choix. Ils se sont bien entendus, et avec raison. Je connaissais Emmanuel depuis « Le Voleur d’Enfants » et je savais, intuitivement, que cela fonctionnerait entre eux deux, car Emmanuel est quelqu’un d’une abnégation totale et je crois qu’il faut cela pour travailler avec Krzysztof. Petit à petit, l’équipe s’est formée, on a commencé à faire les repérages, tout s’est mis en place. Krzysztof KIESLOWSKI a repris certaines personnes de « La Double Vie de Véronique », Muriel COULIN (assistante au cadre), Jacques WITTA (chef monteur) et Ursula LESIAK (monteuse).
Je ferai là un parallèle avec ce qui se passait en plus chez MK2, car pendant que nous préparations « Bleu », « Blanc », « Rouge », on préparait également « Mazeppa » et il me fallait composer une équipe pour BARTABAS, équipe qui n’avait strictement rien à voir avec celle que je pouvais proposer à Krzysztof KIESLOWSKI.
J’ai donc passé un début d’année extraordinaire, parce que j’essayais de trouver des gens qui pouvaient correspondre à deux metteurs en scène complètement différents et c’était génial !
Et pourtant, le tournage de « Bleu » a plutôt mal commencé. Le deuxième jour, on devait tourner jusqu’à une heure du matin et on a fini à six heures trente ! L’après-midi, une réunion a eu lieu avec Marin KARMITZ, Krzysztof et moi. On a eu l’impression que chacun cherchait ses marques et que la tournure des rapports entre le producteur et le metteur en scène se dessinait. Finalement, comme ils sont assez proches intellectuellement, bien qu’ils aient travaillé dans des systèmes où les règles sont très différentes, une sorte de contrat moral, basé sur la confiance et le respect s’est établi entre eux. Ce moment a été très important : si leur échange n’avait pas eu cette qualité, le tournage aurait pu être très pénible.
Je considère que Krzysztof KIESLOWSKI a disposé de moyens exceptionnels pour faire ces 3 films ; on ne lui a rien refusé, je ne sais pas avec quel producteur, français, européen ou même mondial, il aurait pu avoir les moyens financiers et intellectuels que lui apporté Marin qui a été pour lui un « partenaire » attentif et très présent : je peux appeler Marin à n’importe quelle heure, où qu’il soit, jamais je n’ai senti dans le ton de sa voix une ombre tendant à me faire penser que je le dérangeais : il est toujours disponible.
C’est la première fois que je vois un vrai travail de collaboration entre un producteur et un metteur en scène, d’où la réussite artistique de ces 3 films… Et puis Marin est un producteur qui aime ses metteurs en scène, et cela est capital…
Source : www.ymcproductions.com / Le site d’Yvon CRENN