ARGENT, POLITIQUE ET VIE PRIVEE

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Aujourd’hui, la porte
ensoleillée de son
immeuble, dans le
6e arrondissement de
Paris, est grande
ouverte. La concierge
a passé la serpillière
dans le hall.Ondistingue
dans la pénombre
le tapis rouge de l’escalier. Sur l’interphone,
au milieu de la liste des noms, il y a
ces initiales : CD. Catherine Dorléac, alias
Catherine Deneuve, ne se cache pas. Du
moins pas entièrement. Cinquante années
de cinéma – auxquelles la Cinémathèque
de Paris consacre, à partir du mercredi
7 mars, une rétrospective – et un statut de
star internationalen’empêchent pasdelaisser
pasdelaisser
certaines portes ouvertes et–plus étonnant
– d’avoir son nom dans l’annuaire
téléphonique.

« Comparée à d’autres stars, elle vit très
normalement. Ses fans ne sont pas agressifs.
Elle va dîner le soir dans les restaurants
de son quartier : les gens la reconnaissent,
mais on lui fiche la paix », note la
journaliste Annette Lévy-Willard, que
l’actrice avait sollicitée, à la fin des
années 1990, pour travailler sur un projet
– non abouti – de biographie. « Vous
pouvez la croiser, le soir, avec sa fille Chiara,
carrefour de l’Odéon : elles vont au cinéma,
comme tout le monde, voir les films en
salles », remarque le cinéaste Régis Warnier,
réalisateur d’Indochine (1993), lors
de l’émission « Le bon plaisir » consacrée
à Catherine Deneuve (France
Culture, mai 1999). Cette simplicité apparente
a pourtant des limites.

Dès qu’il s’agit de vie privée, les écluses
se referment. Les photographes-paparazzis
– ces « chiens de guerre », comme
l’actrice les a qualifiés au lendemain de la
mort de la princesse Diana – et, surtout,
les patrons des journaux à scandales qui
leur passent commande l’ont vite appris
à leurs dépens. Dans ce domaine, Catherine
Deneuve est une pionnière. Elle le
revendique : « J’ai besoin de zones protégées
– même si, bien sûr, rien n’est jamais
totalement hermétique. J’ai besoin de ces
portes coupe-feu », explique-t-elle dans
un entretien au Monde.

Ecluses ou coupe-feu, le système est
rodé. Depuis la fin des années 1960, époque
à laquelle il est devenu son avocat,
Me Gilles Dreyfus a procédé à « soixantecinq
assignations en justice » et, chose
plus rare encore, « tous ces procès ont été
gagnés », assure-t-il. Dommages et intérêts
à la clé. L’article 9 du code civil n’a
été adopté qu’en juillet 1970, mais la star
française, commeavant elle Marlene Dietrich,
n’a pas attendu les améliorations
de la loi pour passer à l’attaque. Sa « réputation
judiciaire », selon le mot du journaliste
Antoine de Baecque,
n’est plus à faire. « On lui a
f… la paix assez vite », se
réjouitMe Dreyfus. Le temps
n’est plus où, comme le rapporte
Edgar Morin dans Les
Stars (Le Seuil, 1957),
« 500 correspondants étaient
fixés à Hollywood pour alimenter
le monde en informations,
potins et confidences » sur la
vie des Gary Cooper et autres
Ava Gardner. Si le phénomène
perdure, il s’est « déplacé
vers le monde du football, de la mode ou de
la télévision », relève Gaël Morel, 34 ans,
avec qui Catherine Deneuve vient d’achever
le tournage d’Après lui. Le cinéaste
avait 10 ans quand il a vu, à la télévision,
Catherine Deneuve dans Belle de jour
(Buñuel, 1967). C’est elle qui lui a « donné
l’envie de faire du cinéma ». Pour Laurence
Cote, inoubliable déjantée du film
d’André Téchiné, Les Voleurs (1996), « ce
qui compte, c’est Deneuve à travers ses
rôles. Le reste lui appartient. Les personnages
et la personne n’ont rien à voir ».
Est-ce si sûr ? Pour Bertrand de Labbey,
patron d’Artmédia et agent de la
star, Catherine Deneuve est à la fois
« une femme, une grande comédienne, une
icône ». Et ce ménage à trois n’est pas des
plus paisibles. Les avocats des éditions
Gallimard, chez qui Antoine de Baecque
et Serge Toubiana ont publié en novembre
1996 une biographie de François
Truffaut, n’avaient rien vu venir. L’exposé
de la liaison née en 1969 durant le tournage
de La Sirène du Mississippi entre le
cinéaste et l’actrice et, surtout, des circonstances
de leur séparation a valu à
leurs auteurs – et à six journaux et magazines
qui les avaient cités – d’être
condamnés par la justice. A l’automne
1997, outre une amende de 30 000 francs
– l’actrice en réclamait 600 000 ! –, sept
coupes avaient été obtenues.
Les documents sur lesquels les
auteurs s’étaient fondés, à savoir « une
note dans un des carnets » du cinéaste et
« une lettre confidence d’une amie », sont
pourtant dans les archives des Films du
Carrosse (la société de production de
François Truffaut), précise Antoine de
Baecque. Mais, en dévoilant ces informations
« très intimes », les auteurs ont
franchi la ligne rouge.

Le couperet est tombé. « Quand Catherine
Deneuve veut que quelque chose soit
rendu public, elle l’organise elle-même »,
commente le journaliste. Si ce n’est pas le
cas, « elle attaque automatiquement en
justice, c’est son principe ». Avec « férocité
» et même « voracité », ajoutent les
mauvaises langues.

Prudent, Alexandre Fache, auteur de
Catherine Deneuve, une biographie (Presses
de la cité, 2004), ouvrage inspiré des
montagnes d’articles et des innombrables
interviews données par l’actrice, se
contente d’évoquer l’« idylle » avec Truffaut,
sans donner de détails sur la fin de
l’histoire. Cette fois, Me Dreyfus et sa
cliente ont décidé de ne pas
dégainer.

Question de dosage ?
« Moi, je comprends qu’elle
se défende. Les gens sont parfois
d’un grossier ! Ils s’imaginent
qu’elle leur appartient
», s’agace la photographe
Marie-Laure de Decker,
une amie de longue date.
« Dès qu’elle apparaît comme
actrice, à la ville ou à la
scène, elle fait le sacrifice de
sa subjectivité », observe la
philosophe Marie-José Mondzain, spécialiste
du rapport à l’image. « Pour moi,
c’est l’une des rares – la seule peut-être,
avec Isabelle Huppert – qui a porté au plus
haut point sa capacité d’effacement »,
ajoute la chercheuse, soulignant la « maîtrise
incroyable », dont fait preuve l’icône
du cinéma français dans le difficile « clivage
entre son apparition et sa disparition
».

Au fil du temps, « la » Deneuve, comme
disent ses fans, a fini par lâcher quelques
pans bien choisis de sa vie hors
écran. Sur sa passion du jardinage, par
exemple. Sur l’angoisse de vieillir. Sur la
mort de sa soeur, Françoise Dorléac, « la
blessure la plus importante » de sa vie. Sur
ses enfants aussi, Christian et Chiara, du
moins un petit peu.
Pas question, en revanche, de révéler
avec qui elle vit. Ni d’indiquer si elle a fait
ou non une psychanalyse. Pas plus, bien
sûr, que de laisser publier une photo d’elle
sans son feu vert.

Ces règles de fer, Isabelle Vautier,
39 ans, fan de l’actrice et créatrice en
2002 du site Internet Toutsurdeneuve,
jure les suivre à la lettre. A la rubrique
« livres » de son site ne figurent que les
ouvrages « écrits ou cautionnés par Catherine
Deneuve ». On y trouve à peu près
toutes les interviews de l’idole, mais pas
un seul article d’information ou de commentaire
: un « parti pris » qui permet
d’éviter les textes litigieux, explique la
groupie. Ce zèle n’aura pourtant servi à
rien.

L’actrice, qu’Isabelle Vautier suit pas à
pas, de défilés de modeen rencontres cannoises,
a fini par « se fâcher ». Au grand
dam de son admiratrice : « Je n’avais pas
réalisé qu’à partir du jour où je créerais un
site Internet pour vous rendre hommage,
vous deviendriez glacée et même hostile
avec moi », écrit-elle dans une « Lettre
ouverte à Catherine Deneuve ». La star ne répondra pas.

« La pureté s’exerce dans mes choix de cinéma »

DENEUVE, c’est une image et son
opposé. Cinquante ans de cinéma
depuis sa première apparition dans Les
Collégiennes, en 1957. La trajectoire
ascendante et rectiligne d’une jeune
fille blonde révélée par Buñuel, Demy,
Polanski et Truffaut et qui va devenir
« la » star française, l’égérie mystérieuse
d’un cinéma moderne, « la plus belle
femme du monde », selon le magazine
Look en 1968. Elle en sourit encore, car
aux Etats-Unis certains continuent de
l’appeler comme cela.

Catherine Deneuve, 63 ans, revient
de Los Angeles, où elle participait à la
cérémonie de remise des Oscars. Installée
au bar de l’Hôtel Lutetia, l’actrice,
lunettes noires remontées dans sa chevelure,
reçoit Le Monde seule, sans le
traditionnel chaperon-attaché de presse.
Depuis le temps qu’elle donne des
interviews, elle est rodée : prompte à
rire, elle n’élude aucune question, s’interroge
à voix haute.

Libre d’esprit et engagée, elle fut de
celles qui, en 1971 aux côtés de Jeanne
Moreau et de Delphine Seyrig, ont
signé le « Manifeste des 343 » pour le
droit à l’avortement. Militante de la première
heure contre la peine de mort ou
contre les lois Debré sur l’immigration,
elle soutient aussi la lutte contre le
sida, Reporters sans frontières. Ces
engagements s’arrêtent aux partis politiques
: « Je n’ai jamais appartenu à un
quelconque parti », dit-elle. En cette
période électorale, à l’heure où Johnny
Hallyday défraie la chronique, Catherine
Deneuve avoue « avoir eu, en paroles,
la tentation de quitter la France pour
des raisons fiscales. Penser le faire vraiment,
non. Quand j’étais au lycée, il y
avait des cours d’instruction civique. Je
me sens citoyenne française avec des
devoirs. »

L’actrice ajoute : « En tout cas, ce
serait bien de ne pas payer plus 50 %
d’impôts sur ce que l’on gagne. » Elle
sourit en lançant : « François Hollande
n’aime pas les gens riches. Je gagne beaucoup
d’argent, ça ne veut pas dire que je
suis riche. Je paie beaucoup d’impôts. Ils
risquent encore d’augmenter. »
Contrairement à Gérard Depardieu,
Catherine Deneuve est une piètre femme
d’affaires. Les parfums ou les
bijoux à sa griffe n’ont jamais vraiment
marché. « Je crains que les affaires ne
prennent beaucoup de temps. J’ai besoin
de voir des films, mes amis, de m’occuper
de mon jardin. C’est une question d’opportunité.
Gérard a eu des propositions,
il a entre autres investi dans le pétrole,
j’aurais préféré que ce ne soit pas à
Cuba », dit-elle.

L’actrice, qui fut, en 1985, modèle
des Marianne qui ornent les mairies,
estime que l’image des stars est « trop
idéalisée ». « Quand on aime autant,
c’est pour détester un jour, pouvoir détruire,
explique-t-elle. Cela va au-delà du
raisonnable. Quand j’ai signé un contrat
avec L’Oréal, certains ont jugé cela
“impur”. Pour moi, la pureté s’exerce
dans mes choix de cinéma. »
Celle qui se prépare à jouer dans son
100e film – le prochain Arnaud Desplechin
– fait son propre bilan : parmi ses
rôles préférés viennent en tête Tristana
(de Luis Buñuel, en 1970), Les Parapluies
de Cherbourg (Jacques Demy,
1964), Répulsion (Roman Polanski,
1965), Le Sauvage (Jean-Paul Rappeneau,
1975), Le Dernier Métro et La Sirène
du Mississippi (François Truffaut,
1980 et 1969).

Va-t-elle se lancer dans le théâtre ?
Le trac, la peur panique de se retrouver
sans voix devant des spectateurs en
chair et os l’ont toujours fait hésiter.
« Ce n’est pas une affaire réglée, je continue
de l’envisager ; cela reste une appréhension
plus grande que l’envie. A un certain
âge, le cinéma est plus cruel que le
théâtre et certains pensent que le théâtre
est une jolie façon de finir sa carrière. Je
le ferai si j’en ai envie, sans l’idée qu’il
faut continuer à travailler. J’ai encore
plein de propositions intéressantes au
cinéma. » Elle ne cache pas qu’elle
aimerait « bien travailler avec Jacques
Rivette, Pierre Salvadori, Cédric Klapisch,
Jacques Audiard ou Cédric
Kahn ». En revanche, si l’actrice se décidait
à faire autre chose, « la production
cinématographique pourrait peut-être
[la] tenter ».

Ses projets immédiats ? Le Desplechin,
un court métrage de vidéastes
libanais. Puis un nouveau film avec
André Téchiné, avec qui la comédienne
entretient une relation « très fraternelle
». C’est aussi le seul qui puisse tout
lui faire jouer. Mystère. « Je ne sais pas
encore exactement, conclut-elle, ce que
sera mon rôle. »

Amère, l’internaute n’en continue
pas moins de « peaufiner son oeuvre » à
la gloire de l’actrice. Elle ne s’interdit
pas de lancer quelques piques. A propos,
par exemple, du séjour de la star
en Autriche, à l’été 2006, lors d’un festival
organisé dans la province de Carinthie,
fief de l’extrémiste Jorg Haider,
dont Catherine Deneuve s’est démarquée
in extremis.

Commentaire de la fan : « Soit elle
n’est pas futée, soit elle avait vraiment
besoin d’argent ! » Mais la fondatrice de
Toutsurdeneuve n’en reste pas moins
fidèle à ses principes : son site demeure
irréprochable. « Au moment de l’affaire
Khalifa, j’avais mis deux photos. Finalement,
je les ai enlevées. J’ai préféré me censurer
plutôt que de lui faire ombrage »,
explique l’inflexible aficionada.

Si elles avaient su, bien des stars – et
pas seulement Catherine Deneuve –
auraient renoncé à aller à Alger le
28 février 2002, pour le dîner de gala
organisé par l’homme d’affaires alors
vedette du régime algérien, Rafik Khalifa
! Pas plus qu’elles ne se seraient rendues
à Cannes le 3 septembre de la même
année, pour fêter le lancement de Khalifa-
TV, la chaîne de télévision du golden boy
algérien – aujourd’hui poursuivi par la
justice, après les faillites en cascade de
toutes ses sociétés.

Le chanteur Sting et son épouse, mais
aussi Bono, Patrick Bruel, Gérard Depardieu
ou Melanie Griffith ont eux aussi
cédé aux sirènes Khalifa. « Ils se sont fait
berner, gruger, oui, bien sûr », commente
l’ancien ministre socialiste de la culture,
Jack Lang. Certes, lui-même en fut :
«Mais moi, ce n’est pas pareil : j’avais été
invité par Hervé Bourges… »
Trois ans plus tard, en janvier 2005,
devant les inspecteurs de la brigade financière,
Catherine Deneuve reconnaît avoir
été payée pour ces déplacements sans le
déclarer au fisc. Le seul gala d’Alger, où
on l’a vue dîner à la table du président
Abdelaziz Bouteflika, lui aurait rapporté,
selon la presse, un cachet de
45 000 euros en liquide. Chiffres « légèrement
exagérés », rectifie Me Hervé Temime,
autre avocat de l’actrice. L’affaire n’a
donné lieu à aucune suite pénale. L’image
de l’icône, elle, en a pris un coup.

« Pour Gérard Depardieu, on dit : c’est une
connerie de plus. Pour moi, ça devient un
crime de lèse-majesté !, s’indigne Catherine
Deneuve. Je n’ai jamais dit que j’étais
la Vierge Marie. C’est toujours très dangereux
d’être considérée comme parfaite. » Son regret n’est pas d’avoir touché
de l’argent pour sa prestation.
Extravagante « cigale »,
comme elle l’a dit mille fois,
elle demeure incapable demettre
trois sous de côté. Après 99
films – dont quelques gros succès commerciaux
–, son domaine en Normandie
est, à ce jour, le seul bien qu’elle possède.
Ses déboires avec les impôts sont un
secret de polichinelle. Son rapport « faussement
simple » à l’argent aussi.

Non, ce qui l’ennuie surtout, dans l’affaire
Khalifa, ce n’est pas l’argent.AAlger,
explique-t-elle, lors du fameux gala organisé
à l’issue d’un match de football entre
l’OM et l’équipe nationale algérienne, « il
ne devait pas y avoir Bouteflika. C’était un
événement sportif, mais il a été récupéré politiquement
». Elle, dont les engagements
militants sont anciens et discrets, ne l’a
pas digéré. « C’était sans doute une erreur
d’accepter. On a payé le prix », conclut-elle
avec cran.

« Femme d’instinct »,commedit le producteur
Paulo Branco, Catherine Deneuve,
dès qu’il s’agit de cinéma, est « quelqu’un
d’assez kamikaze », estime Jackie
Buet. « Elle a joué des rôles d’homosexuelle,
d’alcoolique, elle ose se montrer grossie ou
brisée par la vie, rappelle la fondatrice du
Festival des films de femmes de Créteil –
où l’actrice a été invitée en 1994. Et toujours
elle s’en sort ! On sent qu’elle est lestée
par ce qu’elle a vécu. Elle n’est jamais désuète.
»

Dans l’émission « Le bon plaisir »,
Catherine Deneuve, évoquant Le Dernier
Métro (1980), avait expliqué comment
François Truffaut l’avait « beaucoup poussée,
car il me connaissait dans la vie. (…) Il
a toujours pensé, ajoutait-elle, qu’il y avait
chez moi un côté Belle au bois dormant,
quelque chose qui se donnait et, en même
temps, se refusait – et qu’il fallait déverrouiller
». Le système Deneuve, déjà… Ou
les secrets du cinéma ?

Source : LE MONDE du 6 mars 2007 / Catherine Simon
et Nicole Vulser

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