Mille visages. 77 films. Des rôles majeurs au théâtre. Deux prix d’interprétation à Cannes. Trois à Venise. Un hommage à New York, un autre à la Cinémathèque française… Depuis La Dentellière (1977), la comédienne a imposé sa stature internationale. Mais, si elle imprime au cinéma la violence et les passions de ses personnages, Isabelle Huppert l’antistar, la mère de famille de trois enfants, reste dans la vie une femme de silence et de non-dits. Alors que sort son nouveau film Nue Propriété, de Joachim Lafosse, et avant de tourner au Cameroun White Material, de Claire Denis, sur un scénario de Marie NDiaye, elle raconte à L’Express sa quête d’actrice, son rapport à l’image, à la notoriété… En cette fin d’après-midi de janvier, rive gauche, à Paris, simple et sophistiquée avec son jean et ses bottes de rockeuse, elle a l’air d’une étudiante. Elle a tous les âges.
Nue Propriété est l’histoire d’une mère qui tente de s’émanciper de ses deux grands fils. Qu’est-ce qui vous a attirée dans ce film?
D’abord, l’inversion des situations. Les garçons se comportent vis-à-vis de leur mère à la fois comme des adultes et comme des enfants. Et vice versa. D’où les conflits. D’où l’implosion de la cellule familiale. Ce qui me plaisait, c’était l’aspect fusionnel du trio: comment se mettent en place des éléments qui ne peuvent que mener au drame. Ce mélange de tragique et de réalisme…
Le côté animal, primitif, cru, sauvage de leur relation. Le dénominateur commun de vos dizaines de rôles, c’est d’abord vous, bien sûr, mais c’est aussi un archétype de personnages féminins volontaires, qui sont dans l’action ou dans la réaction. Celui-ci, qu’a-t-il de plus, ou de moins, que les autres?
J’ai joué toutes sortes de femmes, mais rarement une qui soit caractérisée par autant de banalité. Ça me plaisait, pour une fois, d’interpréter quelqu’un sans calcul, sans ambition, sans stratégie, qui ne soit pas soumis à son intelligence comme «la pianiste», par exemple, agitée par un tas de pensées. Elle n’est pas conquérante ni triomphante. J’ai plutôt joué des femmes qui cherchent avec difficulté à n’être ni dépendantes ni soumises, qui cherchent une juste place dans la société. Ce sont souvent des métaphores de la condition féminine dans ce qu’elle a de fragile, de vindicatif…
© Haut et Court
Avez-vous le sentiment, à travers toutes ces héroïnes, d’avoir livré des fragments de vous-même. Ou bien d’avoir brouillé les pistes?
Si je le savais… J’évite de me poser la question et, d’ailleurs, est-ce à moi de me la poser?… [Silence.] Ce sont souvent des personnes qui explorent la part la plus obscure d’elles-mêmes, la plus inavouable. Mais, pour autant, elles ne sont pas d’une manière déclarée du côté du mal absolu. Ça, ce serait une étape supplémentaire. Leur violence s’exerce par maladresse ou en réponse à un environnement hostile, comme c’est souvent le cas dans les œuvres de Chabrol: La Cérémonie, Violette Nozière, Une affaire de femmes. Ce sont alors les produits de situations historiques, sociales ou politiques.
Sur quels critères sélectionnez-vous les scénarios que vous recevez?
Le metteur en scène, le rôle, l’écriture des films qui épousent majoritairement un point de vue féminin, et puis un sentiment plus diffus: l’idée que ça va pouvoir être moi…
Depuis quinze, vingt ans, la représentation de la femme et de l’homme au cinéma s’est affinée. D’après vous, les schémas sont-ils enfin cassés?
Oui, on va vers plus de subtilité, d’ambiguïté. C’est une force pour un homme de montrer sa fragilité plutôt que sa toute-puissance… Mais les plus grands rôles restent ceux qui allient une certaine modernité à une éternité certaine… La femme incarnée dans La Pianiste est actuelle dans sa violence, dans sa crudité, dans sa forme, dans le sens où ce film donne accès à la part obscure, inavouable dont je parlais. Et en même temps on peut la relier aux grandes amoureuses de toute l’histoire de la littérature, de La Princesse de Clèves à La Chartreuse de Parme. Ce qu’elle a d’incandescence la transcende, donne un écho d’autant plus fort.
De L’Ecole de la chair à La Pianiste, justement, ou à Ma mère, on a l’impression que vous relevez tous les défis. Que vous osez tout…
Je ne le ressens pas comme ça; un acteur, même plongé dans la situation la plus extrême, est plus dans le confort qu’on ne l’imagine. Il est normal que tout un dispositif soit mis en place pour faire croire à ce danger. Sauf que c’est faux à plus d’un titre. D’abord, interpréter tous ces états est très, très libérateur: on a l’impression de se délester d’un poids. Et, quand bien même cette violence aurait existé autant qu’elle le paraît, l’expulser serait s’en affranchir. Tout ça n’a rien de très héroïque.
Le cinéma n’est donc pas un «métier à risques», comme le soulignent certains comédiens. Tout cela ne serait-il que fausses croyances et clichés?
Les destins tragiques frappent autant les acteurs que les anonymes, seulement on les met plus en avant. Cela entretient le mythe, c’est normal qu’on les utilise. L’intensité du métier d’acteur, la force des émotions qu’il vit, lui donne toute sa valeur mais peut rendre fragile, c’est vrai. Personnellement, je n’ai pas de mal à sortir d’un rôle, puisque je n’y entre pas. Quand j’ai interprété Marie Curie dans Les Palmes de M. Schutz, sa vie m’a intéressée et m’a même passionnée. Mais l’intérêt que je lui portais n’a pas eu d’incidence sur mon interprétation. On ne s’attache pas au personnage, mais à soi en train de le créer. On est traversé par une série d’états, d’émotions, on rajoute des éléments jour après jour… Il faut être suffisamment passif pour que cette chose mystérieuse se cristallise et que, tout à coup, le personnage devienne soi-même.
Pensez-vous que le grand public vous connaît bien?
Oui et non. Déjà, on ne cerne jamais vraiment les personnes qui vous sont proches, alors celles qui sont loin!
Cela vous arrange-t-il?
Ça ne me dérange pas. C’est un fait objectif.
Vous êtes une actrice de «proximité». Vous croise-t-on dans le supermarché de votre quartier?
Euh… je sors de chez moi, oui! C’est amusant les gens connus qui posent la célébrité, cette notion très floue, comme un problème d’emblée. La médiatisation n’a rien à voir avec la célébrité palpable ou dérangeante dans la rue. Certains l’entretiennent. Moi, je suis transparente: on ne me reconnaît pas. C’est une réalité. Mais si, d’aventure, ça ne l’était plus, je ne m’en plaindrais pas.
Etes-vous titillée par l’envie d’écrire, d’enseigner?
Ecrire, pas du tout; enseigner, non plus. Transmettre, oui. Il y a beaucoup de façons de le faire. Parfois, je me dis qu’une interview pourrait être l’occasion idéale de partager des réflexions… Mais je n’ai pas toujours le goût de m’exprimer ni de me faire violence. J’admire les gens qui sont capables de dire des choses plus personnelles, plus profondes, plus définitives que moi.
Définissez-vous votre rapport au cinéma comme une passion froide?
Dans mon esprit, ce ne sont pas des mots antagonistes, même s’ils peuvent le paraître au premier abord. C’est peut-être une manière de ménager l’essentiel, que les motifs restent purs.
A quels moments avez-vous le sentiment de toucher au plus près votre quête d’actrice?
Avec Bob Wilson, avec tous les grands metteurs en scène… Quand je m’abandonne dans une sorte de soumission à ce que l’on me demande sans me poser de questions. Pour l’acteur, la magie consiste à chercher ce territoire où il va partager un secret avec lui-même. Sans le livrer. Sans donner les clefs pour le déchiffrer. Mais en le rendant visible puisqu’on laisse jaillir quelque chose. Cette recherche, cette sorte d’aveuglement, cet état béni, est ce qu’il y a de plus fascinant, de plus bouleversant, de plus épuisant. C’est un puits sans fond. Quand je dis «bouleversant», je pense à la dépendance de cette recherche et à la souffrance lorsqu’elle s’arrête.
Vous sentez-vous reliée aux autres actrices par un fil invisible?
Oui, avec certaines. Dans la vie, il y a des composants affectifs, émotionnels, communs aux actrices et donc très faciles à détecter. C’est intéressant de voir comment chacune fabrique à la fois quelque chose de différent et en même temps de très identique.
Votre fille (Lolita Chammah) est également comédienne. En parlez-vous toutes les deux?
Nous le vivons. Il y a des questions qui ne sont pas forcément posées mais qui sont vécues.
Dans le livre de photographies qui vous a été consacré, La Femme aux portraits, Elfriede Jelinek remarque combien «[votre] visage est désarmé».
C’est une très belle phrase – elle m’évoque plein de sensations. Quelque chose entre la peur et l’abandon. Sans protection. Il y a cette tentation de la part de l’autre – le photographe, le portraitiste – d’aller vers la vérité. Mais on peut être aussi «vrai» dans l’artifice que dans le naturel puisque le naturel pour une actrice est une autre forme de masque.
Employez-vous plus facilement le «on» que le «je»?
Je n’aime pas n’impliquer que moi dans les réponses. Le «je» est souvent péremptoire, le «on» me fait me sentir moins seule dans mes convictions ou dans mes hésitations. Mais c’est derrière le masque du jeu que l’on ose dire les choses les plus précises et, parfois, dans le cas des comédies, avec humour. De l’humour, j’en ai. Si, si. Et même beaucoup.
Qu’est-ce qui vous fait rire dans la vie?
Les gens, les gens qui se prennent pour ce qu’ils sont… Le recul sur les situations. Et les bons mots, même lorsqu’ils s’exercent à mes dépens. Mais je ne vous dirai pas lesquels. [Rires.]
Propos recueillis par Gilles Médioni pour L’Express du 12/02/2007
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Nue propriété
de Joachim Lafosse
écrit par François Pirot et Joachim Lafosse
Acteurs
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Pascale Isabelle Huppert
Thierry Jérémie Renier
François Yannick Renier
Jan Kris Cuppens
Luc Patrick Descamps
Anne Raphaëlle Lubansu
Gerda Sabine Riche
Dirk Dick Tuypens
Ami de Jan Philippe Constant
amie de Jan Catherine Salée
Karine Delphine Bibet
Production
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Coproducteur Martine De Clermont-Tonnerre / Donato Rotunno / Arlette Zylberberg
Producteur délégué Joseph Rouschop
Equipe technique
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Directeur de la photographie Hichame Alaouie
Monteuse Sophie Vercruysse
Mixage Benoît Biral
Chef décoratrice Anna Falguères
Costumière Nathalie Du Roscoat
Ingénieur du son Benoit De Clerck
Directeur de production Vincent Canart
L’adieu à l’enfance
Nue propriété est un premier film sobre et sincère du belge Joachim Lafosse sur la déshérence d’une famille avec grands enfants.
Un huis clos familial (infernal ?) sous haute tension qui témoigne de la difficulté pour de jeunes adultes à quitter le nid douillet de l’enfance.
Le réalisateur nous décrit par le menu la vie quotidienne d’une mère divorcée depuis longtemps et de ses deux fils jumeaux âgés de 20 ans et des poussières. Le père remarié vit un peu plus loin. Ses rares visites suscitent l’agacement de son ex-femme, Pascale, jouée par une Isabelle Huppert plus vraie que nature. Elle voudrait vendre la maison de famille estimant son devoir d’éducation accompli. Elle rêve de recommencer une autre vie avec son voisin et amant. Mais c’est sans compter les revendications de ses fils, adolescents attardés plongés dans une inertie au jour le jour sans perspective d’avenir, ni projet porteur. Thierry interprété par Jérémie Renier, toujours formidable, s’oppose violemment à sa mère tandis que son frère François (joué par Yannick Renier, le frère aîné de Jérémie) se montre plus tendre mais il exerce ainsi un chantage affectif plus pernicieux pour contrecarrer le désir d’émancipation de sa mère.
On comprend que le trio mère-fils vit en autarcie avec des rituels bien institués : télé-canapé, repas partagés dans la cuisine (seule exception : l’irruption de l’amant vu comme l’intrus par les deux frères lors d’une invitation surprise pour faire connaissance et qui tourne au vinaigre), parties de ping pong dans le garage, salle de bain commune. Le désir de la mère de s’en extraire va heurter de plein fouet l’attachement viscéral des garçons à leur maison, leurs habitudes.
Les disputes vont aller crescendo. La mère à bout de nerf, finit par déserter non sans avoir jeté un appel au secours au père qui restera sourd, encore plein de rancœur. La relation entre les jumeaux vire à la haine jusqu’au drame final. La séparation qu’ils craignaient tous, ils devront la vivre comme malgré eux. La maison sera vendue et on le devine, la famille disloquée.
Le film nous assène une vérité immuable : décidé ou pas à voler de ses propres ailes, la vie se charge de nous pousser en avant quoiqu’il nous en coûte.
Source : Nathalie / www.come4news.com