Cinéma : l’Allemagne en fureur

0
1664
 

Les Allemands n’ont pas l’intention de jouer leur rôle, celui du public, dans la dernière comédie de Dani Levy : 56 % d’entre eux n’iront en aucun cas voir Mon Führer – la vérité vraiment la plus vraie sur Adolf Hitler, sorti hier au cinéma. Seules 35 % des personnes interrogées par le magazine Stern à ce sujet trouvent «bien» que le cinéaste juif suisse ait tourné une comédie sur le dictateur.

De fait, les critiques pleuvent de toutes parts : organisations juives, presse, historiens et même l’acteur incarnant le Führer dans le film, l’artiste de cabaret Helge Schneider, sont tombés à bras raccourcis sur cette toute première comédie allemande consacrée à Hitler depuis la guerre.

Marionnette. Le film brise un tabou. L’auteur, dont la famille a fui le nazisme pour la Suisse, vit en Allemagne depuis de longues années. Avec Monsieur Zucker joue son va-tout, sorti en 2005, il avait écrit la première comédie juive allemande de l’après-guerre. Mais, cette fois, Levy s’attaque à un sujet plus que sensible : il met en avant le ridicule du personnage Hitler. Le Hitler de Levy, privé de tout charisme, est présenté comme une marionnette, un pauvre type geignard, insomniaque, impuissant et incontinent, «victime» d’une enfance malheureuse (Levy s’est, là, inspiré des travaux d’Alice Millers).

L’histoire, censée se dérouler fin 1944, montre un Hitler découragé par la défaite devenue inéluctable, incapable de motiver son peuple. Inquiet de la tournure prise par les événements, Goebbels a l’idée de recourir à un comédien juif. Adolf Grünbaum (remarquablement interprété par Ulrich Mühe, qui a reçu en 2006 le prix du Film européen pour son rôle dans la Vie des autres, sur la Stasi), est, pour la circonstance, sorti du camp de concentration de Sachsenhausen. Sommé d’entraîner Hitler pour son discours du nouvel an 1945, il se livre à de curieux exercices d’entraînement oratoire avec le Führer sous l’oeil médusé de la cour du dictateur, cachée derrière une glace sans tain.
Imagination. Dans la réalité, Adolf Hitler a bien eu recours aux services d’un acteur pour améliorer ses discours… Mais c’était dans les années 30, et Paul Devrient n’était pas juif. L’essentiel du scénario de Mon Führer est ainsi le fruit de l’imagination de Dani Levy.

«Le film pose deux questions graves», s’acharne la critique depuis des semaines. Tout d’abord, peut-on rire de Hitler, l’auteur du pire crime jamais commis contre l’humanité ? Et ne risque-t-on pas ensuite de minimiser ses crimes en faisant de lui une victime, en le présentant comme le produit d’une enfance malheureuse ?
«Hitler n’était pas un personnage drôle. Ce n’était pas non plus un simple cas de thérapie… Il ne mérite aucune circonstance atténuante, aucune compassion de la part du public», s’emporte Stephan Kramer, secrétaire général du Conseil central des juifs d’Allemagne.

Et d’estimer que les films de Chaplin et Lubitsch n’ont été possibles que parce qu’ils ont été tournés avant la fin de la guerre, à une époque où l’on ne connaissait pas encore toute l’ampleur de l’Holocauste.

«Mon film est une réaction face au fleuve de publications sur la période nazie, qui, au nom du respect de l’authenticité, oublient de poser toute question morale, se défend Dani Levy. Il n’est pas bon de ne voir que l’aspect historique des choses. Cela fatigue les gens et est bien plus confortable pour eux.»

«On peut faire une comédie sur Hitler», tranche dans ce sens le chroniqueur de la chaîne d’information continue Info Radio. Pour enfoncer le clou : «Encore faudrait-il qu’elle soit drôle.» «Le film, résume l’hebdomadaire Der Spiegel, ne tient pas la route : le côté absurde n’est pas assez absurde ; le côté moralisateur est trop moralisateur.»

Autocensure. Le metteur en scène se serait d’ailleurs autocensuré de crainte de n’être pas parfaitement compris. «Je crois que ce que ne supporte pas la critique, c’est le fait qu’on nous présente un Hitler qui ne soit pas un Grand Dictateur, aussi effrayant soit-il, mais une pauvre chose, pense Klaus, un étudiant qui a tenu à voir le film dès le premier jour. Ce que le film met en avant, c’est la relation complexe des Allemands avec l’autorité. Plus que Hitler, ce sont les Allemands qui sont ridiculisés.»

Le film Mon Führer – la vérité vraiment la plus vraie sur Adolf Hitler, de fait, pourrait remporter plus de succès à l’étranger (sorties évoquées en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et en France) qu’en Allemagne même.

par Nathalie VERSIEUX / LIBERATION du 12 janvier 2007

Si vous voulez connaître le calendrier de mes sessions de formations, allez sur Dirprod Formations.

Mes principales formations :

Créer sa boîte de prod !
Produire un documentaire pour la télé.
Directeur de production pour le cinéma, les indispensables.
Directeur de production en fiction télé, les indispensables.

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here