2006 dernière séquence

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Nombre crescendo de sorties en salles, rotation accélérée des oeuvres qui ne tiennent plus l’affiche au-delà de quinze jours même avec un bon bouche à oreille, asphyxie des films «fragiles»… Le disque du malaise et de la plainte en climat inflationniste n’a pas changé entre 2005 et 2006. La part de «déchet» devient saisissante avec des films qui n’ont pas d’affichage et ne trouvent même plus de place dans un traitement journalistique débordé par cette avalanche, à force complètement absurde.

Les territoires

Le flot 2006 a cependant permis de voir où on voulait en venir. Et à la question, annuelle, déprimante, inquiète, névrotique «où va le cinéma ?», Akerman a posé un titre. Le cinéma, il va Là-bas . Ce qu’un deleuzien de bonne facture aime à baptiser, la bouche un rien pincée : la déterritorialisation. Exception faite du film de Christophe Honoré, Dans Paris , ancré dans son territoire (la chambre, avec vue), la quasi-totalité de la planète sera partie, caméra en bandoulière, filmer l’Autre. La bande à Soderbergh-Clooney se sera risquée au Proche-Orient (le confus mais bien Syriana, de Stephen Gaghan), le Britannique Winterbottom à Guantanamo, les frères Wachowski ont envoyé des émissaires à Londres pour leur production V pour Vendetta où ils ont dû croiser un nouveau résident (Woody Allen avec Scoop après Match Point en 2005). Les histrions géopolitiques OSS 117 (prédisant sans rire que l’islam est une religion qui n’a guère d’avenir) et Borat (soulignant par l’outrance l’actualité universelle de l’antisémitisme) en des orients imaginaires, Laurent Cantet en Haïti (Vers le Sud) et François Rotger pour The Passenger , zigzagant entre le Canada et le Japon. Il y est allé tout à la fois d’un désir de ne plus être à la traîne de l’inquiétude d’un monde qui, à côté du cinéma, est en train de redéfinir ses frontières.

C’est la dimension Tintin du cinéma qui a ressurgi. Les films qui en sont sortis ont pris le risque de la confrontation. Deux films majeurs reprennent ce thème dans une double évocation historique : le Nouveau Monde, de Terrence Malick (débarquement anglais aux Amériques en 1607) et le Soleil, d’Alexandr Sokurov (débarquement américain à Tokyo en 1945 du point de vue de l’empereur Hirohito). Deux récits de la fin d’un comportement insulaire ou isolationniste, deux fables sur l’entrée dans la mondialisation.

Quiconque aura un oeil expert sur la situation géo-économique et technique du cinéma ne s’étonnera pas de voir les cinéastes sortir collectivement du bois (collines hollywoodiennes comprises). C’est le cinéma lui-même qui, depuis dix ans, n’en finit pas d’abolir son territoire et de se disséminer : mutation vidéo, consommation mutante des images en DVD (dézonés), sur les chaînes multiples et thématiques. Le cinéma a gagné, le cinéma est partout. Plus il meurt, mieux il se porte, s’hybride et se réinvente.

Les traumas

Un récent article du New York Times soulignait la prédominance de films ultraviolents et sanglants dans la course aux oscars, citant le Eastwood (Letters From Iwo Jima), l’Edward Zwick (Blood Diamond) ou encore le Mel Gibson (Apocalypto). On l’a vu aussi avec la recrudescence d’un courant fantastique particulièrement peu regardant sur les économies de ketchup (Hostel, Saw III). Le spectacle des supplices sur grand écran a peut-être été une riposte «sanitaire» à l’absence d’image de cadavres des victimes du 11 septembre puis des soldats américains en Irak. Mais ce que l’on retient, en définitive, ce n’est pas tant l’inflation de tortures plus ou moins adaptées aux pratiques d’époques (des ongles arrachés de George Clooney dans Syriana, aux couilles de James Bond bien lattées dans Casino Royale ) qu’un certain nombre d’exemples traumatiques, cas d’espèce d’un cinéma-coup de masse capable de cueillir le spectateur à froid et de le laisser, pantelant, plus mort que vif, sur le carreau. Avec son premier film, The Great Ecstasy of Robert Carmichael , le jeune Thomas Clay a hérissé le poil de la critique aussi bien chez lui au Royaume-Uni, où une partie d’entre elle a carrément fait campagne pour que le film ne sorte jamais, qu’ici en France où il a reçu un accueil plus que circonspect. Retranscrivant les lois sociales et humanistes du cinéma social anglais pour écrire une fable de l’anéantissement moral, Clay, 25 ans, met en scène dans un final révulsif un viol et un double meurtre sacrificiel perpétrés par un trio d’adolescents. Dans un autre registre, l’été a gardé la trace rouge du passage de la trilogie Pusher, de Nicolas Winding Refn, fascinante incursion dans la pègre danoise avec sa ribambelle de ratés et de perdants perpétuels. Autre souvenir de coup, mais celui-là comme arrêté à la dernière minute : les seize minutes de carnage terminal du Flandres, de Bruno Dumont, qu’en montage le cinéaste décida de jeter à la poubelle.

Tom crise

Morale du libéralisme (le vrai, pas celui des chochottes subventionnées du Medef), personne n’est à l’abri d’un licenciement sec. L’épisode du limogeage de Tom Cruise du giron de la Paramount dont il était pourtant une des vaches à lait les plus rentables, aura ainsi été un des moments marquants de l’année hollywoodienne cumulant calculs business et ragots people . On pouvait s’amuser à imaginer le nouveau patron du studio, Brad Grey, pas vraiment un rigolo, déchirer les contrats qui le liaient à la star sarkozyste après avoir visionné la scène d’un comique involontaire de Mission impossible 3 où Cruise se met subitement à tracer des formules algébriques sur une vitre («Cosinus de 32, je retiens l’hypoténuse et je multiplie par quatre…») pour expliquer un plan démoniaque à une équipe médusée. L’opinion américaine commençait à en avoir soupé des facéties de l’acteur dopé au prosélytisme scientologue et le film (qui avait coûté la bagatelle de 150 millions de dollars) a été fraîchement accueilli et n’a pas servi de locomotive à la saison des blockbusters comme le plan marketing le prévoyait. Viré comme un malpropre, Cruise ourdit sa revanche à l’ombre de la United Artist, studio de légende qui avait péri en 1980, après l’échec de la Porte du paradis et qu’il ressuscite en association avec la MGM.

Les solitudes

Dans le dernier numéro de Trafic , on peut lire un texte de Jonathan Rosenbaum comparant le Playtime de Jacques Tati et The World, de Jia Zhang-ke : «Il m’arrive de penser, de manière beaucoup plus pessimiste, que nous sommes tenus bien plus à distance les uns des autres que nous ne l’avons jamais été ­ répartis en différents publics cibles, marchés et zones DVD, territorialisés en classes et cultures distinctes ­ en dépit de nos expériences communes.» En écho aux analyses du sociologue polonais Zygmunt Bauman ( la Vie en miettes ou encore la Vie liquide ), le cinéma rend compte de cette expérience de l’individu contemporain délié de toutes ses attaches (religieuse, familiale, politique…) et flottant désormais dans un perpétuel présent animé par les spots et messages plus ou moins subliminaux de l’ingénierie publicitaire et médiatique.

Le sentiment de liberté et d’abandon de la créature livrée aux affres d’un confort qui ne lui est plus d’aucun secours traverse le chef-d’oeuvre d’Alain Resnais, Coeurs , meilleur film français 2006 (désolé pour Camping mais le jury a tranché !). Avec ses appartements parisiens minuscules mais ruineux, sa représentation des promiscuités de bureau, de bars de nuit, sa mélancolie neigeuse et ses émotions de roman-photo métaphysique, Coeurs est la version hexagonale, selon un alliage inoui entre avant-gardisme formel et pot-au-feu du cinéma bourgeois, d’autres instantanés pessimistes sortis cette année : l’allemand Montag (Ulrich Köhler), le roumain la Mort de Dante Lazarescu (Cristi Puiu), le kazakh Pour aller au ciel il faut mourir (Djamshed Usmonov), le chinois Un père à Pékin (An Zhanjun), le franco-algérien Bled Number One (Rabah Ameur-Zaïmeche) ou Un couple parfait (Nobuhiro Suwa)… A la liste, il faudrait ajouter, sans paradoxe aucun, Miami Vice, de Michael Mann, avec ses héros de film d’action transformés en aphasiques beckettiens.

Le bon goût

Les menottes d’or du holp-up 2006 reviennent sans discussion aux poignets (d’amour ?) de Patrice Leconte. L’homme qui titra son autobiographie Je suis un imposteur (après avoir longuement hésité avec «Je suis une imposture») a fait 60 271 501 euros de recette avec les Bronzés 3. C’est, avec Camping de Fabien Onteniente (seulement 31 millions d’euros de recette), le signe que les Français ont non seulement du goût mais de l’humour. Christian Clavier et Franck Dubosc sont nos Leonardo DiCaprio ou nos Johnny Depp. Ils promeuvent un idéal français raffiné et séduisant pour un pays sans avenir.

Le militant

Evénement politico-socio-historique d’une année traversée par le débat sur le postcolonialisme, Indigènes, de Rachid Bouchareb. Tombé à point nommé, mettant en scène les soldats des colonies (Maghreb et Afrique) engagés aux côtés des Alliés pour libérer la France, il a non seulement été un succès public (plus de 2 millions de spectateurs) mais a permis la modification de la loi sur les pensions de guerre après projo émue à l’Elysée.

Les envolées

Deux bornes sentimentales encadrent 2006, le Secret de Brokeback Mountain, d’Ang Lee, et Lady Chaterley, de Pascale Ferran. Deux histoires d’amour, l’une pédé et l’autre straight , mais chacune distribuant la passion sexuelle et sentimentale de part et d’autre des barrières sociales et au gré d’un ressort éloignement-retrouvailles exacerbant le désir et le manque. Les deux films inscrivent ce retour du lyrisme amoureux dans une nature souveraine et fortement érotisée. Deux précis d’amour libre en blason terminal de l’an avant lancement des hostilités 2007. Meilleurs voeux !

Source : Philippe AZOURY et Didier PERON / LIBERATION

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