BLACK BOOK : un film à ne surtout pas manquer

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En suivant le parcours d’une résistante dans le tumulte de la Seconde Guerre mondiale, Paul Verhoeven signe un grand film lumineux et ténébreux qui sonde l’ambiguïté des bonnes intentions.

© Pathé Distribution

L’argument : Pendant la Seconde Guerre mondiale, dans les Pays-Bas occupés et sur le point d’être libérés par les Alliés, une jeune femme juive rejoint la Résistance malgré elle, au milieu du chaos : fuites, collaborations, trahisons, double-jeu, coups de théâtre et rebondissements… Que contient le petit livre noir ?

Notre avis : Sensiblement las des anicroches sur son précédent Hollow man où il ne pouvait pas aller jusqu’au bout de son sujet antihollywoodien (un homme invisible profite de son don pour faire ce que la morale réprouve), Paul Verhoeven qui porte définitivement bien son surnom de Hollandais violent est retourné sur ses terres natales pour faire un doigt d’honneur à la censure et au puritanisme US. Bien lui en a pris : il délivre ce qu’on n’attendait plus de lui à soixante-huit ans (respect absolu) : une sorte de film fleuve admirable de fluidité qui, à travers des amitiés paradoxales et de liaisons tumultueuses, ausculte en pleine Seconde Guerre mondiale l’hypocrisie humaine, l’attentisme couard, et délivre par le bout de sa lorgnette inspirée un portrait peu clean de deux camps opposés en période trouble.

Le récit s’étend sur plus de deux heures et à aucun moment, l’intensité ne décroît. De la première (retrouvailles émouvantes entre deux femmes qui ont vécu la guerre ensemble et se sont perdues de vue) à la dernière image (plan final marquant et actuel), Verhoeven dévoile tous les secrets de son livre sombre et charrie différents sentiments en ayant la politesse de ne pas juger ses personnages, encore moins de les ranger dans des carcans ridicules. Ce récit, d’autant plus édifiant qu’il est inspiré d’une histoire vraie, permet au cinéaste de revisiter un pan de l’histoire de son pays tout en l’égratignant méchamment comme à la bonne époque de Soldier of Orange, autre opus issu de sa période néerlandaise. Bien entendu, ce n’est pas la seule allusion au passé du cinéaste : Rachel Steinn (Carice Van Houten, une révélation à la fois suave, sensuelle et farouchement résignée) qui use de son charme pour parvenir à ses fins renvoie à Katie Tippel et son homologue américain Showgirls, tandis que la liberté sexuelle qui s’y exprime évoque le naturalisme décomplexé de Turkish delight. N’ayant plus besoin de suggérer ses idées en simulant les codes de genres précis (souvenez-vous de Starship troopers et son portrait d’une Amérique belliciste ou encore Showgirls et son Las Vegas dégoulinant le sexe sans âme), l’artiste, plus hargneux que jamais, enregistre tous les éléments – même ceux qui peuvent paraître les plus improbables alors que l’époque et le contexte favorisent ces successions d’événements atroces – avec une légèreté d’orfèvre sans pour autant les réduire à l’anecdotique.

Qu’il filme une histoire d’amour impossible et déchirante entre deux personnages (le général nazi et la résistante juive) qui n’auraient jamais pensé éprouver des choses aussi fortes l’un pour l’autre tant leur revendication et leur haine auraient dû les séparer ou qu’il mette l’un à côté de l’autre la même résistante et le responsable nazi de la mort de sa famille dans un numéro musical volatile, Verhoeven fait danser le bien et le mal pour renverser les notions bassement manichéennes dans une valse équivoque, tragique, grotesque, qui traque les faux-semblants et tord le cou aux préjugés. Ici, la guerre est réduite à un théâtre de l’absurde pour mieux disséquer la pourriture humaine dans ses ultimes retranchements. A la facilité et au consensus mou, le réalisateur répond par l’ambiguïté moite, l’indécision sentimentalo-morale, l’imprévu de la vie. Et finit ainsi par bouleverser là où on s’y attend le moins. La marque des films majeurs.

Romain Le Vern

Source : http://www.avoir-alire.com

L’interview de Paul Verhoeven

Interview exclusive du hollandais violent pour son nouveau film historique.

Par Alex Masson

Il y a vingt ans vous quittiez la Hollande en froid avec le public et certaines personnalités de l’industrie cinéma. Vous revenez dans votre pays avec Black Book, film très ambigu sur le rôle de la résistance hollandaise. Quel était votre but ?

Je ne sais pas tout à fait comment la France a géré sa relation avec la résistance, donc je ne sais pas s’il serait dangeureux pour un cinéaste français de l’aborder dans un film. En Hollande, cette période, particulièrement les années 44-45 restent une partie sombre et encore secrète de l’histoire Hollandaise. A ma grande surprise, Black Book a été très bien reçu en Hollande, malgré certains dialogues de mon film comme celui où un des personnages dit que les hollandais étaient dans ces années, pire que des nazis. Personne n’a attaqué le film, aucun membre de la résistance encore vivant n’est allé dire dans les journaux que j’avais fait un film scandaleux ou faux. En fait, Black Book est un de mes plus gros succès là-bas. Surtout auprès du jeune public, mais c’est peut-être parce que ce film lève un voile sur un passé qu’ils ne connaissent pas, et qu’ils ont envie d’en savoir plusD’habitude, on attaque mes films alors que cette fois-ci, des hollandais viennent m’aborder dans la rue pour me remercier.

© Pathé Distribution

Black Book est un projet que vous aviez en tête avant de partir aux USA. Pourquoi avoir attendu plus de vingt ans pour le tourner ?

Black Book est un film que j’ai essayé de monter à la fin des années 70, sans doute alors avec en tête un esprit de provoc’ puisque ce sujet était tabou. On avait trouvé lors de nos recherches avec mon scénariste Gérard Soeteman, suffisamment de choses explosives. Mais on butait sur un élément-clé qui nous empêchait de faire aboutir le scénario : on se trompait de protagoniste. Jusqu’à l’été 2001, nous avions fait du jeune homme qui meurt sur le bateau, le personnage principal. Il survivait, et la fille qui l’accompagnait mourrait. Jusqu’à ce qu’on aie l’idée de les inverser !

Le plus surprenant, à la vision de Black Book est le sentiment que votre carrière hollywoodienne n’a pas existé. Ce film est en parfaite continuité tant sur le fond que sur la forme avec vos films hollandais.

C’est vrai. Mais ce n’est pas quelque chose de conscient ni volontaire. J’ai majoritairement tourné avec deux chef-opérateurs : Jan De Bont – qui s’est un peu perdu en devenant réalisateur – et Jost Vocano, qui est aujourd’hui à la retraite. Jost m’a dit une fois qu’on ne peut pas définir le style d’un film, qu’il nait de lui-même au tournage. Je n’avais aucune intention précise de renouer avec le style de films comme Katie Tippel ou Soldier of Orange, juste celle de donner à Black Book, le look d’un film classique des années 40, dans l’esprit de Casablanca. C’est d’ailleurs curieux : j’ai revu Casablanca récemment, et je l’ai trouvé assez insupportable. Quand on tournait Basic Instinct, on avait de longues discussions avec Jan De Bont, parce qu’on voulait vraiment amener le film vers le style de David Hockney ou Edward Hopper ; sur Black Book, la seule envie consciente était celle de Karl Walter : tirer le film vers les couleurs des vieilles photos Agfacolor. Il a d’ailleurs essayé de le traiter ainsi en laboratoire mais y a renoncé devant les difficultés techniques.

Les toutes dernières images de Black Book font penser à celles de Starship Troopers. Elles ont un sens très similaire pusiqu’on imagine les conflits à venir… Au gré des années, êtes-vous de plus en plus fataliste ou pessimiste ?

Juste réaliste (rires). Dans les deux cas, les fins sont des métaphores pour dire que les conflits ne s’arrêteront jamais. Vous pouvez croire que les films se terminent sur des happy end. Vous aurez tort. Quelle différence y-a-t-il entre les barbelés du Kibboutz de la fin de Black Book et le mur qui sépare aujourd’hui Israël et la Palestine ? Ou celui que Bush veut monter entre les USA et le Mexique ?

Vous disiez vous être énormément documenté pour préparer Black Book. Avez-vous trouvé trace d’agents infiltrés comme votre personnage principal ?

Il a effectivement été demandé par la résistance à certaines femmes de s’impliquer dans le camp nazi jusqu’à avoir des liaisons avec des soldats pour leur soutirer des informations. Rachel est inspiré par deux femmes qui ont heureusement pu quitter la Hollande après la guerre, sans quoi, il est évident qu’elles auraient eté éxécutées par leur propre camp qui les aurait considérées comme des traîtresses. Certaines espionnes l’ont d’ailleurs été juste au nom d’une suspicion, selon laquelle elles auraient fini par réellement tomber amoureuses de nazis. D’après ce que je sais, il y aurait eu quelques dizaines de résistantes devenues des espionnes de ce genre.

Vous sauvez les deux femmes qui connaissent ce sort. Vouliez-vous en quelque sorte leur rendre justice ?

(Hésitant quelques secondes)… Oui, peut-être. Mais je crois avoir surtout été motivé par l’envie de faire quelque chose très politiquement incorrect, notamment avec ce second personnage complètement amorale, opportuniste capable de naviguer entre les camps sans être au final punie. Montrer qu’à la fin, après être passée entre les bras des allemands, des hollandais, des canadiens, elle peut avoir une vie heureuse… c’est peut-être mon côté Woody Allen (rires).

Maintenant que vous êtes revenus en Europe, en quoi votre expérience hollywoodienne pourrait-elle influencer vos films à venir ?

Une bonne chose m’est arrivé pendant mes années à Hollywood, j’ai appris à assumer mes envies de structure dramatique en ce qui concerne la narration. J’ai toujours trouvé que le cinéma hollandais, y compris mes films, manquait de rythme qui puisse prendre les spectateurs en haleine. J’ai appris à Hollywood à utiliser un arc dramatique, à faire tenir un film par ses rebondissements. En revanche, je sais maintenant que je préferais toujours travailler avec des acteurs hollandais. Pour rien au monde je me retaperais ces chieurs d’acteurs hollywoodiens !

Source : http://www.premiere.fr/

Critique

“Black Book” : Paul Verhoeven brouille les pistes du bien et du mal

Paul Verhoeven, comme tout artiste qui se respecte, est un agent double. Après une vingtaine d’années passées à exercer ce délicat talent à Hollywood (Robocop, Basic Instinct, Starship Troopers…), le cinéaste néerlandais est de retour au pays natal, avec un film d’autant plus attendu qu’il en caressait le projet de longue date et que son sujet, les Pays-Bas sous la botte nazie, brûlait. S’il n’est pas certain que lesdits Pays-Bas (où le film a tout de même réalisé le score exceptionnel de 900 000 entrées) aient toutes les raisons de se réjouir du retour du fils prodigue, on peut en revanche être assuré de tenir avec Black Book un spectacle d’une intelligence et d’une audace remarquables, l’un des meilleurs – si ce n’est le meilleur – ouvrages du sulfureux Batave.

Le film est une sorte de fusée à deux étages. Au premier, on rencontre une évidence, qui tient à la qualité de la mise en scène, à l’ambiguïté et à la pertinence qu’elle distille, au plaisir qu’on y prend, d’autant plus intense qu’il trouble profondément. Empruntant aux séductions du thriller, du drame romantique et du film d’espionnage, Black Book plonge pourtant sans faillir au coeur d’une époque infernale, durant laquelle l’humanité a atteint le dernier degré de l’ignominie. L’Occupation donc, de surcroît aux Pays-Bas, définis par l’historien Raoul Hilberg comme un terrain privilégié de la destruction des juifs d’Europe (les trois quarts des juifs néerlandais furent exterminés), l’Occupation considérée enfin dans ses dernières heures, à ce moment très particulier où la trahison généralisée, le renversement des alliances et le cloaque moral triomphaient.

L’action se situe à La Haye en 1944. Rachel, jeune juive rescapée du massacre d’un groupe de coreligionnaires qui tentaient de fuir le pays, s’engage dans la Résistance. Son talent et sa beauté la font bientôt désigner pour séduire un capitaine du service de renseignement allemand, Ludwig Müntze, dans le but de délivrer le fils d’un des chefs de la Résistance, retenu en otage par les nazis.

Tandis que l’homme et la femme, contre toute attente, tombent amoureux l’un de l’autre et se voient tour à tour mis en péril par leur propre camp, le film mène un suspense qui se poursuit jusqu’après la Libération. Et dévoile progressivement l’existence d’une connivence entre un membre de la Résistance et un responsable des renseignements nazis pour s’emparer des biens des juifs après avoir transformé les filières d’évasion en traquenards.

Cet imbroglio romanesque de haute intensité, mis en scène de manière palpitante, permet à Verhoeven d’asséner des vérités peu amènes sur ce chapitre particulièrement sombre de l’histoire de son pays, depuis l’antisémitisme latent de la Résistance jusqu’à l’abjection d’une épuration menée par d’anciens bourreaux transformés en Justes, en passant par la réhabilitation cynique d’anciens hiérarques nazis versés dans la lutte anticommuniste.

© Pathé Distribution

TOUTES LES RESSOURCES DE LA FICTION

Verhoeven est-il allé, à cet égard, trop loin ? N’a-t-il pas, sous prétexte de briser le mythe d’une guerre opposant les forces du mal aux forces du bien, chargé la barque au point d’aboutir à une dilution de l’idéologie et à un nivellement des responsabilités davantage déterminés par le sens de la provocation que par celui de l’Histoire ?

Ce doute affleurera la conscience du spectateur. Mais à celui-ci appartiendra tout autant de juger, à l’aune des nombreuses fictions portant sur cette période, si la liberté que prend Verhoeven avec le sens de la mesure ne lui permet pas in fine d’être au plus près et au plus juste de l’avilissement programmé par les nazis ?

Cette question libère le deuxième étage de la fusée Black Book, qui pose une question fondatrice de la modernité cinématographique : celle de la représentation de l’extermination et de la soudaine invalidité des canons du cinéma classique. La réponse de Verhoeven est à cet égard lumineuse : plaçant la question de l’extermination des juifs au centre de son récit, il la met dans le même temps hors champ pour sonder la turpitude et la contamination du mal qui ont rendu possible cette réalité.

Toutes les ressources de la fiction classique lui sont dès lors permises, qu’il utilise avec un sens de la vitesse, de la séduction et du spectacle qui s’oppose terme à terme à l’attraction morbide inventée par les nazis.

D’une époque invraisemblable, il se réapproprie l’invraisemblance, en la mettant tout entière au service d’une croyance artistique en vertu de laquelle une résistante juive et un officier nazi peuvent effectivement tomber dans les bras l’un de l’autre, pour la simple raison qu’ils sont faits de la même chair. Cette leçon d’humanité et d’inquiétude se situe dans le sillage des quelques rares chefs-d’oeuvre qui se sont dignement confrontés à cette histoire, Le Dictateur, de Chaplin, To Be or not to Be, de Lubitsch, ou Monsieur Klein, de Losey.

Film néerlandais de Paul Verhoeven avec Carice Van Houten, Sebastien Koch, Thom Hoffman, Halina Reijn. (2 h 25.)

Source : http://www.lemonde.fr

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