Oui, le vieux cinéma a encore sa place aujourd’hui. A la tête de Lobster films, Serge Bromberg s’acharne non seulement à restaurer les vieilles bobines, mais surtout à recréer la relation entre ce cinéma passé et le public actuel. Pour ça, en plus des soirées ponctuelles, le nouveau DVD de ‘Retour de flamme’ vient de sortir.
Président-fondateur de Lobster films, directeur artistique du Festival international du film d’animation d’Annecy, membre du conseil d’administration de la Cinémathèque, présentateur, producteur… Serge Bromberg est un vrai fou de cinéma, de ceux qu’il suffit de lancer sur un sujet pour les voir répondre avec passion. Son but ? Maintenir en vie le cinéma d’antan, encore capable d’impressionner les foules. Passionné et passionnant, Serge Bromberg nous raconte, avec érudition, son envie de maintenir la flamme fragile de l’émerveillement cinématographique.
Dans le DVD, vous insistez sur la fragilité du cinéma : le cinéma est mortel.
C’est d’ailleurs le fruit même de la démarche de Lobster, qui est de retrouver dans les caves et dans les greniers ces petits films absolument merveilleux pour 3 % d’entre eux, pathétiques pour les 97 % restants – la proportion est toujours la même. Plein d’oeuvres qui ont disparu parce qu’elles n’ont pas été conservées ou qu’elles se sont autodétruites. Depuis 22 ans maintenant, on cherche des films et on restaure ceux qui nous semblent dignes d’intérêt. Et surtout, nous restaurons le public. Notre principe : restituer ces films dans leur plus bel écrin pour qu’enfin, le public nouveau puisse les découvrir. Ces films ont été créés, à l’origine, pour leur capacité d’émerveillement, pour faire entrer les gens dans les salles, procurer du plaisir, faire rire, faire pleurer, certainement pas pour être des objets muséographiques ou des sujets d’analyses sémantiques ou scolaires. Ces films sont nés pour être vus et aimés. C’est un peu comme une blague : quand on doit expliquer une blague, à la fin de l’explication, elle n’est de toute façon pas drôle. Notre but est donc de ramener le public à ces oeuvres restaurées, que ce soit par le biais des spectacles ou des DVD.
Ca marche encore le coup de la bobine trouvée par hasard aux Puces ?
Hier justement, on a découvert 750 bobines de films muets des années 1910-1920. Donc ça marche encore. C’est très étrange, ça arrive par vague : pendant un an, on n’a rien, et tout à coup, on nous appelle et le téléphone sonne sans cesse. On vient par exemple de retrouver en Angleterre deux films perdus de Georges Méliès. On n’en avait pas trouvés depuis 7 ans.
Vous qualifiez de “travail de dentellières” le travail des coloristes du début du siècle dernier. Aujourd’hui, c’est la restauration qui a pris le relais ?
C’est en effet très proche. Un vrai travail de dentellières parce qu’il faut restaurer les perforations de chaque image quand les copies sont très abîmées, puis passer les bobines dans des tireuses, tout ça est très compliqué. Une fois que c’est fini, il manque parfois des images dans la copie, alors il faut la compléter avec une autre copie qui peut venir du bout du monde… L’objectif, c’est qu’à l’issue de la restauration les gens n’aient pas l’impression que le film ait été un jour abîmé. On peut se rapprocher à ces toiles restaurées dans les musées, qu’on croirait avoir été peintes la semaine dernière.
Le DVD permet aussi de découvrir des stars complètement tombées dans l’oubli, à l’image de ce Roscoe “Fatty” Arbuckle pour lequel Buster Keaton n’était qu’un faire-valoir…
Enormément de gens au talent incroyable ont été oubliés parce qu’ils s’exprimaient dans ce format. L’exemple de Keaton est amusant parce que c’est quelqu’un qui n’existe que par ses films muets, et s’il a une grande place dans l’imaginaire collectif, c’est uniquement parce qu’on a ressorti ses films dans les années 1960. C’est ça que nous avons en tête, de la même manière que Chaplin ressortait ses films tous les vingt ans. Donc les noms qui nous restent sont ceux de Lloyd, Chaplin et Keaton. Arbuckle faisait partie des gens les plus talentueux de la bande, mais sa destinée tragique, racontée dans le DVD, l’a mis au ban de l’histoire. Sinon, Keaton et Arbuckle auraient très bien pu être Laurel et Hardy.
Autre sujet abordé : on découvre avec effarement qu’on peut encore, au XXIe siècle, faire disparaître des films pour des raisons politiques…
C’est d’autant plus effarant que cela touche un dessin animé très anodin. A la Warner, lorsqu’ils ont ressorti l’intégrale de Tex Avery, ils ont supprimé le film ‘Bad Luck Balcky’ parce qu’il y avait un personnage efféminé : ils craignaient les foudres des ligues homosexuelles. Ils ont aussi écarté ‘La Case de l’oncle Tom’ par exemple, parce que le personnage exagérait tout, et ils redoutaient d’être taxés de racisme. Le plus terrible, c’est que même les filmographies ne précisent pas que ces films ont été écartés ! Officiellement, ces films n’existent plus ! Ce n’est rien d’autre que du révisionnisme.
Finalement, ce qui ressort de tous ces courts métrages, c’est que contrairement à ce que l’on croit, rien n’est neuf : des effets spéciaux au karaoké, tout existe depuis bien longtemps.
Sur le DVD vous avez un karaoké formidable, de 1933, mais le genre existait même depuis le film muet. Avec le cinéma, on peut imaginer énormément de choses, et je suis sûr que dès les cinq premières années du cinéma, tout avait été imaginé. Je pense par exemple que le cinéma pornographique, genre maudit par excellence, a existé très tôt : dès les années 1895, à partir du moment où ils avaient une caméra, certains y ont pensé. Evidemment, ces films, à l’écart du réseau de distribution, n’ont pas survécu.
Vous rappelez aussi l’existence d’un cinéma différent, avec une grande richesse des programmes et des premières parties très consistantes.
Dans ces années-là, on n’allait pas voir un film, on allait au cinéma. Nous était proposé un programme composite de petits films courts dans lesquels il y avait les actualités, le documentaire, le comique, le drame, une féerie colorée, parfois un film chanté, et évidemment de la publicité. Lentement, à la sortie de la Première Guerre mondiale, le cinéma a commencé à se structurer autour de grands titres, de stars. Du coup on allait voir un grand film, qui était accompagné de courts films. Les “séries B” notamment étaient la face B du cinéma, le film mineur qui accompagnait le grand film à l’affiche. Dans les années 1960, il reste encore des avant-programmes (actualités, dessins animés, publicité), restes de cette époque. Aujourd’hui, nous n’avons plus vraiment besoin de tout ça : il n’y a pas de pénurie d’images, on en trouve partout, et les actualités sont en temps réel. Ne subsiste… que la publicité bien sûr.
Etes-vous nostalgique du vieux cinéma ?
Fort heureusement pour moi, je suis également directeur artistique du Festival du film d’animation d’Annecy : ça compense pour moi l’image du nostalgique qui a la tête aux années 1910. Je suis un amoureux du cinéma total. Ce que j’aime dans le vieux cinéma, c’est cette capacité d’émerveillement, presque hypnotique, et je trouve qu’elle disparaît aujourd’hui. Certes, j’ai droit à une bataille intergalactique, une intrigue haletante bourrée des cascades démentes, d’explosions dans tous les sens. Mais on est tellement habitués qu’on s’assoit pour regarder ça sans frémir. A l’époque, un type montait dans une bulle de savon de carton et un fil le faisait bouger vers une étoile dessinée, et les gens étaient impressionnés. Ce que j’aime dans le cinéma, c’est cette poésie, cette magie. Et je pense qu’à l’époque les gens étaient plus réceptifs. J’appelle ça la période d’innocence du cinéma, pas tant pour l’innocence de la production que pour celle des spectateurs, encore vierges. Restituer ces petits moments de temps perdu, c’est ma passion. En faisant rajeunir ces films, on fait rajeunir les spectateurs.
L’animation est un genre qui vous touche beaucoup. Est-ce parce que c’est le seul endroit où vous retrouvez le cinéma d’antan ?
On peut en effet encore y trouver des poètes, des bricoleurs, mais ça commence à être de moins en moins vrai. En tant que genre majeur du cinéma, l’animation n’a que 25 ans. Avant, c’était Disney, Warner, Disney, Warner ou Disney. L’industrie se structure, il y a de plus en plus de films qui sortent, et je trouve que l’imaginaire a – déjà ! – tendance à s’ankyloser : le public s’élargit, on fait moins de choses osées, le marketing prend les commandes…
Vous êtes également membre du conseil d’administration de la Cinémathèque française qui fête cette année ses 70 ans. Que vous inspire cet anniversaire ?
Cet anniversaire me permet d’abord de rappeler toute l’admiration que j’ai pour les collectionneurs en général, Henri Langlois étant le plus grand de ces conservateurs du cinéma. Ce qui est formidable, c’est qu’à l’occasion de cet anniversaire, la Cinémathèque a commandé à Laurent Mannoni un livre d’où il apparaît que la structure parisienne n’était pas la première cinémathèque du monde, que Langlois n’était pas celui qu’on croyait. On a l’impression que pour ses 70 ans, la Cinémathèque se détache de la légende, met en avant sa modestie : ce sont des gens qui aiment le cinéma, qui aiment le partager et rien que ça, ça justifie que la Cinémathèque soit encore ce qu’elle est aujourd’hui.
Propos recueillis par Mikaël Demets pour Evene.fr – Octobre 2006
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