Les auteurs et les producteurs face au financement des films

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2010
tournage films France
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Luc Jabon, scénariste, Président du comité belge de la SACD, modérateur

La SACD perçoit et dépense les droits d’auteur, de façon à déployer une création audiovisuelle multiple et pérenne. On constate que la question du financement est cruciale, pour le producteur certes, mais aussi pour l’auteur. Le budget et le financement du film peuvent avoir une influence plus ou moins marquée sur le processus de création. Cette question est d’autant plus aiguë aujourd’hui que les nouvelles technologies (VOD, incursion des télécoms) bouleversent la donne dans le domaine audiovisuel.

Jusqu’ici, on peut dresser un constat : les cinématographies francophones dans leur ensemble sont avant tout des cinématographies subventionnées. On est bien conscient que sans subvention, les cinématographies nationales ne pourraient subsister. On note bien par exemple le formidable renouveau du cinéma roumain, consécutif à l’application d’une nouvelle politique de subventionnement.

Si l’on s’en tenait exclusivement à des questions d’audience, d’entrées et de chiffres d’affaire, le cinéma belge francophone n’existerait pas. Heureusement, est-on tenté de penser, le système de soutien de l’état est indépendant d’une partie de ces critères commerciaux. Alors certes, ce n’est sûrement pas le meilleur système existant, mais c’est à ma connaissance le moins mauvais.

On sait que les commissions de soutien des différents centres du cinéma accordent des aides sélectives. Si l’on imagine que les privés interviennent dans le processus de financement, on peut s’attendre à ce que leur soutien soit également sélectif, et on peut dès lors s’interroger sur leurs choix. Vers quoi irait un opérateur de téléphone mobile par exemple.

Par ailleurs, il faut également questionner le rôle des télévisions dans le financement des films, ainsi que l’implication des financements privés tels que le Tax Shelter ou le crédit d’impôt.

L’Union Européenne critique fermement le système des aides publiques. Non seulement il est politiquement menacé, mais il est en plus victime de son succès. Il y a de plus en plus de projets proposés, et de moins en moins d’élus. A cela s’ajoute la multiplication des générations en activité. On note qu’il peut y avoir des habitués/ abonnés des commissions, qui en étant à leur 4ème ou 5ème film peuvent s’attendre à une aide devenue quasiment automatique, ce qui bien sûr interrogent les jeunes générations qui peinent à voir leur 1er film soutenu. Ce système d’aide publique soulève un paradoxe : où est la démocratie du soutien quand une poignée seulement des projets sont soutenus ?

Un nouveau phénomène se dessine aujourd’hui, en Belgique notamment. Les jeunes cinéastes ne veulent plus attendre des années avant de pouvoir tourner leur premier film. Un système d’autoproduction de film low-budget se met progressivement en place.

A partir de ce constat, on peut se poser plusieurs questions :

– Peut-on faire évoluer le système de financement public, ou a-t-on atteint ses limites ?

– Les subventions publiques peuvent-elles s’ouvrir au low-budget ?

– Comment interpréter ou réinterpréter des phases de soutien comme celle de l’aide à la finition, qui pour l’instant fait souvent office d’aide à la post-production ?

Joachim Lafosse, réalisateur Ca rend heureux et Nue Propriété, Belgique

Je ne suis pas producteur mais cinéaste. Cependant, il est primordial pour moi d’être lucide par rapport aux contingences de production, d’être conscient des réalités budgétaires, et de la façon concrète dont est utilisé l’argent. Lorsqu’un film ne trouve pas sa justesse, le problème réside souvent dans l’inadéquation entre les réalités budgétaires d’un projet, et la façon dont l’auteur en tient compte.
Pour parler de mon dernier film, Nue Propriété, on est face à un financement classique, un recours aux télévisions, au Tax Shelter, etc. Mais pour que le film puisse se faire, j’ai dû attendre près de 5 ans. Durant cette longue phase d’attente, j’avais envie d’expérimenter, de travailler, de progresser en
tant que cinéaste. Aussi bien Folie Privée que Ca rend heureux, mes deux premiers films, sont financièrement des films low budget, dont les budgets avoisinent les 100.000€. Bien sûr, je ne suis pas pour le low budget, le cinéma nécessite de l’argent. Mais on est vite coincé lorsque l’on a envie de travailler malgré tout.

Sur ces deux projets, nous avons avec les producteurs des simulations de ce qu’auraient été les budgets des films si nous avions pu payer les gens qui ont travaillé. Ces budgets correspondaient très précisément à l’enveloppe de l’aide à la production donnée par le Centre du cinéma. Il faut veiller à la qualité et à l’inventivité des commissions de sélection. En Belgique, il est difficile d’avoir accès à l’aide de la production du Centre du Cinéma, car pour que le projet soit accepté, il faut amener d’autres financements. Or, comme je viens de l’expliquer, la simple enveloppe de l’aide à la production pourrait suffire à produire des films de qualité, qui ne soit pas dans une sous-économie, et où les gens soient payés.

Aujourd’hui, les aides à la finition sont le seul moyen de financer des films qui ne viennent de nulle part. Avoir la possibilité de tourner des films low budget permet à une génération d’éclore, de se révéler, et de faire ses armes. Quand je suis arrivé sur le plateau de Nue Propriété, je n’étais pas inquiet, car j’avais déjà deux longs métrages derrière moi, deux expériences.

Le hasard veut qu’aujourd’hui, Nue Propriété et Ca rend heureux sortent quasiment en même temps. On est frappé par la différence de traitement entre les deux films, que ce soit dans les festivals, auprès des professionnels, au niveau surtout des ventes internationales. Pourtant, dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de cinéma. Je constate que pour Nue Propriété, il y a plusieurs financiers, de nombreux soutiens pour le film en amont, de fait plus de gens ont d’intérêt à ce que le film fonctionne.
Il ne faut jamais perdre de vue que plusieurs façons de faire des films existent, et qu’elles ne doivent en aucun cas s’exclure mutuellement.

Joseph Rouschopp, Tarantula, producteur Nue Propriété, Belgique

Est-ce que les financements public ou privés, doivent se développer ? Oui, évidemment. La réalité du producteur, c’est que lorsqu’il se lance dans un projet, il est généralement confronté au débat qui secoue la profession : il va devoir engager des gens qui vont travailler, si possible avec acharnement, et qui seront peu voire pas payées.

C’est une anomalie, et pourtant aujourd’hui on ne pose même plus cette question lorsqu’il s’agit de réaliser un court métrage. On sait que toute l’équipe va travailler gratuitement, on ne se pose même plus la question de la rémunération des gens. On constate que sur des projets comme Folie Privée ou Ca rend heureux, qui disposent de 10.000€ pour le tournage, lorsqu’ils reçoivent une aide à la finition d’environ 60.000€, cela ne sert toujours pas à payer les gens, mais à payer la post-production.

La présence de ces films dans les festivals permet de monter les projets suivants. Par rapport à un film comme Nue Propriété, même s’il ne s’agit pas d’un film low budget, ça n’en reste pas moins un film à petit budget, dans la mesure où un certain nombre de gens ont dû accepter de travailler sur ce film en participation, en ne touchant que 50% de leur salaire.

Samuel Tilman, Eklektik Productions, producteur Ca rend heureux, Belgique

Ca rend heureux ne relève pas d’une économie low budget par défaut, mais bien par choix. Nous n’avons pas été refusé à la Commission du film, et n’avions pas en tête un projet avec un financement classique. Le choix du low budget était aussi le choix d’une certaine liberté. Ce choix impliquait bien entendu un fort investissement personnel, mais aussi financier (même s’il s’agissait de petites sommes d’argent). Et ce choix impliquait bien sûr que personne ne soit rémunéré.

Notre enjeu était d’obtenir l’aide à la finition. Mais cette aide ne nous a absolument pas permis de rentrer dans nos frais, ni de payer quiconque. Elle nous a juste permis d’assumer les coûts effectifs de finition, soit la post-production. Le retour sur investissement pour un producteur est donc limité.

Il semble que ce type de projet de production vont continuer à se monter dans l’avenir, et on peut s’interroger sur la pertinence de l’aide à la finition sous sa forme actuelle, du moins en ce qui concerne ce genre de film. Ne pourrait-on pas imaginer que cette aide soit un soutien a posteriori à la production (qui permettrait de rémunérer en partie les gens), basée sur le produit fini présenté, et non plus sur le scénario et le plan de financement comme c’est le cas pour l’aide à la production en amont.

Bien sûr, cette formule pourrait être considérée comme un encouragement voilé à la précarité, un moyen d’exclure des aides à la production classiques les « petits » films. Surtout, la perspective de cette aide pourrait amener de jeunes producteurs à s’engager sur des rémunérations qu’ils ne pourraient assurer en cas de refus de l’aide.

Aujourd’hui, Eklektik Productions souhaiteraient se développer, et nous sommes sceptiques face au choix qui s’offre à nous : doit-on continuer à se spécialiser dans les productions indépendantes, ou est-on contraint de nous lancer dans la course à la subvention si nous voulons grandir ? D’autant qu’un autre enjeu complique la donne, celui de la distribution. La grande question est de savoir quand et comment se développeront les canaux de distribution alternatifs.

Christophe Rossignon, Lazennec, producteur de Je vais bien ne t’en fais pas, France

Je ne connais personnellement pas le low budget en tant que producteur. Les systèmes belges et français sont différents dans leur fonctionnement, mais on en arrive à la même préoccupation, celle de clamer que la culture n’est pas une marchandise, et qu’il faut la protéger. Il faut empêcher que tout le monde soit amené à manger de la même façon, des produits standardisés. J’aime venir en Belgique, car c’est différent de chez moi. Et quand je ne peux pas venir, je regarde un film des frères Dardenne, et j’ai l’impression d’être immergé dans ce pays pendant deux heures.

Je viens du court métrage, autant dire de la débrouille. Ne pas payer les gens, c’est mal, bien sûr. Mais ces projets permettent de créer des réseaux de relation, des affinités professionnelles. Même si l’on est tous conscients qu’il ne faut pas que cela devienne un système, en supprimant cette créativité, on risquerait de tuer dans l’oeuf un véritable vivier.

La France est à bien des égards un territoire privilégié. On a une vraie production nationale, dans toute sa diversité, et les parts de marché du cinéma français sont plutôt satisfaisante. C’est encore une industrie d’avenir. Lorsqu’un jeune annonce à ses parents qu’il veut faire du cinéma, ces derniers ne s’affolent pas outre mesure, on peut encore imaginer des débouchés.

Le système français ne fonctionne pas vraiment à la subvention, l’avance sur recettes est, comme son nom l’indique, une avance, que l’on rembourse si l’on fait des entrées. Je trouve que le système a été assez bien pensé par les générations précédentes, jusqu’à l’obligation d’investissement des télévisions.

Pierre-Alain Meier, Thelma Films, producteur, Suisse

J’ai quelques années d’activité derrière moi, et je peux vous affirmer que le low budget ne m’est pas accessible. Si un jeune producteur peut se permettre de démarrer dans ce genre d’économie, il serait impossible pour un producteur expérimenté de suggérer ce genre d’arrangement à des techniciens, ceux-ci se révolteraient bien vite.

Soyons réaliste, il faut minimum entre 1.000.000 et 1.500.000€ pour faire un film en Suisse. Si on fait un film low budget parce qu’on a été refusé à la commission, on pense faux.

On est en train d’assister à de grands changements en Suisse. Pour contextualiser, disons que notre Suisse allémanique correspond à votre Flandres en termes de puissance économique et démographique. Le film suisse qui a gagné le dernier Festival de Locarno est un film allémanique, qui a rencontré un grand succès en salles (300.000 entrées). En soi, c’est bien, sauf que ce n’est pas un film, c’est un téléfilm.
L’Office Fédéral de la Culture a décidé de mettre en place une nouvelle politique de soutien, liée au succès, visant à développer des films populaires de qualité. La communication autour du cinéma suisse s’est vu modifiée, un DVD a été édité avec des extraits de films de 30 cinéastes sensés représenter le cinéma suisse que l’on veut défendre…

L’OFC peut aider chaque année 4 films majoritaires à hauteur de 600.000€, 8 films minoritaires à hauteur de 200.000€. Par ailleurs, un film peut recevoir 200.000€ de la télévision.

Il faut savoir que plus de la moitié des réalisateurs suisses sont des réalisateurs/ producteurs. La Suisse a tendance à systématiser la coproduction, car elle est gage d’entrées en salles (grâce notamment aux stars qu’une coproduction française peut offrir). Est-ce que les commissions sont vraiment habilitées à décider des films qu’il faut faire ? Quand on connaît l’implication des télévisions dans ce processus de montage financier, on est en droit de s’inquiéter. Les télévisions sont à un tournant, elles constatent que les films ne font plus recettes, et se tournent vers les téléfilms. On en arrive à voir des produits cinématographiques modelés sur les téléfilms, qui remportent de grands succès en salles.

Pascal Rogard, Directeur Général de la SACD, France

C’est un débat compliqué pour moi, car je viens de France, où le système est extraordinairement sophistiqué. On se demande bien ce qu’on pourrait inventer de plus. Alors certes, les aides ne sont pas directement de l’argent de l’état, puisqu’il s’agit de taxes prélevées sur les différents modes d’exploitation de l’audiovisuel, mais il s’agit néanmoins d’argent public.

L’aide automatique, qui concerne 2/3 des films, récompense les films qui marchent en salles. L’aide sélective est attribuée sous forme d’avance, et permet de palier les aléas du marché. La France dispose de nombreux mécanismes de soutien : aides à l’écriture, à la production, à la distribution, à la promotion… La distribution est d’ailleurs à ce propos un point crucial, car c’est un domaine qui nécessite de gros investissements financiers. Il est légitime aujourd’hui de s’interroger sur les nouveaux canaux de distribution. Dans le cas de l’internet par exemple, il est important que celui-ci participe au développement de la création, et doit donc être l’objet d’un prélèvement, au même titre que les autres modes d’exploitation.

En France, le low budget est plutôt une problématique du domaine du court métrage. Il peut effectivement s’agir d’économies de bouts de ficelle, de gens non rémunérés, ou en tous cas pas aux tarifs en court. La velléité du Ministère de la Culture à ce sujet, c’est bien entendu d’appliquer les lois sociales. Malheureusement, on s’est aperçu que si ces lois étaient appliquées stricto sensu, il n’y aurait plus de films. On a donc mis de nouveaux moyens à disposition, mais je crois que le court métrage ne se situant pas l’économie de marché, il s’agira toujours d’un domaine où la débrouille est reine.
Par ailleurs, on voit aujourd’hui arriver des réalisateurs qui ont du mal à boucler le financement de leur projet de long métrage, et s’en remettent donc au numérique, et se contente de l’agrément du CNC, sans solliciter les soutiens existants. Mais cela reste un phénomène marginal en France.

Concrètement, il y a de vraies possibilités de financement en France, même si comme partout, il y a toujours des recalés. Quand on est dans un système de soutien sélectif, on est obligé de passer par des commissions, et le meilleur moyen de s’assurer de la compétence et de l’intégrité de ses membres, c’est d’en changer régulièrement. Le système n’est pas parfait, mais il fonctionne bien, il existe une réelle complicité entre l’administration et les professionnels. Ce sont d’ailleurs des professionnels qui siègent dans les commissions, pas des fonctionnaires. De nombreux réalisateurs consacrent 1 à 2 ans de leur vie à lire des scénarios pour les commissions, et ce n’est pas rien.

L’une des grandes faiblesses du système français cependant, c’est le financement encore insuffisant du service public. La redevance est beaucoup trop faible, surtout comparée aux tarifs en vigueur dans des pays comme l’Allemagne ou l’Angleterre.

Joëlle Levie, directrice générale du cinéma et de la production télévisuelle

Le soutien accordé par la SODEC est une sorte de mélange des soutiens français, belges et suisses. L’autofinancement est très peu fréquent au Québec. La majorité des longs métrages sont produits avec de l’argent public. Il existe quatre sources de financement : la SODEC, Telefilm Canada, et deux crédits d’impôts. L’absence d’autoproduction s’explique en partie par le coût très élevé des droits d’exploitation.
Les mécanismes fonctionnent assez bien, il sont réadaptés aux besoins de la profession tous les ans, et nous essayons d’être constamment à l’écoute des professionnels. Il n’existe pas d’aide aux films low budget en tant que telle, mais il existe un programme de soutien à l’auteur, qui concerne les films à petit budget. La commission de sélection est mixte, elle compte des professionnels, et des représentants de la SODEC.

Le court métrage n’est pas un genre très développé au Québec, ce n’est pas un passage obligé pour réaliser un long métrage. On passe souvent de la télévision ou du documentaire au long métrage, les auteurs passent directement à la réalisation d’un long…

Il y a quelques années s’est créé le mouvement Kino, qui rassemblait de jeunes réalisateurs qui souhaitaient s’autoproduire : les films étaient tournés en DV, montés sur leurs ordinateurs personnels, et montrés chaque mois. Mais les droits de ces films ne sont pas libérés, il est donc impossible de les
montrer dans un circuit officiel, ils sont inexploitables. On constate cependant aujourd’hui que cette pratique a permis de révéler un certain nombre d’auteurs.

Philippe Falardeau, Congorama, réalisateur, Québec

La question que je me pose c’est : comment dans ce système protéger l’intégrité artistique de la démarche cinématographique ? Au Québec, le nouveau système tend également à soutenir des films à fort potentiel commercial. Ce que je me demande, c’est en quoi mon écriture pourrait être modifiée par l’accès au Tax Shelter par exemple ? Est-ce que le film change de nature selon le mode et les sources de financement ?

Le cinéma québécois s’est trouvé renforcé ces cinq dernières années par le succès de grandes comédies populaires. Le public semble avoir repris goût au cinéma québécois, aussi bien pour les comédies que pour les films d’auteur. Pour exemple, La Neuvaine, sorti récemment, qui traite d’une retraite religieuse, a fait 800.000$CAN de recettes, alors qu’il y a quelques années encore, on n’aurait jamais espéré plus de 50.000$CAN pour ce genre de films.

Il existe un système d’enveloppe liée à la performance, qui dépend bien entendu des entrées en salles des films précédemment produits par la société. Cette enveloppe a généré une bipolarisation de la production et du métier. Les producteurs en général sont pour, alors que les réalisateurs sont contre. Quant aux scénaristes, ils espèrent surtout récupérer d’une façon ou d’une autre une part du gâteau. Evidemment, parallèlement à ce système, il existe toujours le soutien sélectif, heureusement.

Pour moi, j’ai du mal à prévoir un film qui rencontre un grand succès si je ne me résous pas à employer une vedette, à raconter une histoire qui puise dans les grands mythes culturels québécois, et si je n’emploie pas une forme classique. Donc, si je veux obtenir une aide à la performance, mon écriture va se trouver parasitée par ces critères. Bizarrement, je me surprends depuis un an à parler de box-office, ce que ne me serait jamais venu à l’esprit avant.

Le sujet est complexe, et les medias ont beaucoup de mal à le digérer. De toutes façons, il faut bien se dire qu’on aura toujours besoin de plus d’argent. Les réalisateurs québécois se sont alliés pour essayer d’imposer auprès des autorités une taxe sur les entrées, sans succès pour l’instant.

Je trouve que l’idée de récompenser des succès commerciaux en leur donnant de l’argent public me gène déontologiquement. Soyons clair, l’industrie québécoise du cinéma n’a d’industrie que le nom, sans soutien public, aucun film ou presque ne saurait se faire.

Quant aux commissions de sélection, on peut bien sûr trouver leurs décisions injustes, mais il ne faut pas perdre de vue qu’elles ont aussi permis à de nombreux bons films d’exister.

Quoiqu’il en soit, le producteur doit conserver son intégrité artistique. On pense que les coproductions internationales sont la panacée, mais elles ne conviennent pas à tous les types de projets, ni à tous les types de scénarios. Dans mon cas, j’ai dû choisir des comédiens français, alors que l’histoire de mon film se déroule en Belgique. Heureusement, j’avais un rôle quasiment muet à distribuer, et j’ai trouvé que Jean-Pierre Cassel serait parfait dedans !

Luc Déry, Micro-scope, producteur Congorama, Québec

Le plus important dans la relation entre l’auteur et le producteur, c’est le respect des réalités de chacun. Quand on écrit, il faut savoir ce que ça va coûter. Le système est assez avantageux au Québec, mais le processus d’obtention des soutiens est très long. Le danger de l’enveloppe à la performance, c’est que les projets les plus consensuels soient favoriser au détriment des projets plus novateurs ou exigeants. Ce système devrait offrir la liberté de créer d’autres films. De plus, on constate au final que les films produits grâce à ces enveloppes ne sont pas forcément ceux qui on rencontré le plus de succès.

Noël Mitrani, réalisateur, Sur la trace d’Igor Rizzi, Québec

Mon dernier film, je l’ai tourné tout seul à Montréal, avec Laurent Lucas, en 35mm, avec 30.000€. Evidemment aujourd’hui, je n’ai pas les moyens de le terminer, et j’ai donc besoin d’un soutien financier. Je trouve que le système de soutien français est corrompu, ou du moins biaisé. Mes courts métrages ont beaucoup tourné en festivals, ils ont reçu de nombreux prix, pourtant je ne parviens pas

à trouver de financement en France. De même, je ne trouve pas de distributeur, alors que le public semble adhérer lors des festivals.

La question n’est pas tant de trouver les moyens pour faire les films, mais plutôt pour les montrer, les distribuer.

Olivier Wötling, Directeur adjoint, CNC, France

Concernant votre remarque sur la corruption, ou la partialité des commissions de sélection, je voudrais rappeler que ces commissions font bien évidemment des choix subjectifs, difficile de faire autrement. De fait, il arrive que les commissions passent à côté de bons films, tout comme il arrive qu’elles soutiennent de petites merveilles. On peut parfois éprouver certains regrets lorsque l’on voit le produit fini, le film réalisé, mais au moment du choix, il faut se décider sur un scénario.

Je note depuis le début des débats une opposition marquée entre les aides sélectives et les aides automatiques. Il faut bien se dire que l’on a besoin de ces deux types d’aide. Les aides automatiques se révèlent cruciales pour les producteurs indépendants qui rencontrent le succès. Elles leurs permettent de voir plus grand pour leur projet suivant, de prendre de l’ampleur, et de conserver dans leur « écurie » le réalisateur qu’ils ont découvert, sans que celui-ci ne soit tenté d’aller voir chez plus grand qu’eux. Il est capital de ne pas laisser indifféremment le terrain des grosses productions uniquement aux grandes majors.

Philippe Falardeau

Je dirais qu’au Québec, il n’y a que des producteurs dépendants. Les producteurs qui bénéficient du soutien automatique complètent leur budget au moyen des aides sélectives. De fait, tout l’argent est distribué sur les mêmes projets, ce qui nuit bien sûr à la diversité.

Pascal Rogard

Ce genre de soutien est réglementé en France, pour accédé au soutien sélectif, les sociétés ne doivent ni appartenir à une télévision, ni avoir de parts dans une télévision.

Concernant les commissions de sélection, le meilleur moyen d’éviter le « copinage », c’est le renouvellement des comités, et le fait que les comités pour les avances après et avant réalisation soient différents.

Luc Jabon

On constate deux lignes de force en Belgique : soit les films sont quasiment obligés de passer par la coproduction, ce qui ralentit considérablement le processus de production, soit on tourne dans des conditions low budget.

Vincent Lannoo, Président de l’ARRF, réalisateur d’Ordinary Man, Belgique

On a envie de créer, de faire des films belges, d’employer des comédiens décomplexés par rapport à leur accent, à leur belgitude. Pour ça, on en vient souvent à faire des films non pas low budget, mais no budget. L’ARRF réfléchit à une solution pour que les gens soient quand même payés malgré la sous-économie dans laquelle ils travaillent. On constate que pour un réalisateur, un film low budget, c’est un film qui coûte entre 300 et 500.000€. Pour un producteur, c’est un film qui coûte entre 1 et 1,5 millions d’euros.

Il y a l’exception européenne, certes, et les soutiens que l’on peut obtenir, mais pour obtenir une aide européenne, un producteur doit réunir l’équivalent de la somme apportée par l’Europe, ce qui est souvent difficile.

Aujourd’hui, nous avons décidé de parler de micro-budgets, un peu à l’image de ce que fait Stephen Frears avec la BBC, des films produits avec 160.000€. Evidemment, les films doivent être écrits en fonction de cette économie, et les équipes doivent être payées.

On avait un projets de fédération de 5 films, qui pourraient se faire grâce aux synergies financières possibles lorsque l’on monte simultanément 5 projets. On a contacté l’administration et les politiques,
qui se sont dits intéressés. Ca a pris du temps, et on pensait avoir trouvé le bon bureau et le bon interlocuteur. L’important était que la télévision soit impliquée dans ces projets. Nous nous sommes donc adressés à Arte Belgique, qui était partante pour soutenir une collection de films destinés d’abord à une sortie en salles, puis très vite à une exploitation en DVD et à une diffusion à la télé. Je suis sûr que ça pourrait fonctionner, même si ça semble impossible à mettre en place dans des pays comme la France. Je l’ai fait avec mon film précédent en Hollande, où le rapprochement des sorties a très bien fonctionné. En tant que producteur, on était prêts à mettre 30.000€, Arte à mettre 50.000€. On a alors demandé 80.000€ aux pouvoirs politiques, qui n’étaient prêts qu’à en mettre 50.000€. Bref, on a attendu la fin des élections pour avoir une confirmation, pour apprendre finalement qu’Arte Belgique était obligée de se retirer du projet, car elle avait affecté l’argent autrement. Au final, j’ai bien l’impression que la création reste la parent pauvre de la politique et des télévisions.

Myriam Lenoble

Le système de financement belge est très élaboré et très complexe, du fait de l’organisation politique de la Belgique, et de la répartition des compétences entre état fédéral et communautés. Cela implique par exemple que les communautés ne peuvent pas appliquer de taxe sur les entrées, on trouve donc des systèmes dérivatifs. Les distributeurs en Belgique doivent contribuer à la production. Le Centre du Cinéma organise tous les deux mois des comités de concertation et professionnels et administration sont réunis pour entendre les remarques de chacun, et où tous genres de questions sont débattues.

Il existe en Communauté française de Belgique une avance de recettes, une aide économique chez Wallimage, le Tax Shelter. C’est un vrai périple pour les producteurs, surtout si l’on ajoute à ça les aides du programme MEDIA et Eurimages. On se heurte également au problème du droit européen, qui par principe est contre les aides étatiques nationales.

Nous sommes en train de mettre en place un nouveau système de soutien au niveau des télévisions, en prenant en compte les différentes évolutions technologiques. Mais tout cela est très complexe sur le plan juridique en Belgique. Les professionnels sont très impliqués dans ces décisions. Marin Hänsel par exemple avait insisté à l’époque sur la nécessité de créer un soutien pour les jeunes créateurs. Nous avons mis en place des ateliers de production et d’accueil. Le but est de faire en sorte que les jeunes professionnels puissent travailler, puissent tourner.

Pierre-Paul Renders, réalisateur, Comme tout le monde, Belgique

J’ai réalisé deux longs métrages. Le premier était un film low budget, tourné avec 100.000€. Le deuxième était doté d’un « vrai » budget de 5.000.000€. Concrètement, j’ai vu une différence concrète au niveau de la distribution. Pour le premier film, Thomas est amoureux, le distributeur français croyait au film, même s’il n’y avait pas de star et que le film avait fait peu d’entrées en Belgique. Pour le deuxième film, et cela malgré la présence au générique d’acteurs comme Thierry Lhermitte ou Chantal Lauby, nous avons obtenu moins de copies en France, et une très mauvaise date de sortie. On a au final fait moins d’entrées. Il faut aussi préciser que le paysage a changé. Alors que nous avions 7 concurrent directs la semaine de la sortie en 2000 pour le premier film, le deuxième s’est heurté à 15 autres films en 2006.

Je me demande parfois si notre exotisme belge ne peut survivre que dans le low budget. J’ai pu remarqué que même en faisant des concessions au marché en engageant des stars, ça ne suffit plus à vendre un film. Nos films restent quoiqu’il en soit atypiques. En plus d’embaucher une vedette, il faudrait que nous formations nos films. J’en viens à la conclusion que pour pouvoir faire des films plus personnels, nous devons revoir nos ambitions économiques.

Pascal Rogard

On est effectivement confronté au problème de la diffusion et de l’exploitation des films. On se demande régulièrement si on ne produit pas trop de films en France. Ce qui est sûr, c’est que le nombre de salles n’est pas extensible à l’infini.

On sait aussi que des films sortent pour de mauvaises raisons, notamment pour que certaines chaînes de télévision puissent obtenir un label cinéma. Quand il y a trop de choix, le marketing entre en jeu, et à ce jeu là, les européens ne font pas le poids face à la machine américaine, où les budgets
de promotion sont aussi conséquents que les budgets de production. Et encore, le jour où la publicité pour le cinéma sera autorisé à la télévision en France, ce sera encore pire.

Il faut aussi savoir faire confiance au spectateur lorsque le film sort sur un nombre suffisant de copies (par exemple 30). Le bouche-à-oreille peut déclencher la machine. Certes, le système est injuste, mais il existe un soutien à la distribution important en France, aussi bien automatique que sélectif.

Monique Licht, productrice, Belgique

Il ne faut prendre pour acquis le succès fragile des grands films populaires. Les cinématographies nationales ont besoin de ces locomotives, aussi bien en termes d’audience qu’en termes de réputation à l’international, pour que le reste de la production soit elle aussi remarquée.

Par ailleurs, on constate en Belgique qu’il est parfois plus difficile de monter un court métrage qu’un long métrage !

Propos recueillis par Aurore Engelen

Source : www.fiff.be

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