Profession : producteur / OLIVIER DELBOSC – JEROME VIDAL – FRANCOIS KRAUS – ALAIN ATTAL – STEPHANE MARSIL

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Quoi de neuf dans le cinéma français depuis quatre ou cinq ans? Certainement un regain d’intérêt du public. Sûrement un engouement pour la comédie. A coup sûr un retour du genre. Sans nul doute des films artistiquement ambitieux qui ne rechignent pas à faire des entrées. Aussi d’autres comédiens à voir et de jeunes réalisateurs à suivre.

Il y a également une nouvelle génération de producteurs, plus ou moins quadras, avec dix ans de carrière, qui abordent leur métier avec l’ambition d’être à la fois chefs d’entreprise et accoucheurs de désirs, dans un milieu où la création tente de faire bon ménage avec la comptabilité. Cinq d’entre eux ont accepté de se mettre à table et d’échanger expériences et analyses.

Un de vos points communs est d’avoir commencé par produire des courts-métrages pour ensuite passer au long avec les réalisateurs que vous avez découverts.

Alain Attal: Il n’y avait aucune raison pour que Claude Chabrol ou André Téchiné viennent frapper à ma porte. Je ne pouvais démarrer qu’avec des gens qui faisaient, comme moi, leurs premières armes. Le court-métrage m’a appris à rentabiliser le peu d’argent que j’avais. Comme mes amis ici présents, je suis un accoucheur. Si on a la chance de tomber sur deux ou trois jeunes bons réalisateurs, on continue avec eux.

François Kraus: Puisque l’argent n’est jamais là au départ, la première richesse à trouver, c’est le talent. Il y a une réciprocité entre le metteur en scène et le producteur. Ils ont besoin de nous, nous avons besoin d’eux.

Olivier Delbosc: Notre chance, à Marc [Missonnier] et à moi, c’est la rencontre avec François Ozon, alors que nous étions encore étudiants à la Femis. Il est le premier que nous ayons produit et l’aventure continue aujourd’hui avec 5 x 2. Travailler avec un metteur en scène prolifique, qui rencontre parfois le succès, facilite le métier du producteur.

Jerôme Vidal: A l’inverse de mes collègues, je n’ai pas eu autant de succès. Ma société a 15 ans et a produit 45 courts-métrages, dont certains ont gagné pas mal d’argent. Là où je n’ai peut-être pas été assez efficace, c’est dans le passage du court au long. Mais le succès est quelque chose d’aléatoire: j’ai coproduit un long-métrage, Les Lundis au soleil, qui a fait des millions d’entrées partout dans le monde, sauf en France…

Stéphane Marsil: Le terme «accoucheur» est juste, mais le producteur est un peu plus que ça. Il est aussi un accompagnateur. Après la période d’euphorie et aussi de flou artistique des années Canal +, qui mettait beaucoup d’argent sur la table, il redevient plus difficile de produire. Chaque projet demande une attention particulière pour concilier l’envie de faire des entrées et la qualité. Appelons cela le désir d’un cinéma d’auteur populaire.

C’est là un autre de vos points communs. Votre conception du métier est-elle une réaction à une image du cinéma français des années 1990: d’un côté le commercial, de l’autre l’auteur?

A. A.: Ce qui nous différencie de la génération d’avant, c’est le refus de la politique du «coup». Nous sommes davantage sur le terrain, à suivre le film de l’écriture du scénario à la sortie. Evidemment, à ce rythme, il n’est pas possible d’en produire quinze par an. Mais c’est la seule façon pour un indépendant de pérenniser son entreprise.

O. D.: Je ne pense pas que faire un «bon coup» soit si mauvais. Marc et moi sommes très boulimiques, et cette boulimie est devenue une logique économique. Avec quatre films par an, il y a quatre fois plus de chances d’avoir un succès qu’avec un seul. Ce qui permet l’éclectisme. Quand je produis Je suis un assassin, de Thomas Vincent [sorti le 11 août], je suis assez lucide pour savoir que je perdrai de l’argent. Mais puisque Podium a fait un carton, le bilan s’équilibre. Car Podium, au départ, c’est un coup. Certains diront peut-être qu’il y a trop de stratégie là-dedans…

J. V.: Non, je trouve cette logique plutôt intelligente. Il est tout de même facile de produire des films en France. Elias Querejeta, avec qui j’ai coproduit Les Lundis au soleil, travaille en Espagne. Il a 65 ans, trois palmes d’or, deux oscars et, pourtant, sa banque le tient pieds et poings liés. S’il ne fait pas un certain nombre d’entrées, il perd tout. En France, le système qui repose en partie sur des aides est quand même formidable. Mais nous restons des chefs d’entreprise.

S. M.: C’est vrai, nous sommes aussi des chefs d’entreprise. Il s’agit d’être responsable de l’argent de nos partenaires, ce qui n’a pas toujours été le cas avec la génération qui nous a précédés. Il ne faut pas oublier que nous sommes, en tant que producteurs, les garants de bonne fin du film. On pense ce qu’on veut des méthodes des filiales de distribution de TF 1 ou M 6, il n’empêche: rien ne les oblige à investir ainsi dans le cinéma. A nous de faire en sorte que ces guichets restent ouverts.

F. K.: Le problème, aujourd’hui, c’est que 55% des financements sont pris par une trentaine de «gros» longs-métrages sur 180 produits. Il y a d’un côté les films à moins de 2 millions d’euros, de l’autre ceux à 10, 15 millions et plus. Il faut revenir à des budgets médians, 4 ou 5 millions par film.

S. M.: Ce n’est pas parce que je viens d’en produire un [Arsène Lupin, 20 millions d’euros], mais il ne faut pas systématiquement taper sur les gros. On a besoin de films événementiels.

F. K.: Mais, Stéphane, il y a des excès!

S. M.: Il y a des excès partout, même dans les petits budgets: certains films sont produits alors que leur sortie en salles est hypothétique et qu’ils n’ont aucun espoir de succès.

J. V.: A ce moment-là, tu ne produis pas Jean-Luc Godard, Robert Bresson et tous ceux qui n’ont pas vocation à faire des entrées.

S. M.: Tous les films ont vocation à faire des entrées. Mais les coûts de production doivent être cohérents et mis en rapport avec le potentiel commercial. Aujourd’hui, le spectateur a envie de voir un film français, ce qui n’était pas forcément le cas il y a quelques années. On est revenu à un bon équilibre, avec une diversité et des épiphénomènes comme Les Choristes…

J. V.: Les Choristes, personne ne voulait le produire! Notamment les gens de la Gaumont, alors que c’est le remake d’un de leurs films.

O. D.: Tout le monde est gagné par la frilosité, n’est-ce pas, Alain?

A. A.: Olivier fait référence au projet de Nicole Garcia, que les investisseurs rechignent à financer. L’intelligence de Nicole est d’avoir pris conscience que le système a changé et que, si elle veut continuer, elle n’a pas d’autre choix que de se dire que le cinéma ne se résume pas à «comme je veux, quand je veux». Quand elle vient me voir, elle sait combien je suis attaché au suivi d’un film, que je vais l’emmerder sur le script, alors qu’elle a un côté un peu diva. Mais elle sait aussi que j’adore son cinéma. Pourtant, malgré son CV, j’ai plus de mal à monter le financement de son film – une espèce de Short Cuts à la française – que celui de Narco, un premier long avec Guillaume Canet et Benoît Poelvoorde [sortie en décembre]. Peut-être parce que ce n’est pas une comédie.

S. M.: La force du producteur indépendant, c’est d’être propriétaire de ses films. Posséder un catalogue permet une certaine autonomie financière, notamment pour développer des projets. Parce qu’on parle des films qu’on produit… mais il y a aussi ceux qu’on ne produit pas. Il faut savoir dépenser 150 000 € sur un projet et l’arrêter.

O. D.: Un jeune producteur qui dépense 200 000 € en développement pour s’apercevoir, en cours de route, que le projet n’est pas viable se sentira obligé de continuer afin de ne pas perdre sa mise. A Fidélité, on prévoit chaque année 500 000 € de perte sèche sur des scénarios qui ne verront jamais le jour.

La star joue-t-elle encore un rôle déterminant dans le montage financier?

O. D.: Je renvoie la balle aux médias: on dit qu’on prend des stars parce qu’elles rapportent gros. C’est faux. On les prend parce qu’elles nous assurent de la promo. Quand vous avez un acteur très bon mais inconnu, personne ne veut l’interviewer. Dans le cas d’un Poelvoorde ou d’une Catherine Deneuve, c’est l’émeute. Et un entretien dans Le Monde ou L’Express, c’est de la pub gratuite. Avec une tête d’affiche, on est assuré de passer chez Ardisson, Fogiel, Drucker…

S. M.: La pub gratuite dont tu parles, Olivier, ne se convertit pas automatiquement en entrées. Mais en notoriété. Tu peux accumuler les couvertures presse et te planter. On a récemment eu des exemples édifiants.

O. D.: N’empêche que Charlotte Rampling, dans Sous le sable, aucun investisseur n’en voulait. Quand le film est sorti, quinze ou vingt magazines ont misé sur elle. C’est grâce à ça qu’on a cartonné.

F. K.: On est confronté ici à un autre problème: les agents. Certains jouent la surenchère sur les cachets des acteurs sous prétexte qu’ils ont trois succès derrière eux.

S. M.: Il faut savoir dire non. Ou changer d’acteur, comme je l’ai fait sur Arsène Lupin [d’actrice en l’occurrence, puisqu’il s’agit d’Isabelle Huppert, remplacée par Kristin Scott Thomas].

A. A.: Hier, quand on lisait un scénario, on chiffrait d’abord la fabrication et, ensuite, on se demandait combien coûterait le casting. On ne peut plus fonctionner ainsi. On estime un coût global et c’est à chacun de s’y plier.

O. D.: On se parle beaucoup, notamment avec Alain, parce que nous fonctionnons de la même façon. Ce qui permet d’avoir des points de comparaison sur les tarifs et de revenir vers les agents pour rediscuter, le cas échéant.

S. M.: C’est assez nouveau. La génération précédente était beaucoup plus individualiste. A partir du moment où nous sommes bien dans nos baskets, il n’y a aucun intérêt à jouer les requins seuls dans notre coin.

Comment voyez-vous vos dix prochaines années?

A. A.: Le cinéma français n’a plus de tabous. Il n’est plus obligatoirement classé «art et essai». Un polar peut être l’expression d’un auteur. Le seul point noir, c’est le marché. Un film en langue française ne pourra jamais cartonner dans le monde entier comme Le Seigneur des anneaux.

F. K.: J’ai sorti deux films qui ont marché, je suis donc plutôt confiant. J’ai de l’argent pour développer les projets, ce qui est le nerf de la guerre. Mon envie est de continuer sur des budgets cohérents, de garder mon indépendance et la liberté de me planter.

O. D.: La survie de notre désir de produire passe par une volonté forcenée de faire coexister le cinéma d’auteur populaire avec un autre plus pointu. Notre plus belle récompense est l’association avec François [Ozon]. Nous produisons le prochain film de Cédric Kahn, Charly [avec Vincent Lindon et Isabelle Carré]. Il coûte 10 millions d’euros, alors que ce réalisateur n’a jamais dépassé 300 000 entrées. Notre obsession est que des auteurs cantonnés à des petits films arrivent à signer des œuvres populaires sans vendre leur âme.

S. M.: Mon souhait est que les partenaires continuent de croire dans le cinéma que nous faisons tous ici et d’essayer de percer de plus en plus à l’international. Après les malheureuses tentatives de films «euro-pudding», je suis persuadé qu’on peut produire un vrai cinéma européen, sans obligatoirement investir des sommes énormes.

J. V.: Je suis parvenu à un diagnostic différent, vu que, contrairement à vous autres, je n’ai pas encore touché le succès. J’entrevois les limites de notre propre système. Aujourd’hui, si le réalisateur n’est pas un auteur reconnu comme Godard, il aura du mal à faire exister une œuvre novatrice. Je vais sans doute changer mon fusil d’épaule. Et me remettre en question, sachant qu’il y a actuellement une opportunité pour le cinéma français, qui rencontre à nouveau le succès avec des artistes très différents. Le risque de cette embellie, c’est que la production se recentre sur un cinéma national et que les œuvres ne s’exportent pas. Ce qui s’est passé avec les cinémas italien, allemand, anglais…

Olivier Delbosc 36 ans

Fidélité Productions, avec Marc Missonnier: tous les films de François Ozon, Janis et John, de Samuel Benchetrit (2003), Podium, de Yann Moix (2004). A l’affiche: Mensonges et trahisons et plus si affinités, de Laurent Tirard, 5 x 2, de François Ozon, Je suis un assassin, de Thomas Vincent. En tournage: Le Temps qui reste, de François Ozon, avec Valeria Bruni-Tedeschi et Jeanne Moreau; Anthony Zimmer, de Jérôme Salle, avec Sophie Marceau et Yvan Attal; Charly, de Cédric Kahn, avec Isabelle Carré et Vincent Lindon.

Jérôme Vidal 41 ans

Quo vadis: Faites comme si je n’étais pas là, d’Olivier Jahan (2000); Les Lundis au soleil, de Fernando Leon de Aranoa (2002); Je t’aime, je t’adore, de Bruno Bontzolakis (2003). A sortir: Dans les champs de bataille, de Danielle Arbid; Avant l’oubli, d’Augustin Burger.

François Kraus 35 ans

Les Films du Kiosque, avec Denis Pineau-Valencienne: Oui, mais…, d’Yves Lavandier (2001); Une vie à t’attendre, de Thierry Klifa (2004); Le Rôle de sa vie, de François Favrat (2004).

Alain Attal 44 ans

Les Films du Trésor: Mon idole, de Guillaume Canet (2002), Narco, de Tristan Aurouet et Gilles Lellouche (sortie décembre 2004). En projet: Ne le dis à personne, de Guillaume Canet.

Stéphane Marsil 44 ans

Hugo Films: Se souvenir des belles choses, de Zabou Breitman (2002), Les Jolies Choses et Gomez et Tavares, de Gilles Paquet-Brenner, Arsène Lupin, de Jean-Paul Salomé (sortie le 13 octobre). En projet: La Bande à Bonnot, de Gilles Paquet-Brenner.

Source : L’Express du 06/09/2004

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